Aujourd’hui le sentier des Maréchaux vous invite à la promenade et toutes les associations de marcheurs des Yvelines vous proposent des parcours qui associent le charme de la nature à d’intéressants témoins de l’économie locale.
De 1879 à 1930 la Ville de Paris a exploité ici une importante carrière de grès, occupant sur place près de 200 personnes.
C’est cette carrière que nous vous proposons de redécouvrir.
Les carrières de grès :
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, avec les grands travaux d’Hausmann, la construction des égouts, les réseaux de distribution d’eau et de gaz, Paris est un gigantesque chantier. Les besoins en meulières et surtout en grès dur explosent– notamment pour les chaussées, qui doivent s’adapter à une circulation qui ne cesse d’augmenter, ou les bordures de trottoirs.
Heureusement l’Ile de France est riche en gisements de grès dur.
On ouvre des carrières dans toutes les vallées du sud de Paris : carrières des Maréchaux, de Levis-Saint-Nom, de Saint-Paul, d’Orsay, de Gif et de Voisin-le-Bretonneux, dans la vallée de l’Yvette;
De la Folie-Bessin et Saint-Chéron,dans la vallée de l’Orge; Etampes, Etrechy ou Chamarande, dans celle de la Juine, La Ferté-Allais dans la vallée de l’Essonne et dans la vallée de la Drouette : Epernon.
Sur tous ces sites, on trouve, sous une mince couche de limon, une couche de calcaire que l’infiltration des eaux pluviales a transformé en argile à meulière sur 6 à 10m d’épaisseur.
Au dessous, la couche de sable de Fontainebleau, atteint une épaisseur moyenne d’environ 50m.
Les couches de grès se trouvent à la partie supérieure de ce sable. Elles sont formées de grains de quartz et de feldspath dont les intervalles sont remplis d’un ciment siliceux plus ou moins dense.
Les maréchaux :
Le canton des Maréchaux, dans le bois des Yvelines, est situé dans la forêt domaniale de Rambouillet. Les terrains appartiennent donc à l’Etat. Ils sont à l’extrémité sud du plateau qui domine, à 170m d’altitude, l’étang de Cernay.
Les forages réalisés en 1878 ont révélé un gisement de grès important, et en 1879, la Ville de Paris décide de l’exploiter elle-même, afin de se garantir un approvisionnement d’un intérêt stratégique pour sa voirie.
Une première concession de neuf ans (1878 – 1887) lui concède l’exploitation de 11ha 42ca 43a. Cette surface sera progressivement portée à 21ha 77ca 85a, la concession étant régulièrement renouvelée tous les neuf ans jusqu’en 1930.
La carrière comprend deux sites distincts : à l’ouest la carrière du Pont-vert, dont le gisement présente deux bancs superposés, dont l’un de 3m, et à l’Est celle du Grand-Moulin, avec un banc de 1.15m à 3.15m, à une profondeur moyenne de 9m du sol.
Les ingénieurs de la Ville de Paris ont calculé, d’après les caractéristiques principales du gisement, qu’en retenant une masse de grès utilisable de 30%, et sachant que le nombre moyen de pavés produits est de 240 par m3, la carrière des Maréchaux pourra produire 22 600 000 pavés, soit 25 années d’une production moyenne de 900 000 pavés/an.
S’y ajoutera l’extraction de pierres meulières, utilisable pour 60% du volume existant, soit 369 019m3, qui servira notamment à la maçonnerie des égouts de Paris.
Le cahier des charges de la Ville de Paris stipule (art 14 et 15) les spécifications suivantes pour les pavés de grès :
- le grès sera formé de grains quartzeux soudés par un ciment siliceux,
- tout grès calcaire sera rigoureusement proscrit,
- les pavés sont classés comme premier et comme deuxième choix eu égard à la qualité de la pierre
- le coefficient d’usure du premier choix ne doit pas être supérieur à 1.40 et celui du second choix supérieur à 2.50.
