Une curieuse homonymie

En résumé, Nicolas de Rambouillet n’était pas de Rambouillet.

C’est de cette homonymie entre un patronyme et un toponyme, mise en évidence à Paris au milieu de XVIIème siècle, que nous parlons aujourd’hui.
Elle explique notamment la présence d’une rue de Rambouillet, dans le 12ème arrondissement, qui n’évoque nullement notre cité du pays d’Yveline.

Une famille

La famille de Rambouillet est au XVIIème siècle une riche famille protestante de la région de Rouen.

Autrefois, bien des patronymes étaient tirés de noms de lieux, et il était fréquent qu’un nouveau venu soit baptisé du nom de la ville ou de la province dont il était originaire, comme c’était l’usage pour les baptêmes du Compagnonnage. Rien ne permet toutefois d’imaginer que c’est le cas ici. On peut d’ailleurs penser que la ville de Rambouillet n’était pas assez importante autrefois pour fournir un patronyme à un migrant. Les sites de généalogie évoquent une origine franque de raginbald : avisé, audacieux, sans aucune certitude (on sait que le toponyme de Rambouillet a lui-même fait l’objet de bien des débats !).

On trouve d’abord la trace d’un Etienne de Rambouillet vers 1600. Il est prévôt de Provins. La ville a été prise par Henri IV en 1592 : ce protestant a–t-il reçu sa charge et sa particule dans ce contexte ?

Son fils Antoine de Rambouillet s’installe à Paris, vers les années 1590. On sait qu’en 1572 il résidait encore à Rouen, ce qui lui a permis d’échapper au massacre de la Saint-Barthélemy. En 1602, lorsqu’il décède à l’âge de 42 ans, il est  conseiller, secrétaire du roi Henri IV. Son beau-père était lieutenant de la prévôté d’Orléans.

Deux de ses fils, Nicolas et Antoine sont à leur tour conseiller-secrétaire du Roi. Nicolas, à son décès en 1664 sera même, à 87 ans,  le doyen des conseillers de Louis XIV.

Un lieu mythique

Ce Nicolas de Rambouillet, écuyer, seigneur du Plessis-Franc, de Lancey et de la Sablière ( trois domaines près de Courville-sur-Eure) est aussi un homme d’affaire que les revenus de cinq grosses Fermes des Gabelles enrichissent. Il change plus tard le nom de son fief de Plessis-Franc en du Plessis-Rambouillet.

L’écrivain Tallemant des Réaux, qui épouse en 1646 l’une de ses filles (Nicolas a eu 11 enfants !) en parle comme d’un homme « vain » et d’un « franc nouveau riche ».

Vers 1640 Nicolas de Rambouillet acquiert un domaine de 15 hectares à Reuilly (un petit hameau qui sera intégré ensuite au faubourg Saint-Antoine), qui dépend du Grand prieuré du Temple, et il l’aménage en dépensant sans compter .

A ses associés qui s’inquiètent d’une telle dépense ( de surcroît, les dépenses trop ostensibles ne correspondent pas aux traditions des protestants !), il répond qu’il faut bien qu’il prenne quelque divertissement, et que ses associés se doivent de contribuer à une dépense qui permet de conserver en bonne santé la personne la plus utile de leur association. Cette explication ne les convainc pas, et ils le laissent financer seul sa Folie-Rambouillet.

Le terme de folie a ici son double sens : maison de villégiature ou de réception située hors de la ville, et dépense extravagante…

Plan de Paris vers 1700—Nicolas de Fer

La maison est en façade sur la rue de la Planchette (plus tard rue Charenton), au nord. Le domaine est encadré par quatre pavillons, un à chaque angle.

