La poste aux chevaux

La poste aux chevaux, et ses relais qui bénéficiaient d’un monopole d’Etat a assuré durant quatre siècles le transport rapide des messages, puis des marchandises, et enfin des voyageurs.
C’est le développement du réseau ferré qui a entrainé sa fermeture en 1873.

Celle de Rambouillet a occupé successivement trois emplacements que nous visiterons, après un rappel du fonctionnement de cette institution.

L’origine de la poste

La taille de l’empire romain, et son organisation centralisée exigeaient que des messages puissent parvenir rapidement à des lieux éloignés de Rome. L’empereur Auguste crée vers les années 20 avant JC le cursus publicus : un réseau de voies équipées de relais.

Un document étonnant, la table de Peutinger, copie réalisée au XIIIème siècle d’une ancienne carte romaine, nous montre le tracé des voies romaines dans tout l’empire.

Orleans – Paris

Le tracé Orléans-Paris était direct, passant par la trouée de Saint-Arnoult. Par contre, pour relier Chartres à Paris, sans traverser le massif forestier (et marécageux) du pays d’Yveline, la route reliait Chartres à Dreux, Evreux, Rouen, Magny-en-Vexin, Pontoise et Paris.

tracé Chartres-Paris

Le cursus publicus survit à l’empire romain. Cependant, au Moyen Âge l’absence de pouvoir central conduit à son remplacement par des messageries privées dont disposent le roi, les seigneurs, les abbayes, les universités et les principales villes.

La poste aux chevaux

Au XVème siècle, Louis XI a besoin d’être renseigné rapidement sur l’état de son royaume, dans sa lutte avec Charles le Téméraire. Il crée une poste royale, sur le modèle du cursus publicus.

Des chevaucheurs galopent à cheval pour porter les messages. Tous les 20km, environ, il leur faudrait s’arrêter pour laisser reposer leur monture. C’est sur l’installation de relais de poste où ils peuvent échanger leur cheval fourbu contre un cheval frais que repose le principe et l’efficacité de cette poste aux chevaux.

Créée vers 1476, elle disposera de plus de 2000 relais à la fin du XIXème siècle.

Le mot « relais » a désigné dès le XIIIème siècle, en vénerie, les « chiens de chasse frais postés sur le parcours d’une chasse pour remplacer ceux qui sont las ». Le terme a été repris au XVIème siècle pour les chevaux, et au XVIIème pour désigner « l’endroit où l’on s’arrêtait pour changer de chevaux » .

François 1er ouvre ce service initialement réservé au roi, et permet aux particuliers d’utiliser ces relais pour voyager. Une étape supplémentaire est franchie avec Henri IV qui crée la « poste aux lettres » destinée au transport du courrier des particuliers.

Le mot courrier désigne alors, non les lettres elles-mêmes, mais la personne qui « courre la poste » accompagnée d’un postillon.

Le courrier reçoit et délivre les dépêches d’un bureau de poste à l’autre, voyageant de jour comme de nuit, parfois dans des conditions dangereuses. Il fait un trajet complet, tandis que chaque postillon ne l’accompagne que jusqu’au relais suivant, pour ramener au trot, le cheval fatigué à son point de départ.

Jusqu’à Louis XIII la « malle aux lettres » (on dit « la brouette ») ne peut pas prendre de voyageurs, pour ne pas contrevenir au monopole des voituriers. En 1793 elle est remplacée par la « malle-poste », plus grande, et celle-ci est autorisée à transporter des voyageurs.

Dès la fin du XVIIIème siècle, on peut voyager aussi dans une diligence (le terme ne désigne pas un véhicule déterminé, mais le service accéléré de transport de passagers). Le cocher, assis à l’avant, est responsable de son équipage. Il accueille les voyageurs, ferme les portières; il dispose d’un frein pour arrêter sa voiture. Cependant c’est le postillon, monté sur le cheval de gauche (le bricolier) qui conduit. Si l’attelage comporte six chevaux ou plus, il faut deux postillons en ligne.

