Bouchers à Rambouillet

En 1763, lorsque François Petit, procureur fiscal, établit le recensement de Rambouillet, la ville compte 3 boulangers, 1 pâtissier, 4 bouchers et 5 charcutiers. Ce sont les commerces dits « pour la vie » (avec 10 aubergistes et 20 cabaretiers).

Malgré le développement des grandes surfaces autour de Rambouillet, et de leurs rayons spécialisés, ces activités sont encore bien présentes dans le centre-ville.

Que les végans veuillent bien me pardonner : cet article va parler de viande !

A l’origine de la profession

Au Moyen-âge le terme de bochier, s’est substitué progressivement au maisel, du latin macellum (abattoir, marché aux viandes), pour désigner l’artisan qui tue les animaux destinés à la consommation et vend de la viande crue. Le mot dérive de boc (bouc), et comme la viande de bouc n’a jamais été la plus consommée on peut penser qu’il y avait là une allusion au sacrifice traditionnel du bouc (le bouc émissaire).

Les chaircuttiers se distinguent des bochiers : ils leur achètent la viande crue dont ils ont le monopole (et obtiennent en 1513 le droit de s’approvisionner directement chez l’éleveur). Ils la cuisinent et vendent de la chair cuite.

La consommation de viande en France

A la veille de la Révolution la consommation en viande de boucherie du Français est encore très limitée. En milieu rural volailles et gibier (souvent de braconnage) fournissent un complément de protéine animale à bon compte.

Le Français consomme dans l’année 16kg de viande en 1789, 22kg en 1830, 40kg en 1880, 60kg en 1950, et 90kg depuis 1985.

La viande porcine reste la plus consommée dans le monde, et en particulier en France, bien qu’interdite par la religion juive, l’Islam et certaines églises chrétiennes –sans doute en raison des risques sanitaires auxquels elle exposait autrefois « Dans le cochon tout est bon » disait Brillat-Savarin !

Le droit de glandage (les porcs admis à se nourrir des glands dans la forêt) était strictement réglementé, à Rambouillet comme dans toutes les forêts, car la glandée freine la régénération des chênes. Aujourd’hui ce danger vient de la prolifération des sangliers.

Henri IV serait satisfait de constater que la volaille vient en seconde position dans la consommation française de viande. Les bouchers ont récupéré l’activité des tripiers (volailles et abats) et proposent des volailles prêtes à cuire ou déjà rôties. A l’élevage paysan, fermier ou familial de plein air s’est substitué un élevage intensif qui a permis des baisses de prix spectaculaires. Les conditions dans lesquelles sont élevés les animaux sont régulièrement dénoncées et si aucune hormone de croissance n’est plus utilisée en France depuis plus de 50 ans, le mythe du poulet gonflé aux hormones et stéroïdes persiste.

En troisième position, la viande bovine. Pendant plusieurs siècles le boucher recevait les bêtes sur pieds et procédait à leur abattage dans sa cour. Les rues de Rambouillet se teintaient régulièrement de rouge. C’est parce que le boucher travaillait sur son billot des demies-carcasses que celui-ci avait cette forme creuse caractéristique.

La vache me demande de préciser à ses détracteurs qu’elle ne pète pas. Mais elle avoue roter, même si elle a du mal à croire que ce soit si grave au plan planétaire. Évitons le débat.

boucher à Rambouillet
boucher rue de Gaulle (collection Eric Vallienne)

En tous cas elle serait à l’origine de 11% des émissions de gaz à effet de serre, et des voix nombreuses s’élèvent pour inviter les consommateurs à manger moins de viande bovine (et d’autre origine). Pour le moment, elles semblent avoir assez peu de succès puisqu’en 2023 cette consommation est toujours en hausse.

Le Français mange moins de viande de mouton (animal de plus de deux ans) ou d’agneau, (mouton immature vendu très jeune) depuis 1970. Elle est fortement concurrencée par les viandes porcines, volailles et viandes bovines. Son prix élevé lie traditionnellement la viande d’agneau aux fêtes religieuses, et l’élevage français se spécialise dans des viandes de qualité (sans vouloir le vexer, ce n’est pas le cas du mérinos de Rambouillet, réputé pour sa laine et non pour sa viande).

Et le cheval ?

Comme celle du porc, la consommation de la viande de cheval est interdite par la religion juive puisque le cheval n’est pas un ruminant et n’a pas le sabot fendu (elle est seulement déconseillée par l’Islam). Cependant l’Eglise, depuis Saint Paul, a rompu avec les interdits hébraïques et n’avait donc pas de raison d’interdire la consommation de viande de cheval (ou hippophagie) pratiquée par les Romains, les Grecs, les Gaulois ou les peuples nordiques.

Pourtant le pape Grégoire III finit par l’interdire en 732, sans doute pour lutter contre le paganisme, car le cheval faisait souvent l’objet de cultes et de sacrifices rituels que l’Eglise combattait.