Ses jardins deviennent rapidement un des endroits les plus prisés des parisiens fortunés. En témoigne cette réflexion de La Bruyère : « voilà un homme, dites-vous, que j’ai vu quelque part. Est-ce aux Tuileries, dans la grande allée, ou dans le balcon, à la comédie ? Est-ce au sermon, au bal, à Rambouillet ? »

C’est également un lieu de rencontres informelles et discrètes entre politiciens. Parce que Nicolas de Rambouillet est un membre influent de la communauté protestante de France, c’est à la Folie-Rambouillet que tous les ambassadeurs non catholiques viennent séjourner, en attendant d’être autorisés à pénétrer dans Paris par la Porte Saint-Antoine et d’être reçus par le roi.

détail du plan de Nicolas de Fer

L’historien Sauval, familier des lieux, nous les décrit. « Dans ce jardin se trouvent des allées de toutes figures et en quantité. Les unes forment des pattes d’oie, les autres, des étoiles. Quelques unes sont bordées de palissades, d’autres d’arbres. La principale, qui est d’une longueur extraordinaire, conduit à une terrasse élevée sur le bord de la Seine. Celles de traverse se vont perdre dans de petits bois, dans un labyrinthe et autres compartiments. Toutes ensemble forment un réduit si agréable qu’on y vient en foule pour s’y divertir. »

« On y vient en foule », certes, mais ce « on » ne désigne naturellement pas n’importe qui ! Les plus grands personnages de la cour s’y rendent de façon régulière.

Le verger qui prolonge les jardins est connu pour la qualité de ses fruits, et le roi Louis XIV s’en fait régulièrement livrer.

Il faut remarquer que Sauval évoque une « terrasse élevée sur le bord de la Seine ». Or, si le plan de Nicolas de Fer est exact, la terrasse, en limite de propriété, en reste assez éloignée. Mais les champs qui l’en séparent ne doivent pas en gêner la vue (à moins que la propriété n’ait été agrandie par la suite ?).

Le domaine est à la campagne. A cet endroit, les bords de Seine sont seulement utilisés pour le stockage des bois qui arrivent par le fleuve, et dont les plus nobles alimentent le faubourg Saint-Antoine voisin, où s’installent menuisiers et ébénistes : c’est le quai de la Râpée, qui tire son nom de ce travail du bois.

Deux salons littéraires

Après Nicolas, c’est son fils Antoine de Rambouillet, seigneur du Plessis et de la Sablière qui hérite du domaine, en 1664. Il a épousé 10 ans auparavant  Marguerite Hessein, dont le père est conseiller et maître d’hôtel du roi.

Le couple réside à la belle saison à la Folie-Rambouillet. Ils sont tous deux beaux esprits et amateurs de lettres et reçoivent les savants et écrivains les plus connus. Le salon de celle que l’on appelle tantôt madame de Rambouillet, tantôt madame de la Sablière, est l’un des salons littéraires les plus réputés du XVIIème siècle.

Vue de Rambouillet proche la Porte Saint-Antoine, gravure d’Israël Silvestre entre 1650 et 1660

Elle y reçoit Chapelle, Boileau, madame de La Fayette, Fontenelle, le duc de Lauzun, Ninon de Lenclos, Molière, Perrault, Racine, Tallemant des Réaux (son cousin), madame de Sévigné et bien d’autres. Elle est durant toute sa vie la protectrice de Jean de la Fontaine, qu’elle héberge jusqu’à sa mort. Celui-ci la cite dans de nombreux ouvrages, la désignant sous le pseudonyme d’Iris, et il lui dédie son discours d’entrée à l’Académie française : « Discours à Madame de La Sablière ».

Or il se trouve qu’à la même époque, Charles d’Angennes, marquis de Rambouillet, et son épouse Catherine de Vivonne, se sont installés dans l’hôtel de Pisani qui a pris alors le nom d’hôtel de Rambouillet.

Catherine de Vivonne, sous le pseudonyme d’Arthenice (l’anagramme de Catherine), puis sa fille Julie d’Angennes y tiennent elles aussi  un salon littéraire de grande renommée (relire mon article consacré à la Guirlande de Julie).

Marguerite de la Sablière

Ainsi le nom de Rambouillet se trouve-t-il associé à deux des plus importants salons littéraires du XVIIème siècle : celui de madame de Rambouillet (Marguerite de la Sablière), à la Folie Rambouillet, et celui de la marquise de Rambouillet (Catherine de Vivonne), à l’hôtel de Rambouillet, sans qu’il n’y ait aucun rapport entre les deux, autre que la similitude de noms.

