Pierre de Coubertin

En cette année 2024 où Paris s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques, dans la joie, la fierté et avec toutes les querelles byzantines sans lesquelles la France ne serait plus la France, il faut nous souvenir que le domaine de Coubertin, berceau du baron Pierre, est situé dans le pays d’Yveline, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse.

Une Fondation y poursuit depuis 1950 l’objectif d’Yvonne de Coubertin et Jean Bernard : « œuvrer pour l’élévation morale et culturelle des personnes attachées à la perfection et à la qualité du travail manuel ».

Je reviendrai dans un autre article sur les activités de cette Fondation, et sur l’ensemble de ce domaine, qui constitue une très belle visite, aux portes de Rambouillet.

Aujourd’hui c’est seulement la famille de Coubertin, que je voudrais vous présenter, en m’attardant naturellement sur le baron Pierre, et sur le renouveau des Jeux Olympiques.

A l’origine de la famille de Fredy de Coubertin

Laocoon et ses fils

Les Fredy sont une famille d’origine italienne. On sait que les Fredis étaient propriétaires de la Villa Néron, située près du Colisée de Rome, parce que c’est dans leurs jardins qu’a été trouvé en 1506 le marbre du Groupe de Laocoon dont s’est porté acquéreur le pape Jules II (il a payé son achat à Felice de Fredis en lui accordant à vie le prélèvement des taxes perçues au passage de la porte San Giovanni à Rome).

Un Fredy émigre en France et sert le roi Louis XI. On dit qu’il aurait accompli un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle à la place du roi, et c’est pour ce service qu’il aurait été anobli en 1477. De là viendraient les armoiries de la famille : neuf coquilles Saint-Jacques sur fond d’azur.

En 1523 un Alphonse Fredy, est avocat du roi François 1er, au bailliage de Montfort-l’Amaury.

C’est son petit-fils, Jean Fredy, écuyer, avocat au Parlement de Paris qui achète la terre de Coubertin à Saint-Rémy-lès-Chevreuse en 1577. Le fief, attesté dès le XIIème siècle comportait en  1634 motte, fossé, moulin à blé, ferme et manoir, mais quand Jean Fredy l’achète, n’existe plus sur ces terres que la ferme.

Le roi Louis XIII l’anoblit en 1629 comme seigneur de Coubertin, et sa noblesse est reconnue en 1668 lorsque Louis XIV fait procéder à une vérification de tous les titres nobiliaires du royaume.

Vers 1696 Bernard Fredy, seigneur de Coubertin, fait construire sur ses terres un château. Il sera peu modifié par la suite, avec cependant l’adjonction d’une première chapelle, reconstruite au XIXème siècle, et celle du fronton postérieur ajouté tardivement.

le château des Fredy de Coubertin

Au XVIIIème siècle Bonaventure-Julien Fredy de Coubertin (1788-1871) sert l’empereur. Cependant c’est Louis XVIII, à la Restauration, qui le fait baron en 1821. Il est ensuite maire de Saint-Rémy-lès-Chevreuse jusqu’à son décès. Son fils unique, Charles, nait en 1822.

Charles Fredy de Coubertin (1822-1908)

Alors que tous les Fredy de Coubertin avaient occupé des fonctions juridiques ou militaires, Charles-Louis est un artiste peintre. Sa peinture académique est passée de mode aujourd’hui mais elle était très appréciée à l’époque, et elle lui a valu en 1865 la légion d’honneur pour l’ensemble de son oeuvre.

Le départ. 1868, 6 ans seulement séparent ce tableau de celui de Monnet « Impression, soleil levant »

On lui connaît aussi des oeuvres orientalistes, après le voyage qu’il effectue en Orient en 1848-1849, et accessoirement, le plafond de la chapelle de son château de Saint-Rémy-lès-Chevreuse en 1856.

Halte au puits de Saba

Son mariage en 1846 avec Marie-Marcelle Gigault de Crisenoy issue de la noblesse d’épée, renforce la légitimité aristocratique de la famille, et la nouvelle baronne de Coubertin lui apporte en héritage le château de Mirville (Seine-Maritime).

Le couple a quatre enfants. La famille partage son temps entre son domaine de Saint-Rémy-lès-Chevreuse, son hôtel de la rue Oudinot à Paris et le château de Mirville.

Ce sont des militants actifs de la cause royaliste et des mouvements catholiques radicaux, membres d’une classe sociale qui se sent alors menacée dans ses privilèges et dans sa foi par la République et sa politique de laïcisation.