- la proportion du deuxième choix ne devra pas dépasser 15% du nombre des pavés fournis.
La qualité des grès des Maréchaux correspond en moyenne à 52% de premier choix, 30% de second choix et 18% de rebut. Il s’agit donc d’une qualité satisfaisante, sans être exceptionnelle, et apte à répondre à une large part des besoins de Paris.
Technique d’extraction :
Compte tenu de la composition du sol, c’est tout d’abord la meulière qui doit être retirée, pour atteindre les gisements de grès. La carrière de grès peut ainsi être exploitée ensuite à ciel ouvert.
Pour accéder au grès les ouvriers creusent des galeries horizontales sous la zone choisie, avec des bêches dont le manche dépasse les 5m. Ils provoquent ainsi un éboulement. Les terres à enlever ont une épaisseur de 6 à 9m et comprennent de façon irrégulière des pierres meulières. Certains blocs de meulière sont éclatés à la poudre, pour faciliter leur transport et leur vente
Le produit de leur vente couvre les dépenses entraînées par cette première étape. A la base, recouvrant directement le grès, on trouve une couche d’un sable qui convient parfaitement pour la fabrication de verre, et qui est donc également vendu.
Les terres sans valeur sont chargées sur des wagonnets et rejetées derrière le plan de taille. Elle serviront plus tard à reconstituer l’ancien sol, quand la carrière ne sera plus exploitée, car la concession prévoit qu’à son terme la carrière devra être remise en état, et reboisée aux frais de la Ville de Paris.
Le grès une fois mis à nu, des trous de mine séparés de 3 à 5m sont creusés au perforateur à air comprimé. Des cartouches de poudre dont l’allumage est commandé électriquement détachent des bandes de grès assez régulières.
Si les blocs sont encore trop importants, ils sont à nouveau divisés au perforateur pour ne pas dépasser des blocs d’environ 1m3
Pour alimenter ces perforateurs, la carrière dispose initialement d’une machine motrice de 25 CV. En 1908 la Ville la remplace par une machine à vapeur retirée de l’usine désaffectée du Parc Monceau, et de nouveaux ateliers sont construits entre 1908 et 1914 par les ouvriers de la carrière.
Le carrier divise ensuite le bloc en morceaux proches de la taille du pavé souhaité. Il travaille avec un coin et un couperet, dans un chantier de 10 à 20m qui lui est réservé. Le piqueur de grès est chargé de la finition. Il bloque son pavé brut sur un baquet rempli de sable, pour disposer d’une surface à la fois ferme et élastique, et le façonne à la massette et au ciseau plat.
Des plans inclinés permettent de les transporter facilement vers le lieu le lieu de stockage où ils sont marqués au bleu par un ouvrier, selon leurs spécificités. La carrière est un lieu d’extraction mais elle sert aussi de dépôt.
Les pavés sont ensuite expédiés directement à la gare la plus proche du chantier où ils seront utilisés, d’abord dans des tombereaux, puis, à partir de 1884, dans des wagonnets de trois tonnes, qui circulent sur une voie de chemin de fer, système Deceauvile (écartement de rails de 60cm) posée entre la carrière à la gare des Essarts le Roi ( environ 8km).
Là ils sont déchargés, et rechargés dans les wagons de la compagnie de chemin de fer. A la gare d’arrivée, l’entrepreneur les acheminera avec ses propres tombereaux de la gare au chantier.
Le personnel de la carrière :
L’organisation des Maréchaux est la même que les carrières privées qui l’entourent, au plan technique. Elle en diffère par contre au plan administratif, parce qu’elle est régie par les textes en vigueur à la Ville de Paris.
Il en ressort d’ailleurs un coût plus élevé, qui rend la carrière chroniquement déficitaire, ainsi qu’on le verra plus loin.
Dans un rapport de 1905 il est fait état d’un effectif de près de 170 personnes, dont 2 aux postes de direction, dont le salaire est pris en charge par le budget voirie de la ville de Paris, 17 aux services généraux, payés au mois, 21 à des postes de techniciens, payés à l’heure et 130 ouvriers carriers et piqueurs de grès, dont la moitié est payée en régie, et l’autre à la tâche.
