la guirlande de Julie

La Guirlande de Julie

Nous allons aujourd’hui parler d’amour et de poésie. Et tant pis si cette histoire n’a finalement qu’un rapport un peu lointain avec Rambouillet, puisqu’elle se situe, certes à l’hôtel de Rambouillet, mais celui-ci est un salon littéraire … de Paris.

La famille d’Angennes

les armes de la famille d'Angennes
les armes de la famille d’Angennes

Cette noble famille, dont le nom vient de la terre d’Angennes, dans le Thymerais (Perche), entre dans l’histoire de Rambouillet en 1384, lorsque Regnault d’Angennes, écuyer et « premier valet tranchant » du roi Charles VI achète à Guillaume Bernier le domaine de Rambouillet. C’est un personnage important : il tranche les aliments, à la table du roi, et il a en outre la garde de l’étendard royal (le rapport entre ces deux fonctions m’échappe un peu !) : il est donc en permanence très proche du roi.

Rambouillet restera terre d’Angennes durant trois siècles, jusqu’en 1699, lorsque Joseph Fleuriau d’Armenonville, s’en portera acquéreur.

On sait que le blason de la ville est composé pour sa moitié gauche à partir des armes des d’Angennes.

Nicolas d'Angennes
Nicolas d’Angennes

Sautons deux siècles de la lignée des d’Angennes, pour nous arrêter à Nicolas d’Angennes (1533-1611). Il est capitaine des gardes de Charles IX puis de Henri III, ambassadeur de Henri III puis de Henri IV à Rome et en Allemagne, et gouverneur de Metz.

Parmi les membres de la famille d’Angennes, c’est lui que Rambouillet a choisi pour lui donner le nom d’une rue (la rue Nicolas d’Angennes prolonge la rue d’Angiviller pour desservir plusieurs résidences en voiture, et permet de rejoindre à pied la rue Lachaux par la sente William Turner). Nicolas d’Angennes a également sa statue dans le hall de la mairie. Elle a fait récemment l’objet d’une polémique, certains voyant dans son attitude un signe religieux contraire à nos principes de laïcité.
(Sans vouloir prendre parti, et en espérant que les Rambolitains n’aient jamais de question plus importante à débattre, je ferai remarquer, en assumant ma mauvaise foi, que rien ne permet de décider si Nicolas d’Angennes est en train de prier son Créateur, ou d’implorer le pardon de Henri IV pour avoir égaré son panache blanc !)

Son fils Charles II d’Angennes est seigneur de Rambouillet en 1577. Il occupe lui aussi des charges importantes auprès du roi Louis XIII : Grand-Maître de la garde-robe du Roi, capitaine des gardes, puis maréchal de camp en 1620, ambassadeur de France en Italie durant la guerre de succession de Montferrat, puis ambassadeur en Piémont et en Espagne en 1627.

En récompense de ses loyaux services, le roi érige son domaine de Rambouillet en marquisat en 1612.

En 1600 Charles II d’Angennes épouse Catherine, fille de Jean de Vivonne, marquis de Pisany dont les terres sont en Charente–Maritime. Il a 23 ans. Elle en a … 11 !

L’hôtel de Rambouillet, à Paris

le premier hôtel de Rambouillet
le premier hôtel de Rambouillet

Avec de telles fonctions à la cour, on comprend bien que si les d’Angennes ont acquis le château de Rambouillet, ce n’est pas pour y résider.

C’est ainsi que jusqu’en 1606 Nicolas d’Angennes possède un très bel hôtel particulier rue Saint-Honoré dont nous connaissons seulement cette esquisse. Son acquéreur le revendra en 1624 à Richelieu, qui fera construire sur son emplacement le Palais Cardinal, futur Palais-Royal.

l’hôtel Nicolas d’Angennes de Rambouillet  place des Vosges
l’hôtel Nicolas d’Angennes de Rambouillet

Nicolas d’Angennes s’installe ensuite place Royale (aujourd’hui place des Vosges) dans un élégant bâtiment toujours connu sous le nom de « l’hôtel Nicolas d’Angennes de Rambouillet ». Il y décède en 1611.