Curieusement, ses trois fils porteront en même temps le titre de baron au décès de leur père.

Paul de Coubertin

Il est né le 17 février 1847.
Son père est artiste, lui embrasse une carrière littéraire. Il est en outre, durant trois ans attaché de conservation au musée du Luxembourg à Paris.

le baron Paul de Coubertin

Il épouse en 1883 Violette Machiels, descendante d’une famille juive des Pays-Bas, avec laquelle il a cinq enfants.

C’est lui qui hérite en 1908 du domaine de Coubertin à la mort de son père.

On lui doit notamment en 1898 un livre sur « La Famille de Cyrano de Bergerac » (originaire du pays d’Yveline et non de Gascogne!) et des pièces de théâtre.

Le baron Paul de Coubertin est un auteur à la mode, une figure du Tout-Paris , que l’Echo de Paris décrit ainsi le 2 mai 1908:

« toujours si gai, si allant, avec, derrière l’imperturbable monocle, cet oeil qui vous fixe en souriant, plein de fine bonhommie et d’exquise malice »…

 Sa famille paye un lourd tribu à la guerre. Son cadet, Guy, tombe parmi les premiers combattants de 1914. Son fils ainé, Bernard revient du front lourdement handicapé. Le 29 mars 1918, sa fille Violette périt dans l’effondrement de la voûte de l’église Saint-Gervais à Paris, à la suite d’un obus tiré par la Grosse Bertha.

Yvonne de Coubertin

La mort de ses deux dernières filles : Yvonne en 1974 (co-fondatrice en 1973 de la Fondation Coubertin) et celle de Marie-Marcelle en 1978, toutes deux sans descendance, met fin à la lignée directe des Coubertin.

Albert de Coubertin

Médéric-Albert est né le 21 décembre 1848.
Albert fait carrière dans l’armée, après une formation à Saint-Cyr, en tant qu’officier de cavalerie.

En 1903 il est colonel, après de bons états de service en Algérie. Cependant, on se souvient plus de sa démission que de ses faits d’armes.

En 1899 il avait déjà été « injustement » privé d’avancement pour ses prises de position dans l’affaire Dreyfus. Certes, à cette époque, toute la hiérarchie militaire partageait ses opinions, mais le ministère des armées avait trouvé peu discrètes ses instructions :

« lorsque vous sortez en ville, isolément ou par groupes, et que vous entendez des gens dire devant vous du mal de l’armée, il peut vous arriver de vous laisser aller à des protestations. Je n’y vois aucun inconvénient, au contraire. Je vous conseille en ce cas de manifester violemment et au besoin de vous servir de vos armes. »

En 1903, le baron Albert de Coubertin démissionne de l’armée.

Quand les congrégations masculines non autorisées par l’État avaient été dissoutes, le 29 mars 1880, les Chartreux avaient pu demeurer dans leur monastère. En 1903 le Parlement ordonne leur expulsion et le régiment de Dragons du colonel de Coubertin est mobilisé pour procéder au départ des religieux. Albert de Coubertin dirige l’expulsion, mais aussitôt après il démissionne pour marquer son opposition. L’Aurore, qui ne l’apprécie guère, fait remarquer qu’il demande à quitter son commandement, mais sans renoncer à sa solde. Remarque mesquine, non ?

Retraité, il envisage de s’engager en politique, mais y renonce. Il s’installe à Mirville, dont il est brièvement maire. Il décède en 1913.

Marie de Coubertin

Adèle-Stéphanie-Aline, dite Marie est née le 21 novembre 1854.
J’ai trouvé peu d’indications sur elle. Simplement qu’elle a fait des études de chimie et d’astronomie à la Sorbonne. Le 9 avril 1877 elle épouse David, comte de Madre. Trois enfants naissent de cette union, dont Maurice, qui hérite du titre de comte à la mort de son père.

Marie de Coubertin meurt le 25 janvier 1942 à Paris, durant l’occupation allemande.

Pierre de Coubertin

Il est donc le quatrième et dernier enfant de Charles Fredy de Coubertin. Charles-Pierre est né à Paris le 1er janvier 1863, et c’est le plus connu des membres de cette famille.

Le jeune Pierre envisage tout d’abord une carrière militaire, comme son frère Albert, mais il échoue au concours d’admission à Saint-Cyr. Il fait donc des études de droit, à Sciences Po tout en pratiquant à un haut niveau de nombreux sports. Il est notamment champion de tir au pistolet.