La fin de la Folie-Rambouillet

Antoine de Rambouillet est, comme son épouse, un lettré et un homme d’esprit. Il a d’ailleurs composé un recueil de madrigaux qui sera publié par son fils, après sa mort. Mais c’est aussi un coureur et un jouisseur qui se ruine au jeu. Le couple divorce, trouvant un accord après une procédure compliquée. Après le décès de son ancien époux, en 1679, Marguerite abandonne la Folie-Rambouillet. Elle vivra d’une rente que le roi lui accordera pour la féliciter d’avoir abjuré la religion protestante en 1685, quelques mois avant la révocation de l’Edit de Nantes.

La Folie-Rambouillet devient alors propriété de Quentin de la Vienne, un barbier de Paris que le roi Louis XIV attache à son service, afin de bénéficier de ses secrets aphrodisiaques.

Au commencement du XVIIIème siècle Hyacinthe-Guillaume Foullé de Martangy, avocat général rachète le domaine, L’édition du guide Brice de Paris en 1714 continue de vanter le charme des jardins, indiquant toutefois que « toutes ces choses ne sont pas fort bien entretenues et ont beaucoup perdu de la beauté qui y était autrefois ».

En 1719 le domaine est morcelé et vendu. Le banquier John Law en achète la moitié, et transforme le parc en jardins potagers affermés à des maraîchers. Après sa banqueroute, le domaine est encore vendu plusieurs fois.

En dépit de ces changements de propriétaires, ces terres font toujours partie du fief de Reuilly, qui dépend du Grand prieuré du Temple. Elles deviennent donc bien national à la Révolution, et leur vente par adjudication en 1791 fait disparaître les dernières traces de la Folie-Rambouillet.

Par la suite les terrains sont utilisés en 1847 par la compagnie du Chemin de fer de Paris à Lyon, pour les voies de la gare de Lyon, et d’importants ateliers de construction et de réparation de matériel ferroviaire.

En 1923 ces ateliers sont remplacés par des centres de tri postal et les installations de la Sernam.

Un siècle plus tard, cette zone fait actuellement l’objet du grand projet d’aménagement urbain « les messageries ».

projet « les messageries » 2023

Jusqu’en 1972, la place du Colonel-Bourgouin, à la jonction des quartiers de Bercy, Picpus et des Quinze-Vingts dans le 12e arrondissement de Paris portait le nom de place de Rambouillet. Aujourd’hui, seule la rue de Rambouillet, qui va de la rue de Bercy à la place du Colonel-Bourgouin, rappelle l’existence de cette Folie-Rambouillet, et du salon littéraire de madame de la Sablière … et nous donne l’illusion que la ville de Rambouillet est honorée dans Paris !

Christian Rouet
mai 2023

PS : Depuis 1965, il existe une autre rue de Rambouillet … au Québec. Mais là, il s’agit bien d’une référence à la ville de Rambouillet !

Cet article a 3 commentaires

  1. Olivier Dufournier

    Merci pour cet exposé lumineux, comme vous nous y avez habitués.
    Ayant habité le XIIème au début des années 80, après un séjour en garnison au 501 à Rambouillet, je me suis alors interrogé sur l’origine de cette petite rue bien modeste qui finit sous les rails de la gare de Lyon. Il m’aura fallu quarante ans pour avoir la clé de l’énigme. Depuis le quartier n’a cessé de se transformer. Après l’implantation de la gare de Lyon et la création de l’hôpital St-Antoine, la disparition de la caserne de Reuilly qui devait, je suppose, se trouver à l’emplacement de la Folie-Rambouillet est venue compléter ces bouleversements. Construite au XIXème, elle abritait jusqu’à la fin du siècle dernier un tribunal militaire et un centre de mobilisation, l’un et l’autre devenus sans utilité avec le transfert de la justice militaire à la justice civile et l’abandon de la conscription.
    Grâce à vos explications, on peut encore rêver à ce qu’était ce quartier, ou plutôt ce faubourg, dans les temps anciens.

  2. Gérard

    il existe aussi une calle de Rambouillet à Zafra (Espagne) dans un quartier récent .
    Référence à la ville de Rambouillet jumelée avec Zafra j’imagine.
    .

    1. christian Rouet

      oui, de même que la « Rambouillet Close » à Great Yarmouth, le « clos de Rambouillet » à Waterloo ou la « Rambouillet-Platz » de Kirchheim : chaque jumelage est l’occasion d’un baptême de rue dans chacune des villes.

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