L'Orangerie des Trois Roys
Après nous être intéressés à la rue Troussevache (rue Lachaux) et la rue de l’hôpital (rue Raymond Poincaré ), revenons aujourd’hui au Carrefour Maillet, pour emprunter l’actuelle rue Raymond Poincaré, et nous intéresser plus spécialement à son établissement le plus emblématique : l’Orangerie des Trois Roys.
A l’origine de la rue
Le Carrefour Maillet marquait autrefois la limite nord-ouest de la ville. C’était la « Porte de Paris ». Pendant longtemps les historiens ont pensé qu’il s’agissait d’une véritable porte ouverte dans l’enceinte de la ville, mais il est établi aujourd’hui que les « remparts », dont la rue des remparts (rue d’Angiviller) a perpétué longtemps le souvenir, n’étaient pas des fortifications, mais des fossés (lire l’article de Ph-J. Vallot).
La portion du Grand chemin pavé de Paris à Chartres, qui va du Carrefour Maillet à l’ancienne église Saint-Lubin, est l’une des plus anciennes rues de la ville. Conduisant à la place du marché, au relais de poste, et se prolongeant jusqu’à la Porte de Chartres, c’était naturellement un emplacement de choix pour les tavernes. Il n’en manquait pas !
Ma reconstitution ci-dessus est loin d’être exacte, car les bâtiments ont changé plusieurs fois au cours des siècles.
Cependant, elle donne une idée de l’emplacement au XVIIème siècle, en 1 de l’auberge des Quatre fils Aymon, en 2 de La Croix Blanche, en 3 de L’image Notre-Dame, en 4 du Cheval Blanc, en 5 des Trois Rois, en 6 de L’image Saint-Martin, en 7 du Lion d’Or, en 8 du Pavillon, en 9 du Cygne, en 10 du Mouton et en 11 de La Rose Blanche.
Nos ancêtres ne risquaient pas de mourir de soif dans ce quartier (bien que certaines enseignes désignaient des maisons et non obligatoirement des auberges )!
Au XVIIIème siècle le chemin devient rue des Juifs depuis le Carrefour Maillet jusqu’à l’église. Je n’ai pas trouvé d’explication à ce nom : certes, il existait une rue des Juifs dans de nombreuses villes de France, mais désigner ainsi la rue par laquelle on pénètre dans la ville, à proximité immédiate de l’église, est assez surprenant! Faut-il en conclure que l’une des maisons avait abrité à une certaine époque le bureau de prêt d’une famille juive (seules autorisées autrefois à pratiquer cette activité financière que l’Eglise interdisait aux chrétiens) ?
A la Révolution, de nombreuses rues sont rebaptisées, afin de prouver l’esprit civique des Rambolitains, et la rue des Juifs devient un temps, rue Marat. Le sous-préfet Levasseur, grand admirateur de l’Empereur à qui il devait sa nomination, en fait en 1812 la rue de Moskou, afin de commémorer la prise de la ville.
En 1833 elle devient rue de Paris, avant de prendre son nom actuel de rue Raymond Poincaré en 1934 (JBlecon, « Historique des rues de Rambouillet »).
Cette rue a naturellement perdu beaucoup de son intérêt commercial le jour où elle a cessé d’être la voie d’entrée dans Rambouillet, et qu’elle a été mise en sens-unique vers Groussay et Paris. Avec son trottoir minuscule d’un côté, et inexistant de l’autre, elle ne prédispose pas aux flâneries, d’autant que les SUV qui s’y garent craignent pour leur carrosserie et pensent qu’ils risquent moins à empiéter sur le trottoir qu’à respecter les limites.
Aujourd’hui, c’est sans conteste le restaurant de Guillaume Chapelle qui en est le commerce le plus important.
L’orangerie des Trois Roys
Dès 1686, la maison des Trois Rois, louée à damoiselle de Godard de Barisseuse devient une école de filles, dont l’activité se poursuit jusqu’à la Révolution. Longtemps après le décès de sa fondatrice elle est gérée par la Communauté des soeurs de l’Ecole de Rambouillet.
J’ai déjà évoqué cette école, qui est à l’origine de l’école Sainte-Thérèse (notamment ici). Je ne reviens donc pas sur cette époque.
Fondée en 1846, la Maison J. Trouvé, vend ses objets de vannerie au n°4 jusqu’en 1930 (environ), date à laquelle elle se transporte rue des Eveuses.