Pour sa part, Catherine de Vivonne a hérité en 1599, à la mort de son père, de l’hôtel de Pisany, rue Saint-Thomas-du-Louvre (approximativement à l’emplacement de l’actuel pavillon Turgot du Louvre). Elle en dirige elle-même la reconstruction, sur ses propres plans, pour la doter notamment d’une série de salons communicants, propres à recevoir dans les meilleures conditions.

l'hôtel de Rambouillet, ancien hotel Pisani
l’hôtel de Rambouillet, plan de Gomboust 1652

De nombreux témoignages attestent de l’élégance de cet hôtel ainsi transformé, insistant notamment sur la belle ordonnance des pièces en enfilade, selon une inspiration italienne, et des hautes fenêtres sans appui, pour laisser passer le soleil et l’air.
« C’est d’elle qu’on a appris à mettre les escaliers à côté, pour avoir une grande suite de chambres, à exhausser les planchers et à faire des portes et des fenêtres hautes et larges et vis-à-vis les unes des autres. Et cela est si vrai que la Reine-mère, quand elle fit bâtir Luxembourg, ordonna aux architectes d’aller voir l’hôtel de Rambouillet, et ce soin ne leur fut pas inutile. C’est la première qui s’est avisée de faire peindre une chambre d’autre couleur que de rouge ou de tanné ; et c’est ce qui a donné à sa grande chambre le nom de la chambre bleue. » – (Tallemant des Réaux).

C’est là que Charles d’Angennes et son épouse vivent jusqu’à leur décès, en 1652 pour Charles et en 1665 pour Catherine. Ils ont sept enfants. L’ainée, Julie, vient au monde sept ans après leur mariage. L’hôtel Pisany devient ainsi l’hôtel de Rambouillet.

Le salon d’Arthénice

Retenue loin de la cour par les naissances rapprochées de ses sept enfants, et son souhait de les élever elle-même, Catherine ne peut pas aller dans le monde rencontrer les beaux esprits qu’elle admire.
Elle les fait donc venir à elle.
De 1608 à sa mort en 1665, le salon d’Arthénice (c’est Malherbe qui trouve cette anagramme avec les lettres de Catherine) reçoit écrivains, poètes, philosophes, artistes…

Parmi les habitués, Malherbe, Bussy-Rabutin, Corneille, la comtesse de Lafayette, Madame de Sévigné, Voiture, Vaugelas, Tallemant de Réaux et bien d’autres.
Elle mobilise des jeunes filles de la meilleure naissance pour agrémenter les rencontres par leur esprit et leur charme. La galanterie et le marivaudage changent les relations entre hommes et femmes, et appartiennent pour des siècles à l’image de la France…

Des auteurs viennent y lire leurs textes. Arthénice reçoit, allongée dans la ruelle de sa chambre bleue. On y fait des jeux, des concours de répartie, de bons mots. La langue française y est l’objet de toutes les attentions, et son enrichissement, celui d’une recherche incessante. C’est là –et dans de nombreux autres salons moins réputés– que naît la mode précieuse, entre 1626 et 1662, qui vise à modifier et embellir les mœurs et la langue française.

On sait que Molière, qui voulait s’adresser au plus grand nombre, appréciait peu ce mouvement élitiste qu’il a su ridiculiser dans ses « Précieuses ridicules ». Mais entre l’écriture, la mise en scène de ses pièces, et son travail d’acteur, où aurait-il trouvé le temps de fréquenter un tel salon ?

Le très beau film « Ridicule » de Patrice Lecomte rend bien, je crois, l’atmosphère d’un tel salon, même si son action se déroule un siècle plus tard.

En résumé, ce salon

« illustre le rôle éminent des femmes dans la sublimation des conflits par l’art de la conversation et le goût de l’analyse psychologique, autant qu’un art de vivre à la française, composé de gaieté, d’ironie et de douceur. » (Romain Vignest)

Dès son plus jeune âge, Julie, la fille ainée de Catherine de Vivonne, (elles n’ont que 17 ans d’écart) est présente à chaque réunion. Elle est aussi belle que cultivée et spirituelle, et tous les hommes qui fréquentent l’hôtel de Rambouillet en sont amoureux. C’est « l’incomparable Julie », « la divine Julie » ou « Princesse Julie »…

Et comme les extrêmes s’attirent souvent, c’est Charles de Sainte-Maure, baron de Montausier, un protestant assez rigoriste pour que Molière l’ait peut-être pris comme modèle pour son Misanthrope, qui réussit à la conquérir en 1645, après une cour assidue de 14 ans.  