Le relais de poste se double alors d’une auberge où les voyageurs peuvent se détendre, prendre un repas, voire passer la nuit avant de reprendre un voyage que l’état des routes et la conception des véhicules rend très inconfortable et souvent dangereux. A Rambouillet les voyageurs peuvent traverser la rue pour demander à Saint-Lubin, de veiller sur leur voyage. C’est une sage précaution car les accidents sont fréquents (4000 accidents faisant plus de 1000 victimes en France durant la seule année 1827 !). Et les routes ne sont pas toujours sûres. De nombreuses attaques ont lieu en forêt, entre Rambouillet et Le Perray. L’attaque du courrier de Lyon, dans la forêt de Sénart, en 1796, a un grand retentissement. Elle reste connue parce que, parmi les 6 brigands guillotinés, on découvrira cinq ans plus tard que l’un d’eux était innocent.

La poste aux chevaux de Rambouillet

La première carte imprimée des postes de France, dressée par Nicolas Sanson d’Abbeville en 1632, montre que les liaisons Chartres-Paris se faisaient en contournant le pays d’Yveline, soit par l’Est, et la trouée de Saint-Arnoult, soit par l’Ouest en reprenant le tracé du cursus publicus via Dreux, Evreux … Ces routes évitaient donc Rambouillet.

carte de Sanson

Cependant Rambouillet figure déjà dans la « Liste générale et alphabétique des postes, avec leur jour de départ tant dedans que dehors le Royaume en l’année 1700 » publiée dans l’Almanach Royal, avec « un départ tous les jours à six heures du soir ».

Et en 1792, dans la « Carte géométrique des routes de postes du Royaume » la ville est à l’embranchement des deux voies Orléans-Angerville-Auneau-Rambouillet et Chartres-Maintenon-Epernon-Rambouillet ce qui lui confère donc une certaine importance. On voit qu’entretemps le réseau s’est considérablement étoffé.

Carte géométrique des routes de postes du Royaume  de 1792.

Grâce aux renseignements fournis par Philippe-Jean Vallot qui prépare un article sur le sujet (à paraître sur le site Académia), nous disposons de précisions quant à sa création. Je les ajoute ici :

C’est précisément en 1651 que le premier relais de poste s’est installé à Rambouillet. Le premier maître poste, Pierre Salby, l’exploite dans la « Maison du Cygne », sur la place de  l’église. L’immeuble est acquis en 1698 par Fleuriau d’Armenonville. Devenu la propriété du  comte de Toulouse, il est démoli en 1707, et le relais de postes est alors transféré à la « Maison du Mouton »,agrandie de la « Maison de la Rose Blanche » contigüe.

En 1710 Pierre Salby décède. Il est enterré dans l’église Saint-Lubin, signe de son importance. Edme Marcille (1720), Louis Regnault (1728), puis Jean Lemesle (1745) lui succèdent. 

La maison qui l’abrite s’appelle la « Maison du Mouton ». C’est l’une des principales auberges de la ville. Jean Blécon a reconstitué son plan : trois bâtiments à usage d’écuries pouvaient y accueillir jusqu’à 42 chevaux. Pas d’abreuvoir, mais un puits à l’intérieur de la cour. Des chambres en étage au dessus des chevaux. Des logements, dont celui  du maître de poste Jean Lemesle, à qui succède ensuite son fils François-Marie-Honoré Lemesle.

la maison du Mouton (Jean Blecon)
le maître de poste

Le maître de poste est un notable.

« Les maîtres de poste doivent porter un habit bleu, aux parements, poches et collet, une baguette or et argent; veste et culotte chamois; (…) La veste des postillons reste bleue, collet et parements rouges; ils porteront un galon d’argent, au bout de 20 ans de service; et au bout de 30, le même galon aux parements. » (ordonnance du 17 août 1786)

A Rambouillet, plus que par son costume, Jean Lemesle se fait remarquer en 1773 par la richesse de ses cabriolets. Il en possède trois pour ses déplacements personnels : un jaune, un vert et un rouge.

On comprend que son fils juge prudent d’émigrer durant les premières années de la Révolution.

habit de postillon

Le postillon, lui, se remarque surtout par ses énormes bottes. Chacune pèse plusieurs kilos, car elle comporte une armature métallique intérieure pour protéger la jambe d’un risque d’écrasement. Ces bottes restent souvent attachées au cheval, le postillon les chaussant alors en gardant au pied ses chaussures ordinaires.