Le rapport pointe également l’important turnover des ouvriers à la tâche, dont beaucoup sont d’origine étrangère, et qui mettent volontairement fin à leur contrat.
Un agent comptable, le mécanicien, les deux chauffeurs et le forgeron sont logés sur place, car les machines et le stock de pavés doivent être protégés. Ils reçoivent pour leur chauffage annuel 2000kg de houille et trois stères de bois.
Les outils sont fournis par la carrière, mais les carriers doivent acheter leurs manches d’outils. Quant aux piqueurs, ils payent leur manche de massette ainsi que leur baquet de sable.
Un rapport de 1905 relève en outre que
« de temps immémorial il a été attribué au conducteur et au piqueur une paire de bottes tous les deux ans. Les foreurs et aides-foreurs reçoivent une paire de brodequins chaque année. Les ouvriers des ateliers, chauffeurs, foreurs et manœuvres des treuils reçoivent un gilet à manche tous les ans.
Le conducteur, le piqueur, le surveillant en gare et les chefs de chantier touchent une blouse chaque année. »
Depuis 1897 les ouvriers de la carrière ont leur salaire maintenu en cas de maladie, et les ouvriers à l’heure touchent demi-salaire en cas de chômage du aux intempéries.
Ces conditions sont nettement plus avantageuses que celles consenties aux carrières privées de la région, et entraînent un surcoût important.
Les installations :
On voit bien, sur cet agrandissement du plan de la page 2, les différents locaux construits sur le site des Maréchaux :
- les forges pour la fabrication et l’entretien des outils des carriers, piqueurs de grès et terrassiers,
- les ateliers et magasins de pièces détachées, qui comportent presses, tours, meules, scies pour travailler le fer aussi bien que le bois, avec en outre une fosse pour la réparation des locomotives et wagons,
- les bureaux, le réfectoire et les vestiaires, ainsi que les maisons des employés logés sur place.
Le matériel de transport comporte 76 wagonnets de 500 litres, et 50 de 300, une locomotive Decauville, système Mallet de 4 cylindres de 12t à charge, 2 locomotives Decauville de 6t, deux wagons de service pour voyageurs et 31 wagons pour matériaux, de 3t.
La carrière dispose en outre, en gare des Essarts-le-Roi d’un pont à bascule de 8 tonnes. L’eau est prélevée dans la mare voisine, et des filtres en permettent l’usage dans les logements et le réfectoire.
La journée à la carrière :
Elle est de 10 heures par jour l’été et 9 l’hiver. Les heures de nuit (l’hiver de 18h à 6h et l’été de 19h à 5h) sont payées double. A partir de 1900 la possibilité pour les ouvriers à la tâche qui le souhaitaient de travailler le dimanche est supprimée.
Les 1 et 2 janvier sont fériés, de même que le mercredi des cendres, Pâques et son lundi, l’Ascension, la Pentecôte et son lundi, le 14 juillet, l’Assomption, le 16 août, fête de Saint-Roch, patron des carriers, la Toussaint et Noël.
La carrière est ouverte aux ouvriers à la tâche de 5h à 11h, et de 13h à 19h. Ils décident librement de leurs horaires. Depuis février 1900 ils ont perdu le droit de venir travailler le dimanche.
Des résultats constamment déficitaires :
En 1905 la redevance est de 5000 Fr à l’hectare (environ 20 000€)« tant pour le dommage causé à la surface que pour la valeur des matériaux à extraire ». S’y ajoute une redevance de 3625 Fr pour l’usage de la voie ferrée qui relie depuis 1888 la carrière à la gare des Essarts-le-Roi
Mais chaque année la carrière est déficitaire, et à chacun des renouvellements de la concession, partisans et adversaires de son abandon s’affrontent.
