Le jardin anglais de Rambouillet

Le duc de Penthièvre hérite de son père, le comte de Toulouse, du domaine de Rambouillet. Bien que Grand Veneur il n’est pas passionné par la chasse et vient principalement à Rambouillet quand le roi Louis XV désire y chasser.
Il réalise peu de travaux dans le château, mais s’intéresse aux jardins dont il remanie les canaux et les îles.

En 1784 l’Almanach de Versailles décrit ainsi le domaine de Rambouillet :« deux parcs, qui réunis, contiennent 1100 arpents de bois et 1000 de terre. Le premier renferme des jardins potagers, des parterres, des pièces d’eau, bosquets, berceaux etc. Le tout orné de statues de bronze ou de marbre faites par de bons Maîtres. Dans le petit & grand parc sont des taillis bien percés, des allées à perte de vue & au bout des pièces d’eau, un jardin à l’anglaise. » 

C’est dans ce jardin à l’anglaise que nous allons flâner aujourd’hui, à l’époque du duc de Penthièvre.

 Un jardin à la mode

 Quand le duc de Penthièvre le crée, à partir de 1779, la mode est aux jardins anglo-chinois.

Les Anglais ont découvert à partir du XVIIème siècle les jardins de l’empereur de Chine, par les publications des missionnaires jésuites, et vers 1720 ils abandonnent la symétrie qui était alors la règle universelle pour « jouer sur l’alliance artificielle entre les éléments naturels (montagne, eau, végétaux) en intégrant l’irrégularité, la sinuosité et l’asymétrie » (Antoine Maës, « La chaumière aux coquillages »).

Les Français s’emparent de cette mode à partir des années 1760, et le jardin anglais de Rambouillet en est une belle illustration. Sa réalisation est supervisée par l’architecte parisien Claude-Martin Goupy.

la grotte des amantsContrastant avec la géométrie symétrique des canaux, le jardin anglais est traversé de façon «naturelle» par la Guéville, alimentée par le trop-plein des canaux qu’une vanne de décharge régule. Le cours sinueux de ses bras forme plusieurs petites îles irrégulières, reliées par des ponts rustiques de bois, ou de pierre.

Des amas de rochers créent des grottes artificielles, et l’eau de la rivière semble en surgir comme le montre cette gravure de Le Rouge (1784).

Un lieu de plaisir

Loin de la majesté des parcs à la française, le jardin anglais est un lieu d’agrément et de divertissement. On navigue sur la Guéville, on se promène dans les allées.

Balançoires, bascules, telles que les montrent ces gravures de Le Rouge, alternent avec les lieux de repos que sont les fabriques, que Jean Marie Morel « théorie des jardins , 1776» définit comme étant des «petites constructions pittoresques que l’industrie humaine ajoute à la Nature pour l’embellissement des jardins »
.Le jardin anglais de Rambouillet en comporte initialement trois. Il en reste aujourd’hui deux.

Le kiosque chinois

Les visiteurs du parc, qui y pénètrent par l’entrée en face de la Laiterie connaissent bien la «grotte des amants» immédiatement à leur droite. La Guéville semble en sortir. Ce nom lui aurait été donné à la fin du XIXème siècle, quand la foudre, en tombant sur la grotte, tua un couple d’amoureux qui avait voulu s’y abriter de l’orage. Son entrée est maintenant interdite.

Il ne reste pas trace d’un pavillon chinois qui était construit au dessus de cet arche de pierre, mais une gravure de Le Rouge est très précise. Des kiosques comparables ont été construits dans d’autres jardins de cette époque, et plusieurs existent encore (comme celui de L’Ile-Adam).

Probablement octogonal, il était construit en panneaux de bois laqués en rouge, à la mode chinoise.
On y accédait par deux escaliers de bois, de chaque côté. Sa toiture richement décorée était couronnée par une sorte de chapeau chinois, orné de clochettes, surmonté par une pointe qui traversait une série de cercles de métal de plus en plus petits. Le tout devait tinter au vent. Des dragons ailés terminaient les arêtes relevées à la base du toit.

