Le hameau de Saint-Hubert

Aujourd’hui, empruntons la digue qui sépare l’étang de Saint-Hubert de celui de Pourras, dans le prolongement du Pavillon de Pourras.
Jusqu’à la D191, nous sommes sur la commune du Perray-en-Yvelines. C’est là, au bord de l’étang,  (autrefois « étang de Pourras ») que Louis XV a fait construire le château de Saint-Hubert, aujourd’hui disparu.
Nous traversons la route, et nous voici sur la commune des Essart-le-Roi. En même temps que le château, le roi y a créé de toutes pièces un village, qui aurait pu devenir ce que Versailles a été pour le château de Louis XIV.

en jaune la limite entre les communes du Perray-en-Yvelines et des Essarts-le-Roi
en jaune la limite entre les communes du Perray-en-Yvelines et des Essarts-le-Roi

C’est à ce village, que nous nous intéressons aujourd’hui, après une brève évocation du château.

Ma source principale est l’article fort intéressant qu’Isabelle Gensollen a publié sur « Le domaine de Saint-Hubert, 1755-1792 » dans la revue de la Société des Amis de Versailles de 2019.

Le Château de Saint-Hubert

Louis XV, comme tous ses aïeux est un passionné de chasse. Il adore se réfugier loin de la cour et de son cérémonial, et changer souvent de lieu. Il partage donc son temps entre Fontainebleau et Compiègne, qu’il a fait réaménager, le château de Choisy, proche de la forêt de Sénard, Bellevue, à Meudon, et des pavillons de chasse qu’il fait construire à Butard, au Bois-de-Verrières, Saclay, les Fausses-Reposes, la Muette et Marcoussis.

Il affectionne le château de Rambouillet. Son cousin le duc de Penthièvre ne souhaitant pas le lui vendre, il a la délicatesse de ne pas l’y contraindre, et , pour ne pas s’imposer trop souvent comme invité, avec la marquise de Pompadour et ses amis, il fait construire un château sur la rive nord de l’étang de Pourras. Le lieu est particulièrement bien adapté pour recevoir un pavillon de chasse, car les animaux viennent souvent se réfugier dans l’étang, et c’est donc un endroit d’observation idéal pour la curée.

La première tranche de travaux de construction du château commence en 1755, et en mai 1758 le roi peut y séjourner pour la première fois.

Le château n’a alors « qu’une vingtaine de logements à donner, une chapelle et un fort petit jardin » (Mémoires du duc de Luynes).

Je consacrerai prochainement un article complet à ce château.

Le hameau de Saint-Hubert

Si l’emplacement du château convient bien pour la chasse, il présente par contre l’inconvénient d’être loin de toute agglomération importante qui pourrait fournir la main d’oeuvre nécessaire à un tel chantier.

Fixer sur le site les entrepreneurs et leurs ouvriers conduit donc à construire tout d’abord plusieurs bâtiments à proximité immédiate. En 1760, pour loger du personnel, puis plusieurs de ses invités, le roi loue, puis achète le château de l’Artoire, ses dépendances et sa ferme, à 1,5 km de là. (Il sera revendu en 1771, faute de moyens pour l’entretenir).

Ceci ne suffit pas à fournir tous les logements nécessaires, et l’idée de construire un hameau pour développer et pérenniser cet habitat s’impose vite, car, il faut prévoir de loger, outre le personnel du chantier, le personnel domestique du château.

C’est donc une urbanisation ex-nihilo qui est réalisée par la Direction Générale des Bâtiments du Roi. Elle peut se comparer à la conception de la ville de Richelieu, en Poitou, décidée au XVIIème siècle par le cardinal de Richelieu et à d’autres urbanisations de ce type en Europe.

Cinq grandes allées sont dessinées, qui se rejoignent au château, et les terrains sont divisés en parcelles quadrangulaires, dont il est possible d’augmenter le nombre au fur et à mesure des besoins.

plan de 1770, établi par Gabriel Paris. tiré de l’ouvrage d’Isabelle Gensollen

Les terrains ne sont pas destinés à la vente (ils n’auraient pas d’acquéreurs !) : ils sont attribués par don royal.
La procédure est strictement codifiée. Une demande doit être déposée, avec indication du terrain souhaité. Elle est étudiée par le marquis de Marigny, directeur des Bâtiments du Roi, qui se renseigne sur la situation et les motivations du postulant, et les demandeurs trop modestes pour pouvoir construire sont écartés. C’est le roi lui-même qui signe l’acte de donation. La Maison du Roi établit ensuite le brevet, qui sert d’acte de propriété.

« L’état de distribution des terreins (sic) du village de Saint-Hubert » est mis régulièrement à jour des donations effectuées, avec la liste des bénéficiaires. Documents précieux pour connaître le développement du village, 3 plans comme celui-ci, ont été conservés.

1770 ’Etat de distribution des terreins du village de Saint-Hubert  Archives Nationales, publié par Isabelle Gensollen

Les premiers bénéficiaires de ces donations sont les entrepreneurs qui travaillent sur le chantier du château. Les plus importants reçoivent des lots d’une superficie de 1 à 2 arpents (2500 à 5000 m2) au coeur du village. Les terrains des serviteurs et du personnel subalterne au service du château ne dépassent pas 500 à 700 m2.

Le duc d’Estissac, Grand-Maître de la Garde-Robe du roi, est le seul membre de la noblesse à bénéficier du don d’un terrain. Il est situé près du château, mais le duc, dont on ne sait d’ailleurs pas s’il en avait exprimé la demande, ou si le roi l’a décidé lui-même pour lui témoigner sa bienveillance, ne l’utilisera pas. 