Les causes du déficit tiennent tout d’abord aux normes imposées par la Ville de Paris : encadrement plus important, contrôles plus lourds que chez les concurrents…
Mais ils tiennent surtout aux salaires et avantages sociaux nettement plus élevés que dans les carrières privées de la région. Les critiques pointent également un rendement moindre.
Un Conseiller s’indigne :
« …il y a lieu de signaler les abus commis et de les flétrir.
Nous sommes de ceux qui revendiquent pour les travailleurs l’exercice intégral de leurs droits.
Nous ne croyons pas que par prédestination une fraction de l’humanité soit vouée à la souffrance. Tous les êtres qui concourent à l’œuvre multiple de la production , y compris ceux que leur âge ou leur état de santé excuse ont des droits égaux aux joies de la vie. Mais les parasites d’en haut ou d’en bas qui volontairement grèvent par leur paresse le patrimoine commun sont dignes du mépris de tous » (commission voirie 1908)
Pourtant les Maréchaux, même en déficit chronique, présentent certains avantages qui poussent la Ville de Paris à renouveler régulièrement sa concession.
D’abord il s’agit une fourniture essentielle pour de nombreux chantiers, et le fait de ne pas dépendre de fournisseurs indépendants est rassurant.
Ensuite l’organisation de la carrière dispense la Ville de stocker les pavés dans Paris, et réduit les frais d’approvisionnement des chantiers.
Enfin, les fournisseurs auxquels la Ville passe malgré tout des commandes, consentent d’importants rabais, sachant que Paris peut se passer d’eux. La fermeture des Maréchaux en réduisant la concurrence, pourrait provoquer une hausse des prix.
La concession est donc renouvelée tous les 9 ans, et des mesures d’économie sont décidées de façon régulière… mais sans effet.
Le fin de la carrière :
En 1908, Frédéric Brunet, conseiller municipal, propose une réforme innovante inspirée des doctrines de Fourier : confier en régie l’exploitation de la carrière à une coopérative ouvrière.
« Tous les membres associés auront à cœur d’en assurer la prospérité car les améliorations résulteront du bon fonctionnement des services, dont ils auront la gérance sous le contrôle municipal.
Ainsi nous ferons pénétrer la République dans l’Administration, et nous détruirons cette anomalie d’un peuple libre politiquement et serf économiquement.»
Cette proposition est approuvée en commission, mais le Conseil Municipal la rejette.
En 1910, Brunet obtient tout de même la mise en place d’un système d’intéressement des ouvriers à la production de la carrière. Mais le rendement n’augmente pas pour autant, et le déficit se creuse, d’autant que la loi réduit en 1919 la journée de travail de 10h à 8h.
Le déficit est de -178 225Fr, en 1921, de -239 838 en 1926, de -700 807Fr en 1927,
de -839 520 en 1928 et il atteint les -1 500 000Fr en 1929.
La concurrence de carrières où le grès affleure beaucoup plus, limitant les frais de terrassement et de retrait des couches meulières supérieures, accroit le déséquilibre, au moment où l’augmentation de la circulation nécessite des grès plus résistants que ceux des Maréchaux.
Le 26 décembre 1929, le Conseil Municipal vote donc à une très forte majorité, l’abandon de la concession des Maréchaux. Les représentants du personnel ne s’opposent pas à cette fermeture, et tous les titulaires sont recasés dans les services de voirie de la ville.
Personne ne reprend l’exploitation de cette carrière, et le site est définitivement abandonné en 1930.
En nous y promenant aujourd’hui, nous retrouvons de nombreux vestiges de la carrière, comme des tronçons de la voie ferrée, et des panneaux explicatifs nous rappellent l’histoire de ce site.
C’est un argument de plus, pour apprécier le charme du sentier des Maréchaux.
Christian Rouet
mai 2020
La phrase « il faut laisser la République entrer dans l’administration », ou kekchozcomsa, mérite réflexion, non ? Enfin, c’est peut-être une chaude piste de réflexion. Cela dit, merci, chirstian.
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