Ce sont ces bottes, dérobées à l’ogre, que le Petit Poucet chausse pour des enjambées de 7 lieues. Pourquoi 7 lieues ? Parce que c’est la distance moyenne qui sépare 2 relais de poste !

Pendant des années, une réglementation très complexe va tenter de faire cohabiter des organisations concurrentes : publiques ou privées, de messagerie, de transport de marchandises ou de personnes, de louage de chevaux…

Par exemple, pour ne pas concurrencer les postes dont l’argument principal est la vitesse de transport, les loueurs de chevaux ne peuvent faire aller leurs bêtes qu’au pas ou au trot : il leur est interdit de les faire galoper ! Quant aux voituriers ils ne sont pas autorisés à annoncer à l’avance leurs horaires.

Turgot propose en 1775 une réforme ambitieuse afin d’améliorer le service tout en augmentant les revenus du Trésor. Elle ne satisfait personne et un an après elle est abandonnée. A l’époque il n’est pas aussi simple qu’aujourd’hui de décréter une réforme !

une turgotine

Il en restera la turgotine, plus confortable que les lourds chariots qui l’ont précédée.

l’image Saint-Martin

A Rambouillet, en 1784, Louis XVI fait démolir la Maison du Mouton pour aménager la place du marché, et y construire un nouvel hôtel du bailliage. La poste aux chevaux se transfère donc dans l’immeuble de l’Image Saint-Martin, derrière l’église (actuel hôtel Mercure).

Elle y fonctionne durant 11 ans.

Elle dispose là de locaux à peu près identiques à ceux qu’elle avait précédemment. Leur description nous est donnée par le procès verbal d’inventaire dressé pour leur vente : des écuries pour 49 chevaux, des chambres des postillons et palefreniers en étage, divers logements dont celui du maître de poste -qui a l’obligation de loger sur place- le tout entourant une cour pavée…

Cependant la ville prend de l’importance, et Rambouillet connaît déjà ses embarras de circulation. Toutes les rues sont alors à double sens, et les jours de marché, atteindre le relais de poste ne doit pas être simple !

L’immeuble de la nouvelle poste aux chevaux a été acquis sur les fonds personnels du roi. Il devient donc bien national, et en 1795 il est mis en vente.

En 1797 Lemesle est revenu à Rambouillet, où le Tribunal Révolutionnaire l’a radié de la liste des émigrés.

la poste aux chevaux de la rue Pierrefite au cadastre

Il reprend son activité de maître de poste en louant, puis en achetant les locaux précédemment occupés par les écuries de l’hôtel de la vénerie à l’entrée de la rue de la Pierrefite (bd du Mal Leclerc).

Cette fois, outre son puits, le relais peut sans doute profiter de points d’eau plus importants avec abreuvoir et lavoir au bord du parc. Et l’accès est maintenant beaucoup plus facile venant de Gazeran ou d’Ablis.

Un document rare : photo de la cour du relais de poste (collection Painvin)

Remarquons qu’aucune de ces trois installations n’a disposé de sa propre forge. Pourtant au XVIIIème siècle, on estime qu’un cheval usait ses 4 fers en un mois, et leur remplacement constituait donc un budget important pour le maître de poste. Sans doute Lemesle trouvait-il plus intéressant de faire travailler l’un des nombreux maréchaux-ferrants de la ville.

Il est difficile de savoir quel était le personnel employé dans une poste aux chevaux comme celle de Rambouillet. Le recensement de 1846 nous donne cependant une indication minimale, en mentionnant rue de la Pierrefite, outre la famille du maître de poste, celles de Morin, Tessier et Dauvillier, tous trois postillons, celle de Decourty, voiturier, Jabineau, Hardouin, Barnabé et Doléan, quatre charretiers célibataires ainsi que plusieurs domestiques.

Les voyageurs peuvent séjourner de l’autre côté de la rue, dans l’hôtel Saint-Lubin.

Chaque maître de poste est responsable d’une portion, plus ou moins grande du réseau.

Dans le seul arrondissement de Rambouillet, en 1840 ils sont 5 à se partager les lignes. En direction de Paris, Lemesle passe le relais à Hautducoeur à Coignières, et en direction de Chartres à la poste aux chevaux d’Eure-et-Loir, à Epernon.