En janvier 1942, le bâtiment est vendu à M. Nivet, propriétaire exploitant de l’hôtel-restaurant mitoyen « le Relays du Château », qui souhaite s’étendre. Mais la guerre contrarie ses plans, et en 1946, il revend en l’état la maison à M. Blaise, qui y exerce une activité de plombier couvreur.
En 2010, achetée par M. Chapelle, elle devient un restaurant de standing, sous le nom de « l’Orangerie des Trois Roys ».
L’orangerie ?
Fleuriau d’Armenonville a effectivement fait construire une orangerie lorsqu’il est devenu propriétaire du château de Rambouillet. Elle était en bordure du parc, à l’emplacement de l’actuelle mairie, et elle fut détruite sous Louis XVI pour construire l’hôtel du bailliage.
Dans un procès-verbal établi pour le mariage du duc de Penthièvre (cité par Jean Blécon) elle contenait en 1744 « 31 orangers Bigarades, 2 orangers portugais, 16 orangers sauvages, dix-huit petits orangers greffés dans leurs caisses… »
Si cette orangerie n’a donc pas de rapport direct avec l’emplacement du restaurant, son existence à Rambouillet, de 1705 à 1785 ne fait aucun doute.
Les Trois Roys ?
Le roy s’écrivait bien ainsi autrefois, cependant son pluriel était « rois ». C’est ainsi que Jésus était dit : « Le Roy des Rois ».
Ce n’est que dans la troisième édition du dictionnaire de l’Académie (1740) que le roy est devenu roi. Cependant, avant ou après cette simplification orthographique, son pluriel n’a jamais été en Y et cette maison était donc autrefois la Maison des Trois Rois.
Le choix d’utiliser aujourd’hui un Y, qui n’a pas plus de sens que dans son voisin le Relays du château (qui s’est même intitulé : Relays du chasteau) est donc purement commercial ! N’est-ce pas pour cette même raison que nous sommes dans le département des Yvelines, avec un pluriel imaginé pour faire « plus noble » à la demande du Président de Gaulle ?
Mais qui sont ces trois rois ?
On pourrait penser à cette fameuse nuit du 2 août 1830 où trois rois de France ont dormi ensemble dans le château de Rambouillet : Charles X, qui venait de signer sa lettre d’abdication, son petit-fils qui acceptait le trône sous le nom d’Henri V, et son fils qui, pour renoncer au trône qui aurait dû lui revenir, devenait, le temps de signer son acte de désistement, Louis XIX.
(Je rappelle que Louis-Philippe, évitant de rendre public l’arrangement décidé par son cousin, se fit élire roi des Français, supprimant de notre mémoire les éphémères Louis XIX et Henri V !)
Assurément ce serait faire ainsi allusion à un événement unique dans l’histoire de France ! Cependant il ne peut s’agir de cet événement, puisque « Les Trois Rois » était déjà le nom de cette maison au XVIIème siècle. Il s’agissait donc, comme dans bien d’autres établissements de France, des trois rois mages de la Nativité.
En fait ceux-ci ne sont mentionnés que dans le seul évangile selon Saint Mathieu. Guidés par une étoile, ils viennent d’orient apporter des présents à l’enfant-Dieu :
« Or, des mages venant de l’Orient arrivèrent à Jérusalem. Ils demandaient : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile, et nous sommes venus lui rendre hommage… »
Il est intéressant de se souvenir que dans cet évangile, ils ne sont pas « rois », mais « mages », et que, par ailleurs, il n’est dit nulle part qu’ils sont trois.
Quant aux autres évangiles canoniques, aucun n’évoque cet épisode, en décrivant la Nativité.
Au fil des siècles, s’inventent les détails…
Mages à l’origine, ils deviennent des « fere reges » (= presque rois ) sous la plume de Tertulien au IIIème siècle, et bientôt des rois. Et pour éviter toute discussion, ils sont aujourd’hui des rois-mages.
C’est Origène, en 250 qui fixe leur nombre à trois, ce qui lui permet d’en faire le symbole de la logique ou « philosophie rationnelle » (personnalisée par le mage Abimélech), de la physique ou « philosophie naturelle » (le mage Ochozath), et de l’éthique ou « philosophie morale » (le mage Phicol).
Ils deviennent en occident Gaspard, Melchior et Balthazar pour la première fois dans un manuscrit du VIIIème siècle.
