14 juillet

C’est la fête nationale de la France : sans doute une date connue de tous les Français, et d’un grand nombre d’étrangers, notamment de touristes qui doivent tenir compte du « pont du 14 juillet » pour organiser leurs vacances.
Cependant, s’ils ont la chance d’être à Paris ce jour là, ils n’oublieront pas le défilé sur les Champs-Elysées, ni le feu d’artifice, tiré au pied de la Tour Eiffel !

Il n’empêche que la majorité des Français pensent que le 14 juillet commémore la prise de la Bastille. Mais si ! vous savez ! Cette prison parisienne où étaient enfermés le 14 juillet 1789 quatre faussaires, deux fous et le comte Hubert de Solages, coupable d’inceste. Leur libération ne s’imposait sans doute pas, et, comme symbole, les Révolutionnaires auraient pu trouver mieux que la prise de la Bastille… mais on ne refait pas l’Histoire !

La Bastille

En réalité, si des centaines de Parisiens se rendent ce jour là à La Bastille, c’est pour s’y procurer des armes. L’accès leur en est interdit. Durant quelques heures la garde suisse s’oppose aux révolutionnaires, mais dès que son gouverneur Bernard-René Jourdan de Launay obtient l’assurance d’être bien traité, il capitule. Il est aussitôt conduit place de Grève, où il a la tête coupée. Les promesses n’engagent que ceux qui veulent y croire…

Pour rappeler rapidement ce qu’était la Bastille, il s’agissait tout d’abord du « fort et bastide Saint-Anthoine lez Paris », une forteresse construite au XIVeme siècle pour défendre le côté Est de Paris, et protéger le château de Vincennes, résidence du roi, en cas de révolte des Parisiens.

Avant d’être prise par les révolutionnaires en 1789, la Bastille avait déjà été attaquée plusieurs fois : durant la guerre de Cent ans, en 1413, par les Armagnacs, en 1418 par les Bourguignons, puis en 1436 par le Roi; en 1565 par le Prince de Condé, en 1594 par les Ligueurs en 1594, en 1649 par les troupes royales, et en 1652 pendant la Fronde.

Belle constance dans le comportement de ses troupes : elle s’était toujours rendue, soit sans combattre, soit après une résistance symbolique. Avant la ligne Maginot, on ne croyait pas possible d’inventer une défense aussi inutile !

En 1602, Sully en fait le coffre-fort du Royaume, transférant le trésor royal d’Henri IV dans une tour qui devient alors la « Tour du Trésor », bien que les Parisiens préfèrent l’appeler « le buffet du roi ».

« Vers l’an 1610 le roi avoit pour lors quinze millions huit cent soixante-dix-huit mille livres d’argent comptant dans les chambres voûtées, coffres et caques étant en la Bastille, outre dix millions qu’on avait tirés pour bailler au trésorier de l’épargne ». (les mémoires de Sully)

C’est le cardinal de Richelieu qui la transforme en prison d’État où sont emprisonnés sans jugement, par simple « lettre de cachet », des personnes, généralement nobles, coupables d’avoir déplu au roi ou à l’un des puissants de l’époque. Y séjournent Montaigne (quelques heures seulement !), Bernard Palissy (qui y meurt), le marquis de Sade, Fouquet, Voltaire et bien d’autres, pour des peines plus ou moins longues. Et n’oublions pas le « masque de fer », dont je vous tairai l’identité.
Prison confortable, au reste, pour qui avait les moyens de se payer de quoi améliorer l’ordinaire !

En 1789 elle n’est déjà pratiquement plus utilisée : son fonctionnement coûte bien trop cher, et les urbanistes du roi envisagent de la détruire. De là à imaginer que ce sont eux qui ont poussé le peuple à en entreprendre gratuitement la destruction … Non, je plaisante !

modèle réduit. Musée Carnavalet

C’est un entrepreneur privé, Palloy, qui obtient le marché de sa démolition. Elle dure du 15 juillet 1789 à 1806. Une partie des pierres sont sculptées en forme de petites bastilles, et vendues comme souvenirs dans toute la France. Le gros des matériaux servira à construire le pont Louis XVI (pont de la Concorde).