Entre 1883 et 1886 les séjours qu’il effectue en Angleterre lui font découvrir la pédagogie et l’éducation anglo-saxonne, où le sport occupe une place importante. Or sa génération a été traumatisée par la défaite face aux Prussiens, et voyant dans le système d’éducation anglaise une des causes de la supériorité de l’Angleterre sur la France, il se mobilise pour la promotion du sport scolaire.

fondée en 1890

Ces idées sont déjà largement répandues, mais peinent à convaincre : les enseignants n’y sont pas formés, les écoles ne disposent pas d’installations sportives…

En 1888 il rejoint le comité de direction de l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA) présidée par Georges de Saint-Clair. En 1890 il crée « La Revue Athlétique », puis celle des « Sports Athlétiques » avant de fusionner les deux titres.

Outre l’organisation de leur premier championnat de France, en 1892, les joueurs de rugby lui doivent le dessin de son emblème : un bouclier qu’il fait réaliser par le graveur Brenus.

En 1907 il dote de même le premier championnat de football du Trophée de France. Offert en 1914 à l’armée pour soutenir le sport militaire et le moral des troupes, ce trophée est ensuite remplacé par la Coupe de France.

Cependant, convaincu que le sport peut être un facteur de paix entre les nations, c’est pour le sport international qu’il se passionne très vite.

Les Jeux Olympiques

Sous le Directoire avaient eu lieu sur le Champ-de-Mars, à Paris, le 22 septembre 1796 quatre compétitions sportives nommées « Première olympiade de la République » en hommage à l’Antiquité.

Elles avaient été renouvelées en 1797 et 1798, et un Français, aujourd’hui oublié, Esprit-Paul de Laffont-Poulotti avait même réclamé le rétablissement des Jeux olympiques en présentant un projet qui n’avait pas été retenu par la municipalité de Paris.

En 1850, l’Anglais William Penny Brookes a fondé une Olympian society qui, depuis, organise chaque année à MuchWenlock (Shropshire) des Olympian Games ouverts à tous. Pierre de Coubertin assiste aux jeux de 1890 et en revient enthousiasmé.

Prenant la parole le 25 novembre 1892, au cours d’une séance solennelle de l’USFSA dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, il propose d’en reprendre l’idée, et en 1894 le premier congrès olympique réuni dans ce même amphithéâtre, s’engage dans « cette œuvre grandiose et bienfaisante : le rétablissement des Jeux Olympiques ».

Coubertin propose que les premiers jeux aient lieu à Paris, dans le cadre de l’exposition de 1900, mais finalement c’est à Athènes, le 6 avril 1896, qu’ils ont lieu, afin de les rattacher symboliquement aux jeux d’Olympie.

les jeux d’Athènes

Le programme olympique contient alors 7 catégories de sports : sports athlétiques, gymnastique, escrime et lutte, sports nautiques, cyclisme, équitation et jeux athlétiques -cricket, tennis. Près de 214 sportifs venant de 14 pays y participent.

Désormais le Comité International Olympique (CIO), dont Coubertin assure la présidence de 1896 à 1925 organise ces jeux tous les quatre ans.

Les JO sont ouverts à tous. Enfin, presque tous … car Coubertin n’imagine pas d’y inviter des femmes, sinon comme spectatrices !

« Dans notre conception des Jeux olympiques nous estimons qu’on a cherché et qu’on doit continuer de chercher la réalisation de la formule que voici : l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l’art pour cadre et l’applaudissement féminin pour récompense ». 

journées anthropologiques JO de 1904

Et il a, en matière de races des idées… de son temps : « Les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance ».

Il s’oppose toutefois à l’organisation de « journées anthropologiques », compétitions réservées « aux représentants des tribus sauvages et non civilisées » qui sont organisées en marge des Jeux de Saint-Louis de 1904.

En 1911 il se passionne pour un autre projet : « les petits groupements d’adolescents organisés en Angleterre sous le nom de boys scouts » que Baden-Powel a créés avec un grand succès dans le monde anglo-saxon. Il propose pour la France l’appellation d’éclaireurs.

Cependant ses convictions religieuses s’opposent au principe de tolérance prôné par Baden Powel, et le mouvement se divise entre éclaireurs de France, mouvement non confessionnel, et éclaireurs français, mouvement catholique, créé par Coubertin.

