Liberté, Egalité, Fraternité
Cet article est consacré à notre devise nationale.
Je m’empresse de préciser qu’il ne s’agit pas de ma part d’un acte de foi nationaliste. Il se trouve simplement que je me suis aperçu, en écrivant un article sur la mairie de Rambouillet, que notre devise nationale ne figure pas sur son fronton.
Or j’étais convaincu qu’elle devait figurer obligatoirement sur nombre de nos édifices publics : et notamment les mairies et les écoles. En fait j’aurais parié qu’elle s’inscrivait dans notre paysage urbain, comme autrefois le coq du clocher.
Je n’étais probablement pas le seul à me l’imaginer. C’est d’ailleurs la réponse que me fait ChatGPT, montrant encore une fois que son intelligence artificielle a des limites !
Erreur ! L’article 2 de notre Constitution donne bien ces définitions, mais il n’en résulte aucune obligation !
Le 17 mars 2015, le député Bataille a d’ailleurs demandé au Ministre de l’Intérieur, s’il « entend prendre une initiative législative ou réglementaire qui précise que la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » est obligatoire et doit figurer de manière permanente sur les frontons des mairies » (question 75842).
Il a obtenu la réponse suivante : « S’agissant des mairies, il n’est pas apparu nécessaire de légiférer, compte tenu du respect assuré par les maires aux symboles de la République. Ainsi, les maires inscrivent généralement la devise de la République à l’occasion de la construction ou de la rénovation de l’hôtel de ville. »
C’est moi qui souligne le « généralement » ! A chercher en vain notre devise sur la façade des mairies de Rambouillet, Saint-Léger, Poigny, Gazeran, Orphin, Sonchamp, Houdan, Saint-Hilarion, ou Epernon. .. on peut trouver notre ministre légèrement optimiste ! (n’hésitez pas à m’en signaler, en restant en Pays d’Yveline.)
En fait, et pour résumer : il semble qu’en Pays d’Yveline elle ne figure que sur la mairie de Montfort, où elle est d’ailleurs quasiment invisible.
En réalité, donc, pas d’obligation légale d’inscription sur les bâtiments publics.
Mais il y en a bien une sur les écoles publiques, non ? Eh bien, oui … mais seulement depuis qu’un article L111-1-1 a été ajouté par le Sénat à la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013, dite loi Peillon :
« La devise de la République, le drapeau tricolore et le drapeau européen sont apposés sur la façade des écoles et des établissements d’enseignement du second degré publics et privés sous contrat. (…)»
Notre devise serait donc visible maintenant sur la façade de nos écoles ? Eh bien, si c’est le cas, elle y est bien discrète ! Il se trouve simplement que le législateur ne se soucie pas de détails comme les modalités d’un affichage.
Il existe des panneaux homologués. Par exemple celui-ci, qui mesure 21cm x 30cm (une feuille A4!). Il est précisé dans sa description :
« La devise « Liberté – Égalité – Fraternité » est inscrite en grand, de façon à être bien visible au loin. Enfin, la mention « République Française » complète ce panneau d’affichage. Celui-ci correspond donc au modèle officiel de l’affichage de la devise de la République ».
Note : la devise « écrite en grand, de façon à être bien visible de loin » mesure 8mm de haut (les majuscules : 1,2cm).
Ayons une pensée pour l’énergie et l’éloquence qu’il a fallu à ce sénateur pour qu’il dépose son amendement, le fasse approuver par le Sénat, obtienne dans des tractations probablement complexes que le Gouvernement l’intègre à son texte, et qu’enfin l’Assemblée Nationale adopte en seconde lecture son article L111-1-1…tout ceci pour que notre devise soit affichée en 8 mm de haut sur un panneau A4 pour l’édification de nos écoliers !
En fait, c’est seulement sur nos pièces de monnaie que nous nous sommes longtemps habitués à voir notre devise (même pas sur nos billets). C’est toujours le cas des euros fabriqués en France, toutefois ces pièces sont maintenant noyées parmi les euros d’autre provenance.
Ces observations m’amènent à rechercher l’histoire de cette devise qui m’a toujours semblée tellement évidente que je ne m’y étais jamais intéressé.
A l’origine : 1789
A la fin du XVIIIème siècle, les termes de liberté, d’égalité, ou de fraternité sont couramment utilisés dans les discours et les écrits des clubs de réflexion, et notamment ceux des loges maçonniques, en même temps que d’autres valeurs comme l’amitié, la charité, la sincérité, l’unité…
Les premiers jours de la révolution de 1789 sont placés sous le signe de la Liberté, et dès le mois d’août la réflexion porte sur l’Egalité. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 les réunit toutes deux en proclamant dans son 1er article que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Il s’agit là des deux revendications majeures, portées dans tous les cahiers de doléances, mais avec des attentes différentes selon les sensibilités.