Quoi qu’il en soit, si elle n’a joué aucun rôle majeur dans le déroulement de la Révolution française, la prise de la Bastille reste un symbole important, qui marqua les esprits.

La fête de la Fédération

Un an après, le 14 juillet 1790, Lafayette, commandant de la Garde nationale, fait organiser à Paris la journée de la Fédération, afin de marquer l’union du « roi des Français » avec son peuple.
Cent mille fédérés défilent avec leurs tambours et leurs drapeaux.
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun, célèbre la messe, entouré de 300 prêtres en surplis de cérémonie. En montant sur l’estrade, il aurait dit à La Fayette : « Par pitié, ne me faites pas rire ».
Successivement Lafayette, le Président de l’Assemblée et enfin, Louis XVI prêtent serment de fidélité aux lois nouvelles :

« Moi, roi des Français, je jure d’employer le pouvoir qui m’est délégué par la loi constitutionnelle de l’État, à maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par moi et à faire exécuter les lois ».

Le roi est follement acclamé.
On sait ce que cette belle entente ne dura guère…

1880 : choix d’une date

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En 1880, la France, encore traumatisé par sa défaite et l’humiliation de son occupation par les Prussiens cherche toutes les occasions de mobiliser les Français en vue de la revanche.
C’est dans ce contexte qu’un député propose de doter le pays d’une journée de fête nationale.

Le choix n’est pas simple : il y a, à l’Assemblée, des élus de tendances opposées, or pour que cette fête soit un gage d’unité il faut que sa date soit acceptée par tous.

Et tout d’abord, quelle révolution honorer ? La révolution bourgeoise de 1789, ou celle plus démocratique de 1792 ? La révolution de juillet 1830 est trop « orléaniste ». Le 24 février 1848 a mis en place un régime trop éphémère. Nul n’envisage la date du 18 mars 1871, date de la proclamation de la Commune de Paris. Quant au 4 septembre 1870, il rappelle trop que la République ne doit son retour qu’à la débâcle de Sedan.

C’est donc la Révolution de 1789 qui est retenue.

Mais quelle journée ? Le 5 mai 1789, ouverture des états généraux ? Ils ont été octroyés par le roi : souvenir trop monarchiste pour les députés républicains !
Le Serment du Jeu de Paume, le 20 juin 1789, séduit la gauche républicaine, mais pas l’extrême gauche, car le peuple n’y était pas associé.
Le 4 août 1789 pourrait constituer un compromis acceptable par tous. Mais l’abolition des privilèges n’a pu être votée qu’en raison de l’insurrection du 14 juillet : elle ne symbolise pas assez la rupture aux yeux des Républicains.
Fêter le renversement de la monarchie, le 10 août 1792, répugne aux modérés.
Les 20 et 21 septembre, anniversaire de Valmy et de la proclamation de la République pourraient être un bon choix, mais finalement ils sont jugés trop rapprochés des massacres de septembre ( avec plus de 1300 exécutions sommaires dans Paris, ils ont marqué du 2 au 7 septembre, le sommet de la violence révolutionnaires dans la capitale).
Quant au 21 janvier, date de l’exécution du roi, un seul député ose le proposer, sans succès.

Par défaut, le 14 juillet reste finalement la seule date susceptible de rallier tous les suffrages.

Effectivement, le 14 juillet 1789 marque bien la rupture entre l’ancien monde monarchiste et le nouveau. Comme s’écrie Gambetta, ce jour là le peuple de Paris s’est levé, non « pour renverser une bastille de pierre, mais pour détruire la véritable Bastille : le moyen-âge, le despotisme, l’oligarchie, la royauté »…

Problème : cette date renvoie à un épisode sanglant qui marque le début de luttes qui ont divisé le pays. Les monarchistes contestent donc ce choix.

L’idée de génie va consister à proposer de fêter, non le 14 juillet 1789, mais le 14 juillet 1790 : commémorer, non la prise de la Bastille, mais son premier anniversaire, c’est-à-dire la Fête de la Fédération, cet instant d’unité durant lequel le peuple et le roi ont prononcé le même serment.