La guirlande de Julie

Charles de Montausier aurait découvert durant le siège de Casal, en 1630 un recueil de madrigaux commandés par un habitant de la ville à divers auteurs et dédiés à une noble dame : « La guirlande de la comtesse Angela Maria Beccaria ».
Pour charmer Julie, il décide de reprendre cette idée, en lui offrant un ouvrage hors du commun, rédigé avec la participation des habitués du salon de Catherine de Vivonne.

Commencé en 1638 l’ouvrage est offert à Julie le 22 mai 1641, le jour de sa fête. C’est une merveille qui ne pouvait pas la laisser indifférente (même si elle se laisse encore désirer durant quatre ans !).

Le manuscrit comporte 90 pages. Son frontispice est entouré d’une guirlande de fleurs, dont chacune est reprise sur une page de l’ouvrage, accompagnée d’un madrigal.

(madrigal: Pièce de poésie qui renferme dans un petit nombre de vers une pensée ingénieuse et galante (dictionnaire de l’Académie).

Les 29 dessins de fleurs sont peints sur vélin par Nicolas Robert (qui a réalisé les gravures du Mémoire sur l’Histoire des plantes pour l’Académie royale des sciences). 

Ils sont accompagnés de 62 madrigaux, dont 16 écrits par Charles de Montausier, lui-même. C’est un célèbre calligraphe, Nicolas Jarry, qui calligraphie sur vélin, en ronde, tous les textes.

Enfin, l’ensemble est relié en maroquin rouge, avec les lettres J et L enlacées, par Le Gascon, l’un des plus habiles relieurs français de l’époque.

Voici, par exemple le dessin et le madrigal de « la tulipe  Flamboyante». Vous pouvez voir la totalité du manuscrit sur le site Gallica en cliquant ici.

 

Le duc de Montausier survécut 19 ans à Julie. Le manuscrit fut transmis après sa mort à leur fille, passa ensuite entre plusieurs mains, y compris un acheteur anglais, et il est maintenant détenu par la BNF. Des tirages sans gravures avaient été réalisés dès l’origine par le calligraphe Jary, afin de payer ses services. Des reproductions ont été depuis publiées à plusieurs reprises.

Epilogue

Après le mariage de Julie, Catherine de Vivonne continue à recevoir dans son hôtel de Rambouillet, mais le salon décline, notamment avec le décès de Voiture en 1648, qui en était l’hôte le plus assidu.

Catherine meurt le 2 décembre 1665. Elle avait composé sa propre épitaphe :

Ici gît Arthénice, exempte des rigueurs,
Dont l’âpreté du sort l’a toujours poursuivie;
Et si tu veux, passant, compter tous ses malheurs,
Tu n’auras qu’à compter les moments de sa vie.
 

Julie et Charles de Montausier continuent d’occuper l’hôtel de Rambouillet qui sera démoli après leur décès.
En 1661 Julie devient gouvernante des enfants de France et dame d’honneur de la jeune Marie-Thérèse d’Autriche. Elle restera sa dame d’honneur lorsque celle-ci deviendra reine de France. Elle meurt en 1671 âgée de 64 ans.
En 1668, Charles, devenu duc et pair de France, et converti au catholicisme, est nommé gouverneur du Grand Dauphin. Il meurt en 1690 à 80 ans.

Leur fille unique, Marie-Julie de Sainte-Maure, épouse Emmanuel II de Crussol, duc d’Uzés. La duchesse d’Uzés que nous connaissons bien dans notre région, pour son équipage de chasse à courre, est leur descendante en ligne directe.

A la mort de Marie-Julie, en 1695, ses héritiers mettent le domaine de Rambouillet en vente. Joseph Fleuriau d’Armenonville s’en porte acquéreur en 1699 : après trois siècles, le château sort ainsi de la famille d’Angennes.

De cette époque, Rambouillet conserve un demi blason, la rue « Nicolas d’Angennes », la « sente de la Guirlande de Julie » (près de la mairie), et le « collège Catherine de Vivonne » où nos petits Rambolitains continuent à faire évoluer le Français, dans un sens que n’avait sans doute pas imaginé la belle Arthénice.

Christian Rouet
mars 2022

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