Un inventaire de 1787 recense à l’intérieur « huit chaises chinoises recouvertes de maroquin de couleur et brodé en or » dont on ne possède aucune reproduction.

Le kiosque et son mobilier ont été détruit en 1792, sans doute par un incendie involontaire.

L’Ermitage

Il se compose d’une petite chapelle surmontée d’un clocheton, accolée à une maison d’ermite.

Le thème de l’ermitage est alors très populaire. Il se doit d’être un peu à l’écart, dans un « désert » propice à la méditation et au recueillement.

Celui de Rambouillet est au sommet d’une colline boisée, dans une petite clairière, à l’emplacement de l’ancien manoir seigneurial du Coudray.

Il est construit de façon rustique en moellons, avec une couverture en chaume.
Pour mieux mériter son nom, l’ermitage est habité par un salarié du domaine, chargé de remplir le rôle d’ermite.
L’inventaire de 1787 relève un mobilier très modeste, et quelques ustensiles en bois ou en fer.

Cet ermitage existe toujours, mais un incendie l’a partiellement détruit en 1997, et sa reconstruction en 2005 ne s’est pas faite strictement à l’identique. On ne le visite pas.

La chaumière aux coquillages

Entre le kiosque et l’ermitage, cette fabrique est la plus surprenante, par son décor intérieur. Elle se visite en même temps que le château (et la Laiterie). Il s’agit également d’un thème fréquent de l’époque, en chaumière isolée, ou en hameau, comme à Chantilly ou à Versailles.

Construite entre 1779 et 1781 sur une île, la chaumière est alors accessible par deux ponts, l’un en bois et l’autre en pierre, tous deux remplacés sous le Premier Empire par les ponts actuels.

Le duc de Penthièvre l’avait fait construire pour distraire sa fille et surtout sa belle fille Marie-Thérèse-Louise, princesse de Lamballe (qui connaîtra une fin atroce le 3 septembre 1792).

Le bâtiment est construit en moellons de meulière, dont dépassent des fémurs de boeuf, usage fréquent en Bretagne, pour drainer l’humidité. Le toit est en roseau.
C’est une construction d’apparence modeste, ce qui accroît le contraste avec la préciosité de l’intérieur.

plan au sol établi par l’agence Mester de Paradj

La chaumière se compose de deux pièces : un salon circulaire, inclus dans une construction cubique, et un petit appentis rectangulaire, à usage de cabinet de toilettes. Chacune des pièces est accessible directement de l‘extérieur, par quelques marches, et elles communiquent entre elles par une   porte dérobée.

Les murs de la garde-robe sont revêtus de lambris de bois dont les ornements polychromes sont peints sur des panneaux à fond blanc, encadrés de moulures vert d’eau et dorées. On y trouve de nombreuses essences de fleurs (roses, tulipes, oeillets, pivoines…), et d’oiseaux (mésanges, paons, canards ou échassiers…), sans aucun personnage humain. Des trophées ornent les quatre panneaux principaux et sont consacrés aux sciences, à la ferme, à la guerre et à la chasse au gibier d’eau, abondamment pratiquée sur les canaux du château. Le plafond est traité de la même façon, avec des oiseaux qui volent dans le ciel.

L’ensemble est clair et sobre.

A l’origine deux automates, détruits par les Prussiens lors de leur occupation de 1871, surgissaient des niches placées de chaque côté d’un miroir (photo 2) et ces négrillons miniature présentaient aux belles, parfums et poudres.

Actuellement (juin 2022) les visiteurs de la chaumière n’ont pas accès à la garde-robe et doivent se contenter de la voir à travers sa fenêtre, ou de regarder la photo qu’en montre le guide, par crainte des effets de la pollution sur son décor. Autrefois on pouvait tout de même l’admirer de l’entrée. J’espère que cette situation n’est que provisoire, tout en comprenant bien que la taille de la pièce ne permet pas d’y faire entrer des groupes !