Pour les anarchistes, seule compte la Liberté. Leur devise : « la Liberté ou la mort !». Ils refusent toute autorité, qu’elle soit temporelle ou spirituelle : Ni Dieu ni Maître !
Pour Gracchus Babeuf et ses amis seule compte l’Egalité. Leur devise : « Egalité parfaite » et ils demandent que tout succès, insuccès, bonheur, malheur soit rapporté « à la masse commune ».
C’est qu’il n’est pas évident de concilier ces deux droits fondamentaux ! Ni même de les définir. Liberté pour chacun de nous, certes, mais où et comment fixer les limites imposées par le respect de la liberté de l’autre. Egalité à qui, à quoi ? Egalité des droits ou égalité des biens et des situations individuelles ?
Quand les constituants suppriment le droit de rédiger un testament au motif qu’un héritier pourrait se trouver désavantagé, ne limitent-ils pas la liberté individuelle de disposer de son capital ? La liberté n’est-elle pas limitée si on interdit de s’élever au-dessus des autres par ses dons personnels, son travail ou même sa chance ?
Et à l’inverse, l’indigent, contraint d’accepter n’importe quel travail pour subsister, peut-il vraiment se sentir libre ?
Comme le disait Coluche : “Dieu a dit : il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura des hommes moches, et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile…
Et puis il a ajouté : il y en aura même qui seront noirs, petits et moches et pour eux, ce sera très dur !”
La Fraternité s’invite un peu plus tard, avec la Fête de la Fédération, du 14 juillet 1790. C’est un grand moment d’unité nationale retrouvée, autour du roi qui prête serment à la Nation et à la Loi en présence des députés des 83 départements.
L’association des deux premiers termes était déjà complexe, l’ajout du troisième est encore plus problématique. La Liberté et l’Egalité sont des droits. La Fraternité est un devoir. Et, outre la définition de chacun des termes, se pose aussi la question de leur ordre.
Pour les uns, il s’agit d’une fraternité qui se construit. C’est par exemple la fraternité qui unit les révolutionnaires dans la rébellion … Et puisque c’est en étant libres et égaux que les hommes peuvent se sentir frères, l’ordre doit être Liberté, Egalité, Fraternité …
Pour les autres –et notamment pour l’Eglise révolutionnaire, qui prêche le retour aux valeurs de l’Eglise primitive, en réaction contre les abus de l’Eglise officielle – le lien social et le lien religieux sont de même nature. La fraternité ne découle pas d’une construction : elle est naturelle. Elle précède et engendre donc les deux autres principes, de sorte que l’ordre doit être Fraternité, Egalité, Liberté…
Le calendrier révolutionnaire distingue un an 1 de la Liberté, puis un an 1 de l’Egalité, mais ne retient pas l’idée d’un an 1 de la Fraternité.
Pas de Fraternité non plus dans la constitution du 24 juin 1793, qui remplace l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 par ces deux articles :
Article 1. – Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles.
Article 2. – Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété.
Sureté et propriété à la place de la fraternité ? On voit bien que les constituants sont majoritairement issus de la bourgeoisie. Ils jugent nécessaire de mettre rapidement fin aux dérives des manifestations populaires. Pour eux, l’acte constitutif de la Révolution de 1789, c’est le serment du Jeu de Paume, par lequel les élus du peuple s’opposent au pouvoir exécutif. Pas les actes de violence spontanés du 14 juillet. N’est-ce pas d’ailleurs au nom de la propriété, que l’esclavage, supprimé en 1793 est rétabli en 1802 à la demande des planteurs ? La Fraternité leur coûterait trop cher !
La devise napoléonienne « Liberté, Ordre public » confirme bien les priorités de la Nation. Et quand Louis-Philippe prend le pouvoir, après la révolution de juillet 1830, et l’abdication de Charles X, sa devise : « Ordre et Liberté » en diffère à peine. L’inversion des termes donne toutefois un peu plus de poids à la Liberté qu’à l’Ordre : nuance subtile et discrète.
La révolution de 1848
On se souvient, avec « la Liberté guidant le peuple » de Delacroix, que le drapeau tricolore avait été celui de la révolution de 1830, et la monarchie de juillet l’avait conservé.
C’est donc derrière le drapeau rouge que les révolutionnaires de 1848 dressent leurs barricades contre Louis-Philippe.
Vainqueurs, ils souhaitent en faire le drapeau de la France, et il faut toute la persuasion de Lamartine pour sauver le drapeau tricolore qui « a fait le tour du monde avec la République et l’Empire, alors que le drapeau rouge n’a fait que le tour du Champ-de-Mars dans le sang du peuple ».
Cependant, il faut trouver un compromis pour satisfaire les révolutionnaires, mécontents de cette décision. Le drapeau portera donc les mots Liberté, Egalité, Fraternité, et une rosette rouge sera ajoutée à sa hampe. Elle sera vite abandonnée.