Et il faut attendre le Xème siècle pour que chacun d’eux se voie doté d’une personnalité propre, et de caractéristiques physiques qui les feront symboliser les trois continents d’Europe, Asie et Afrique. Balthazar devient noir au XIVème siècle et le demeure à partir du XVIème siècle.
A la Renaissance, l’adoration des mages devient un des thèmes les plus populaires de l’iconographie chrétienne, probablement parce que riches donateurs et nobles sires préfèrent se faire représenter, aux pieds de l’Enfant-Dieu, parmi des rois que mêlés à de vulgaires bergers !
Enfin, à partir du XIVème siècle, s’y ajoute en France la tradition du « repas des rois » et notamment de la galette, ce qui en fait un thème parfait pour un restaurant.
Comme celle de Rambouillet fleurissent donc en Europe les tavernes, hostelleries ou auberges des Trois Rois.
Resterait, certes, à comprendre le rapprochement opéré entre l’orangerie de Fleuriau d’Armenonville et ces rois mages, mais pourquoi faudrait-il pouvoir tout expliquer ?
Quoi qu’il en soit, ce restaurant a bénéficié d’une restauration immobilière de grande qualité, et offre aujourd’hui à ses convives un très beau décor, avec sa grande verrière qui donne sur un jardin, à l’arrière du Mercure.
Ces deux photos, prises avant et après la restauration montrent bien la façon dont l’étage a bénéficié seulement d’un ravalement de façade qui met en valeur ses cinq fenêtres. Le toit a reçu cinq chiens assis qui se marient bien avec l’ensemble, et ont permis la transformation des combles en appartement.
C’est la transformation du rez-de-chaussée qui est la plus spectaculaire, avec la suppression de la vitrine de l’ancien magasin, et des deux larges entrées carrées qui défiguraient l’immeuble. Elles ont été remplacées par trois fenêtres, en symétrie parfaite avec celles de l’étage, et l’entrée du restaurant est maintenant intégrée sous l’arrondi de l’ancienne porte cochère.
Une vraie réussite !
A l’intérieur, la salle de restaurant est doublée par une grande verrière qui donne sa lumière aux clients et leur permet d’apprécier le jardin arrière. Les caves anciennes ont retrouvé le charme de leurs voûtes, et offrent caves à vins et fumoir.
Son propriétaire, Guillaume Chapelle, n’en est pas à son premier essai. Outre l’Huitre sur le zinc (autrefois rue Chasles), et un restaurant à Saint-Léger, il a lancé récemment le Limonaia, un restaurant italien à droite du Mercure (ex Bisson), tout en ouvrant rue de Gaulle l’Orangerie Marée Rambouillet, boutique de poissonnerie et épicerie fine.
Ici il a choisi, à l’évidence, de cibler une clientèle haut-de-gamme, offrant un type de restauration qui n’existait plus à Rambouillet.
Quelques autres commerces de la rue
Il reste tout à fait possible de réussir dans cette rue, à condition d’exercer une activité suffisamment attractive pour que les clients viennent à elle…
De nombreux commerçants n’ont fait qu’y passer. D’autres ont laissé un souvenir durable, et, à l’intention de nos anciens, je voudrais en évoquer quelques uns.
D’abord bien sûr Pierre Quemard et son magasin de brocante.
Plus proche de nous, Le Samovar, salon de thé, tenu par Mme Verseau, a été remplacé depuis longtemps par un restaurant asiatique, le Mandarin, devenu aujourd’hui l’Hokkaido.
A l’Aiglon, JP Laty accueillait une clientèle du soir. Il avait gardé de son prédécesseur une salle dans la cour arrière où il pouvait recevoir des groupes. Il y avait là le seul billard français de la ville, avant l’ouverture du bowling.
Un excellent relieur a occupé longtemps le n°10 avant de céder la place à Mehdi le coiffeur, pour se replier à Montfort (il me semble qu’il avait repris l’emplacement de la Cordonnerie du Château).
L’agence immobilière du Château s’est déplacée devant la gare, mais ses locaux vont bientôt accueillir une nouvelle activité (je crois que je ne dois pas encore dire laquelle).
Quant au tatoueur Sub Rosa, il s’est agrandi et occupe maintenant deux emplacements. Voici une activité dont j’ignore tout, mais il semble qu’elle répond à une véritable demande !
N’hésitez pas à m’envoyer vos propres souvenirs pour compléter ce paragraphe !
Christian Rouet
mars 2024