Quant au salon, il offre un décor étonnant. Parqueté de chêne suivant un motif rayonnant (voir le plan ci-dessus) il est couvert d’une coupole qui semble s’appuyer sur huit pilastres à chapiteau ionique. Ceux-ci entourent quatre niches, la cheminée, la porte vitrée et deux fenêtres. L’ensemble, murs et plafond est entièrement recouvert de milliers (millions ?) de coquillages : moules, coquilles Saint-Jacques, ormeaux, bigorneaux ou autres, provenant de Dieppe, d’Eu et même des Antilles. Toutes ces coquilles sont fixées dans un mortier de chaux. La petite porte qui mène à la garde robe, à droite de la cheminée est fondue dans le décor, et presque invisible.Avec des éléments de nacre et de fins morceaux de pâte de verre qui captent la lumière selon les heures du jour, cette pièce est d’une richesse et d’une préciosité dignes d’un château, et offre un saisissant contraste avec la simplicité extérieure de la chaumière.

Le mobilier de cette chaumière, dû à François-Toussaint Foliot, comprenait huit chaises, huit bergères  et un écran de cheminée, spécialement conçus pour elle. Ce mobilier a été conservé, et il est replacé dans la chaumière de mai à septembre. Une neuvième chaise était placée dans la garde-robe. Elle est aujourd’hui au musée Condé de Chantilly.

Foliot était alors le plus réputé des menuisiers en sièges; il travaillait sur des dessins de Jacques Gondoin.

Chacune des bergères s’intègre parfaitement dans une des niches. Son dossier est incurvé pour épouser la partie inférieure du médaillon ovale qui en orne le centre.

Quant aux chaises, elles ont la taille des pilastres devant lesquelles elles devaient être placées.

la chaise de la garde robe, avec son dossier en ancre marine

Les pieds de ces sièges, en hêtre et noyer sont sculptés en imitation de roseaux et feuilles d’eau. Assises et dossiers sont assez sobres pour ne pas concurrencer la richesse du décor mural, et le complètent de façon idéale.

Précisons que les dossiers étaient initialement ajourés, les pieds postérieurs se prolongeaient, et les traverses supérieure, inférieure et centrale dessinaient une ancre marine, peut-être pour évoquer la charge de Grand-Amiral de France du duc de Penthièvre. Au XIXème siècle, ces dossiers ont été sciés et remplacés par les dossiers pleins actuels, et seule la chaise de la garde-robe permet d’apprécier leur conception initiale qui les rendait encore plus discrets. 

En 1930, G. Lenotre s’inquiétait du délabrement de la chaumière et appelait à son sauvetage. En 1953 son appel est enfin entendu, et un généreux mécène, Arturo Lopez-Willshaw finance sa rénovation, et celle de son mobilier. Une nouvelle restauration a lieu en même temps que celle de l’Ermitage entre 2002 et 2007. Nous pouvons ainsi profiter aujourd’hui du charme du jardin anglais.

Christian Rouet
juillet 2022

PS 1 La Laiterie de la reine aurait-elle sa place dans cet article ? J’ai décidé que non, d’abord parce qu’elle est un peu plus tardive (Louis XVI), mais également parce qu’elle n’est pas à proprement parler une « fabrique » dans la mesure où elle est censée répondre à une fonction utilitaire (même très théorique) alors que la fabrique est, par définition, une création purement gratuite.
Mais c’est naturellement un élément essentiel du parc du château. Nous l’évoquerons une autre fois.

PS 2 «  Au milieu d’une épaisse futaie on a placé deux sarcophages antiques qui rappellent la lumière et font un effet agréable au milieu de l’épaisseur des bois » (Alexandre de Laborde).

Je vous les présente ici mais dans quelle catégorie les placer ? Il me semble que le terme de fabrique ne serait pas non plus parfaitement adapté. Quoi qu’il en soit, ils n’ont été placés dans le parc que sous le premier Empire, par Auguste Famin, et j’ignore à quelle date ils ont été retirés.

Cette publication a un commentaire

  1. Regazzoni monique

    nouvelle adhérente ;
    c’est avec un réel plaisir de me lancer dans la lecture , de ces riches documents de la région qui nous sont proposé
    merci , pour les bons moments que je passe en m’instruisant

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