Les républicains approuvent unanimement ce choix. Les orléanistes ne peuvent ignorer que Louis-Philippe a fait construire sur l’emplacement de la Bastille la colonne de juillet pour commémorer aussi bien les morts de juillet 1789, que ceux de juillet 1830. Les bonapartistes s’y rallient dans leur volonté d’avoir une fête nationale. Seuls les légitimistes se montrent réservés, mais ils n’ont rien à proposer, et le roi n’était-il pas au sommet de sa popularité en ce 14 juillet 1790 ?

La proposition du député Raspail débouche donc sur une loi, votée le 6 juillet 1880. Elle ne contient qu’un seul article : « La République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle », en s’abstenant de préciser quel évènement elle commémore. 

Le 5 juillet, le maire de Rambouillet, comme tous ses collègues, reçoit donc, du Préfet de la Seine, la lettre suivante :

«  Monsieur le Maire,

M. le ministre de l’intérieur m’informe que le Journal Officiel publiera prochainement la loi qui fixe au 14 juillet la date de la fête nationale et m’invite à m’occuper sans retard des mesures à prendre pour que cette fête soit célébrée dans toutes les communes du département avec un éclat qui réponde aux voeux du Parlement et du pays.

Un grand nombre de conseils municipaux ont déjà voté des fonds dans ce but; si votre commune n’a pas encore pris de résolution à ce sujet, je vous autorise à convoquer immédiatement votre conseil municipal pour en délibérer; vous voudrez bien me transmettre sans délai la délibération qui aura été prise.

Le gouvernement n’a déterminé, en ce qui concerne les départements, aucun programme obligatoire. Il laisse aux municipalités le soin de le fixer en se conformant aux usages locaux et à l’importance des ressources dont elles disposent. Toutes les administrations publiques chômeront naturellement. Les édifices publics seront pavoisés le jour et illuminés la nuit. La fête pourra être continuée le dimanche suivant, et les permissions de police ou de voirie qui auraient été accordées pour le 14 seraient aussi valables pour le 18.

Je ne doute pas, monsieur le maire, que la municipalité de Rambouillet ne tienne à honneur de témoigner de son patriotisme en donnant à cette fête toute la solennité possible, et je vous engage à faire appel à l’initiative privée des habitants de la commune. »

Comment s’est déroulé le 14 juillet 1880 à Rambouillet ? Je n’ai pas trouvé de compte-rendu. Mais chaque année ont eu lieu depuis, défilé, bal et feu d’artifice.

14 juillet à Rambouillet

Avant l’adoption de cette date comme fête nationale, on trouve, sous la Révolution d’amusantes reconstitutions de la prise de la Bastille, organisées par le conventionnel Couturier, pour l’édification des Rambolitains : du haut de la tour François 1er, des pierres sont jetées dans la cour, pour en simuler la destruction, tandis que la Garde Nationale fait le simulacre de l’attaquer !

Comment s’est déroulé par la suite la Fête Nationale à Rambouillet ? Je n’ai pas trouvé de compte-rendu de celle de 1880, mais chaque année ont eu lieu depuis, défilé, bal et feu d’artifice.

Les fêtes de 2020 et 2021 ont été perturbées par la Covid ? Il y a tout juste un siècle, celles de 1921 l’ont été tout autant … par la canicule !
En effet, cette année là, la France connaît des records de sécheresse et de chaleur. Avec 37° à Paris, le défilé du 14 juillet est supprimé. Les bals sont toutefois maintenus.

le Progrès de Rambouillet 23 juillet 1921

A Rambouillet, de même, la chaleur perturbe la fête : la retraite aux flambeaux du mercredi soir est réduite. Le défilé principal a tout de même lieu, dans la matinée du jeudi.

L’après-midi « des courses furent organisées avenue de la Laiterie. Très peu de spectateurs osèrent affronter les rayons du soleil ».

Mais deux concerts sont maintenus dans l’avant-cour du château, et vers 10 heures, le feu d’artifice est tiré du fer à cheval. « Enfin, pour terminer la soirée, la foule se porta place de l’Hôtel de Ville où les danseurs, sans souci de la chaleur, tournaient inlassablement. »

Et j’imagine que les danseurs, tout à leur plaisir, ne se demandaient pas si le 14 juillet fêtait la prise de la Bastille, ou la fête de la Fédération ! 

Christian Rouet

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