Cependant François-Marie-Honoré Lemesle ne profite pas longtemps de sa nouvelle installation, puisqu’il décède en 1808, âgé seulement de 49 ans. Ses deux garçons, François-Marie, déjà désigné comme maître-poste dans un acte de 1780, et Victor-Bernard son cadet, lui succèdent et gèrent la poste aux chevaux de Rambouillet jusqu’en 1841.

En 1841 la poste aux chevaux de Rambouillet est reprise par François Lefebvre dont le préfet remarque que «ses opinions sont presque toujours en opposition avec les principes du gouvernement actuel !» Rappelons que les maîtres postes, premiers à recevoir les nouvelles, jouaient souvent un rôle politique local. Ils devaient donc être agréés par le préfet qui n’hésitait pas à les utiliser.

Une histoire bien connue montre leur importance : le 21 juin 1791, la famille royale s’enfuit de Paris. Ce sont les maîtres de postes qui en sont informés les premiers. A 14h30 le maître de poste de Chaintrix reconnaît le premier le roi. A 19h55 Drouet, le maître de poste de Sainte-Menehould le reconnaît à son tour, mais le laisse, lui aussi, poursuivre sa route. La municipalité, après délibération le mandate pour se lancer à la poursuite du roi. Drouet le rattrape au relais de Varennes à 22h55. Le roi en perdra la tête …

Notons au passage que la voiture des fuyards, lourde berline tirée par six chevaux, a parcouru 226km en 22 heures, soit une moyenne de 10km/h (12km/h entre Paris et Chaintrix).

Lemesle est conseiller d’arrondissement de Rambouillet, et il le reste plusieurs années après sa cessation d’activité, quant à François Lefebvre, il sera député, représentant du peuple.

Cependant, avec le développement du chemin de fer, l’intérêt de cette organisation décroît rapidement. La défaite de 1870 accélère le besoin de modernisation du pays et en 1873 la poste aux chevaux est supprimée définitivement.

Les maîtres de poste réclament une indemnité compensatrice, pour la disparition d’une charge qui leur avait été vendue par l’Etat, cependant, le 23 janvier 1874, ils sont définitivement déboutés par le Conseil d’État.

1er octobre 1907

Restent des voitures publiques pour des trajets par route comme celles de M. Groult dont les voitures de quatre et huit places desservent chaque jour Chartres et Versailles, ou de M. Choffot qui conduit ses passagers jusqu’à Paris, avec un arrêt à Versailles. Ou encore des voitures en location, comme celles proposées par Gaillard, devant la gare, qui assure également des circuits courts comme celui de Rambouillet-Orphin-Poyers, deux fois par jour, ou de Rambouillet à Ablis chaque matin.

En 1890, le bureau des voitures publiques est transféré chez M. Vincent, à l’hôtel du Pont-Hardi.

A Rambouillet, l’immeuble de la Pierrefite, dit de « la vieille poste », abritera plus tard l’atelier du sculpteur Gaston Le Bourgeois. Un parking et un restaurant le remplacent aujourd’hui.

Christian Rouet
mai 2023

Ajoutons que Séverine-Pélagie, la fille cadette de François-Marie-Honoré Lemesle restera habiter rue de la Pierrefite, un peu plus loin que la poste aux chevaux, après le décès de son mari Robert Moutié. Je la cite, parce que son fils Auguste, historien, archéologue, co-fondateur et président de la Shary nous a laissé de nombreux ouvrages sur la région de Rambouillet. La rue Auguste Moutié est dans le quartier de la Louvière.

Cet article a 2 commentaires

  1. Vallot

    Effectivement Christian j’ai oublié de mettre mon nom 😊 c’était un petit complément résultant d’un début d’article assez long avec plein d’inédits a paraître bientôt sur le site Academia. Bien à toi
    Et en tout cas, merci de faire revivre cette aspect oublié de Rambouillet…Philippe Jean

  2. christian Rouet

    Un de nos abonnés m’a envoyé un complément d’information très intéressant quant à la création de la première poste en 1651. Je l’en remercie ici, n’ayant pas ses coordonnées. Ses renseignements ont été intégrés dans le corps de l’article.
    Il semble qu’une étude serait envisagée sur ce sujet (travail personnel ? ou dans un cadre associatif : SHARY, PARR, HMPY? ).

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