C’est donc comme une concession octroyée au peuple pour ramener la paix sociale que notre devise réapparait.
A nouveau, et durant des années, on discute de la signification de chacun des trois termes, et de l’ordre dans lequel il faudrait les placer pour que le sens de la formule soit le plus clair.
La IIIème république met fin aux discussions et adopte définitivement l’ordre que nous lui connaissons.
Victor Hugo aurait eu cette formule (dont je ne retrouve pas les références) : « La Liberté, c’est le droit de dire non ; l’Egalité, c’est le droit de dire moi aussi ; la Fraternité, c’est le devoir de dire toi d’abord. »
« Etre républicain, c’est être décidé à mettre en valeur la devise de notre république en faisant de la Liberté le plus grand de tous les biens, de l’Egalité celle qui n’existe que par le mérite, de la Fraternité, une solidarité à toute épreuve » ( définition donnée par un instituteur, citée dans « Les lieux de mémoire » de Pierre Nora).
La Constitution de 1848 précise dans son article IV que la République française
« a pour principe la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. Elle a pour base la Famille, le Travail, la Propriété, l’Ordre public. »
Le 27 avril 1848 l’esclavage est aboli pour la seconde fois, cette fois de façon définitive.
Le 2 décembre 1852, le président Louis-Napoléon Bonaparte devient l’Empereur Napoléon III. Il ne décide pas la modification de ce texte, mais dès le 6 janvier 1852 il demande aux préfets de faire disparaître les termes de Liberté, Egalité, Fraternité de l’espace public. Il explique : « Comme l’on n’a vu paraître ces trois mots qu’à des époques de troubles et de guerres civiles, leur inscription grossière sur nos édifices publics attriste et inquiète les passants. »
Sans qu’elle soit officiellement annulée, notre devise est ainsi oubliée durant tout le Second Empire.
La IIIème république, qui entre en vigueur en septembre 1870, ne se presse pas de revenir sur des symboles qui pourraient diviser les Français. Il faut attendre la loi du 6 juillet 1880 pour que Liberté, Egalité, Fraternité, devienne le symbole de la République Française, en même temps que le 14 juillet devient jour de fête nationale.
Pour certains, le terme de solidarité aurait été préférable à celui d’égalité. Pour d’autres, la connotation du terme de fraternité est jugée trop chrétienne. Cependant tous comprennent qu’il n’est pas question de donner un caractère universel à nos principes. Au moment où la France conquiert son empire colonial, les peuples indigènes n’ont pas à être libres, ni égaux en droit avec les citoyens français, puisqu’ils ne sont pas nos frères de race, selon les convictions de l’époque.
L’inscription de nos principes se répand alors sur les frontons des édifices publics, et de nombreuses sources affirment même qu’elle est alors rendue obligatoire. Cette inscription est sans doute encouragée, et l’usage s’en est certainement répandu, mais il ne semble cependant pas qu’il y ait eu d’obligation dans ce domaine.
Quoi qu’il en soit, la formule Liberté, Egalité, Fraternité, reste en vigueur jusqu’à son remplacement en 1940 par la devise « Travail, Famille, Patrie » du gouvernement de Vichy. La France Libre, en réaction, aurait pu reprendre la devise française précédente, cependant, dans sa volonté de réunir des composants politiques de sensibilité différentes, elle évite de soulever cette question.
Et c’est donc finalement la constitution de 1946 qui décrète dans son article 2 que
« La devise de la République est : « Liberté, Egalité, Fraternité. »
C’est la première fois que le terme de devise est utilisé, après ceux de droits, de symbole, de principes…
Il faut noter une précision souvent négligée : il s’agit là de la devise de la République, et non de la devise de la France.
La constitution de 1958, aujourd’hui en vigueur, conserve cet article sans changement.
Pour mémoire : le principe de fraternité a été reconnu par le Conseil Constitutionnel le 6 juillet 2018, à l’occasion du procès Cédric Herrou (accusé d’avoir aidé bénévolement des migrants en situation irrégulière), en légitimant « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».
Dans le monde…
Les révolutionnaires de 1789 espéraient que leurs idées seraient reprises par de nombreux peuples. Eux-mêmes avaient été beaucoup influencés par la révolution américaine.
La devise de la république française a-t-elle inspiré d’autres pays ?
Eh bien, oui ! Nous n’en tirons pas une grande fierté, mais depuis 1987 une autre constitution proclame que « La devise nationale est Liberté, Egalité, Fraternité. » (article 4).
Il s’agit de … la République d’Haïti. Sa constitution est votée lorsque le président Duvalier se réfugie en France, avec son trésor de guerre.
Je me demande si elle est bien imprimée sur les tee-shirts des Tontons Macoutes ?
Christian Rouet
avril 2023
Bonjour Christian,
je viens d’interroger ChatGPT : il me dit que la devise n’est pas obligatoire sur les mairies.
Donc il apprend vite !