Les deux mouvements ne fusionneront qu’en 1964 pour créer les Eclaireurs et éclaireuses de France.

le projet de drapeau dessiné par Pierre de Coubertin
le baron Pierre de Coubertin

En 1913 c’est encore Coubertin qui dessine le prototype du drapeau olympique aux anneaux, et le fait fabriquer par le magasin Le Bon Marché à Paris. Le drapeau est présenté le 17 juin 1914 au président Raymond Poincaré.

En 1914 il s’installe définitivement en Suisse, à Lausanne. En raison de la guerre, le siège du CIO est lui aussi transféré en Suisse.

Son adhésion à certaines thèses nazies, l’admiration qu’on lui prête pour Hitler, à partir de l’appui qu’il lui apporte pour que les Jeux de 1936 aient à nouveau lieu à Berlin, lui sont reprochées, et il est progressivement écarté de toutes les instances du CIO.

Ruiné, avec, à charge, un fils lourdement handicapé, il passe ses dernières années à Lausanne et il y décède d’une crise cardiaque le 2 septembre 1937. Son corps y est enterré, mais, conformément à ses souhaits, son coeur est inhumé près du sanctuaire d’Olympie à l’intérieur d’un monument commémoratif de la rénovation des Jeux olympiques.

Son épouse s’éteint en 1963, à l’âge de 102 ans.

Cependant, après avoir été ainsi contesté, à la fin de sa vie, le mérite du baron de Coubertin est à nouveau reconnu. Au point même de lui prêter l’invention de la devise des jeux « Citius, altius, fortius communiter » (« Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble »), imaginée en fait par le père Didon, un autre apôtre du sport.

De même sa formule la plus connue « L’important dans la vie, ce n’est point le triomphe, mais le combat. L’essentiel n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu. » résumée en « l’important ce n’est pas de vaincre c’est de participer » n’a fait que reprendre les mots prononcés par Mgr Talbot, évêque de Pennsylvanie lors de la messe olympique des premiers Jeux de Londres, en 1908 : « l’important dans ces olympiades, c’est moins d’y gagner que d’y prendre part ».

En 2013 une pièce de deux euros a été frappée à son effigie.

Aux Jeux de Paris plus de 10 000 athlètes représenteront 206 pays. Ils s’affronteront dans 47 disciplines. Tous les quatre ans un pays se ruine dans leur organisation, avec l’espoir que les retombées touristiques et la réutilisation de certains investissements viendront rentabiliser leur engagement. Souhaitons que ce soit le cas à Paris cette année !

La notion de « trêve olympique », qui obligeait des cités en guerre à déposer les armes le temps d’un affrontement sportif, a malheureusement volé en éclat. Voir le drapeau de Russie dans le défilé aurait sans doute été choquant en pleine guerre d’Ukraine, mais les drapeaux de Chine, de Corée-du-Nord ou d’Iran qui l’arment ne choqueront personne. La Palestine participera au même titre qu’Israël mais nos députés cherchent à faire pression sur le CIO pour que l’une ou l’autre de ces délégations ( selon les sympathies de chacun) devrait défiler sans drapeau …

Qu’en penserait le baron Pierre de Coubertin ?

La fondation de Coubertin

Le domaine de Coubertin, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse a été transmis à Paul en sa qualité d’aîné, puis à sa fille Yvonne. Celle-ci rencontre en 1949 Jean Bernard, artiste, tailleur de pierre, rénovateur du compagnonnage français.

A cette époque Jean Bernard est à la recherche d’un immeuble pour créer une Maison de Compagnons à Paris. Ensemble, Yvonne et lui, créent en 1950 l’« Association pour le développement d’un Compagnonnage rural ».

le domaine, vue aérienne. Collection Fondation de Coubertin

La Fondation de Coubertin, sous sa forme actuelle, sera reconnue d’utilité publique le 1er mars 1973. Elle est installée dans le domaine de Coubertin, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse dont Yvonne de Coubertin a fait don à la Fondation.

Le domaine comprend aujourd’hui :

« –Le château d’architecture classique, abritant les collections,
-Le hameau, comprenant l’hébergement et les salles de cours pour l’enseignement culturel,
-Le parc, accueillant les Ateliers Saint Jacques et la Fonderie de Coubertin pour l’enseignement professionnel
. » (descriptif pris sur le site de la Fondation.)

C’est un endroit passionnant dont nous reparlerons.

Christian Rouet
avril 2024

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