Des constructions …

Le 1er juin 1760 une chapelle, accolée à un presbytère, est inaugurée en présence du roi. Elle est rattachée à la paroisse des Essarts.
La construction d’une église est envisagée et ses plans sont approuvés. Le projet indique bien le souhait du roi de faire de Saint-Hubert une véritable commune indépendante, mais cette église ne sera finalement jamais construite, faute de financement.

Cependant plusieurs bâtiments sont successivement bâtis, soit sur financement royal, soit avec des fonds privés.

En 1762, c’est une poste à chevaux, qui permet d’intégrer Saint-Hubert dans le réseau des postes. Il est possible d’y louer des montures, afin de faciliter les déplacements.

En 1765 est construit « l’hôtel des Menus Plaisirs ». Y est conservé, non le matériel nécessaire aux fêtes du château, comme son nom pourrait le laisser penser (et comme c’est le cas des hôtels des Menus plaisirs de Versailles, Choisy et Compiègne), mais celui des chasses royales. Un gardien, des employés permanents, et quelques hommes de peine y sont logés.

Sous Louis XVI l’hôtel deviendra le siège de la brigade de la Maréchaussée du village.

En 1770 un abreuvoir est construit, notamment pour les chevaux de la Poste, car il n’y a pas de source sur les terrains de Saint-Hubert, depuis que les eaux ont été détournées pour alimenter Versailles. L’année suivante, c’est une buanderie qui est construite dans le village, pour améliorer le service du roi.

Ces différents bâtiments destinés au château et/ou à la communauté deviendront biens nationaux à la Révolution, et seront tous vendus à des particuliers.

L’échec du village

Les habitants actuels de Saint-Hubert, qui apprécient probablement à sa juste valeur le plaisir d’habiter aux portes de la forêt, au bord des étangs de Hollande, vont sans doute m’en vouloir de parler d’échec !
Cependant on ne peut nier que le projet de Louis XV était bien plus ambitieux, que ce qu’est devenu aujourd’hui Saint-Hubert.

Quelles sont les causes de cet échec ?

D’abord, naturellement, et comme souvent, une question de gros sous !

Pour pouvoir faire don de ces terrains, il faut, au préalable, que le roi en devienne acquéreur. Or échaudés par des délais de paiement trop longs, des échéances jamais respectées, sans recours possible, les propriétaires de ces terres ne sont pas très tentés de les vendre à Sa Majesté !

En 1770 l’octroi de nouvelles concessions est donc différé en attente des achats nécessaires.

Le roi décide alors que les ventes seront régularisées par un notaire de Rambouillet, en lieu et place de son notaire de Paris, afin de faciliter les signatures. Le curé des Essarts est mobilisé pour inviter ses paroissiens à se conformer aux désirs royaux, faute de quoi ils risquent de s’y trouver contraints.

Le 19 juillet 1772, la persuasion n’ayant eu aucun succès, les terres sont « saisies » par Lettres Patentes. Les propriétaires ont un délai maximal de six mois pour venir régulariser leurs ventes et toucher le prix fixé par l’Administration royale. Passé ce délai ils seront déchus de leurs droits sans indemnité. En 1773 la situation est définitivement régularisée.

Mais le véritable problème insoluble, c’est que rien ne justifie la création d’une commune en ce lieu, sinon la volonté royale et la présence du château. Or celui-ci n’est occupé qu’occasionnellement et les bénéficiaires d’un terrain ne sont pas très enclins à construire, sans garantie quant à l’avenir du site.

A la fin du règne de Louis XV, seuls 16,8% des terres de Saint-Hubert (soit environ 13 hectares) ont été attribuées à 46 bénéficiaires.

La mort de Louis XV condamne définitivement le projet. En effet, si Louis XVI apprécie tout autant la région de Rambouillet, il préfère insister pour que le duc de Penthièvre lui cède son château de Rambouillet. « Si veut le Roi, si veut la Loi » : la vente est conclue en 1783.

Sitôt après le mobilier du château de Saint-Hubert est partagé entre Rambouillet, Saint-Cloud et le Trianon.

Vidé et inutilisé le château de Saint-Hubert conserve malgré tout son statut de résidence royale, et le duc de Duras en reste gouverneur jusqu’en 1787.

Cependant, entre 1774 et 1779, malgré la fermeture du château quatre terrains sont encore accordés, dans les mêmes conditions, au chirurgien du Perray, au médecin du château, à son aide ainsi qu’à un menuisier des Bâtiments (l’ensemble pour environ un hectare).

A la fin de l’Ancien Régime seulement 14 hectares, soit 18% des terres achetées par le roi, ont été donnés. De plus, très peu sont bâtis : l’espoir d’une commune de Saint-Hubert disparaît.

La comparaison de cette vue aérienne de 2020 avec la carte de 1840 (sources Géoportail. Cliquez pour agrandir ) montre le très fort développement de la commune des Essarts-le-Roi : 1840 = 760 habitants, 2019 = 6668).

Plan de 1866
vue de 2020

Saint-Hubert profite de ce développement… en restant loin du rêve de Louis XV

Saint-Hubert aujourd’hui

Aujourd’hui le quartier de Saint-Hubert dépend toujours de la commune des Essarts-le-roi. La rue des Menus Plaisirs et ses pavés anciens, la rue Royale, la rue du Chantier, la rue de la Poste rappellent l’histoire de ce lieu.

Des pavillons modernes, sur des parcelles assez grandes, entourent les quelques maisons anciennes.

Saurez-vous retrouver l’emplacement de ces cartes postales du début du XXème siècle ?

Christian Rouet
août 2022

Cet article a 2 commentaires

  1. belair

    j’habite à st hubert dans l’ancien presbytère construit vers 1760 – voir les archives à a Mairie de Versailles

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