Cette interdiction ne sera pas renouvelée et jamais tellement respectée. Le cheval sera mangé chaque fois que nécessaire : dans les campagnes militaires, le siège d’une ville, en période de famine… Cependant, la première boucherie chevaline ne sera ouverte en France qu’en 1866, lorsque l’Eglise aura levé officiellement son interdit, et la viande de cheval sera le plus souvent vendue dans des boucheries spécialisées, afin de ne pas être mélangée avec des viandes bovines.

« Il a mangé du cheval » dit-on de quelqu’un qui est en pleine forme ! Les nutritionnistes insistent sur les qualités de cette viande, moins grasse que la viande bovine, les économistes et les politiques vantent son prix plus faible, et sa consommation augmente régulièrement jusque dans les années 1980. La France est alors l’un des pays les plus hippophages du monde. La production locale ne suffit plus et la France importe de nombreux chevaux de boucherie vivants.

Mais dans les années 1980, des associations se mobilisent, menées par la Fondation Bardot, pour dénoncer les mauvaises conditions de transport des bêtes, et les habitudes de consommation se modifient très vite.

En 2023 l’enseigne si caractéristique des boucherie chevalines s’est raréfiée en France, où l’on est passé de 1000 boucheries en 2005 à moins de 300 en 2023. Elle a complètement disparu de Rambouillet où seules quelques grandes surfaces conservent un (très petit) rayon de viande chevaline.

L’abattoir

Dès le 18 août 1836, c’est pour des raisons hygiéniques que le conseil municipal étudie la construction d’un abattoir public, qui permettrait l’interdiction des abattages privés. Je consacrerai à ce sujet un article complet, mais, en résumé : un premier projet, adopté en 1838, pour un abattoir à Groussay ne verra jamais le jour et il faudra attendre 1906 pour que Rambouillet soit enfin doté d’un abattoir, à l’emplacement repris en 1971 par l’actuelle caserne des pompiers (en haut de la rue G. Lenotre, et bordée par la rue des Anciens Abattoirs).

Les statistiques de l’abattoir, publiées chaque mois dans le journal local donnent une idée des consommations de viande de Rambouillet : par exemple

Le jour de fermeture

Sous le titre « Du pain frais et de la viande tous les jours » le conseil municipal de Rambouillet avait pris le 28 janvier 1933 un arrêté fixant la fermeture des boucheries au lundi, celle des boucheries chevalines au dimanche et celle des charcuteries au vendredi et instauré un roulement pour qu’il y ait au moins une boulangerie ouverte chaque jour.

Durant plusieurs semaines les journaux locaux exposent le mécontentement que suscite cette réglementation. Les charcutiers se voient proposer le mardi au lieu du vendredi. Il faudra toutefois attendre le 23 décembre 1936 pour que la nouvelle organisation soit acceptée, dans le contexte des nouvelles lois sociales.

La guerre des prix

Le prix de la viande a toujours semblé trop élevé au consommateur, et jamais assez au producteur. Depuis 1791 les mairies ont la possibilité de taxer le prix de la viande, afin d’en limiter la hausse, mais celle de Rambouillet se refuse à user de ce droit, qui risquerait d’entraîner une diminution de l’offre.

Le 1er janvier 1880, le rapporteur de la commission de l’agriculture Malisieux s’emportait déjà :

« On a voulu faire la vie à bon marché, on n’a pas réussi. Savez-vous où la vie est bon marché ? C’est dans les pays pauvres. Dans les pays riches elle est toujours chère, c’est une loi économique absolue ».

La guerre de 14-18 provoque une grave récession déflationniste qui se propage en France de janvier 1920 à juillet 1921, car déjà toutes les économies sont liées par leurs échanges internationaux. Raymond Patenôtre est l’un de nos seuls hommes politiques assez clairvoyants pour comprendre que l’Allemagne sera dans l’impossibilité de payer les dommages de guerre auxquels elle a été condamnée par le Traité de Versailles. Il prône la recherche de solutions communes, mais il ne sera pas écouté. Pour satisfaire l’opinion politique, il est nécessaire de faire croire que « l’Allemagne paiera » !

Les prix s’envolent, et notamment ceux de la viande. Le 11 décembre 1920 le préfet ordonne la publication hebdomadaire des prix relevés chez chacun des bouchers de Rambouillet. Cette publication est abandonnée le 30 juillet 1921. Elle nous fournit des renseignements intéressants : la liste des boucheries, et les prix moyens par catégorie !

Ce ne sera pas la dernière fois que le prix de la viande posera problème aux consommateurs… et donc à nos politiques, mais je n’ai pas l’ambition d’en faire ici l’histoire complète.

évolution des prix en euros de 1900 à 2013. Impressionnant, non ?

Dans les rues de Rambouillet

Avant la guerre de 14-18, il y a à Rambouillet Guillot-Terrier rue Chasles, Viales rue Gambetta, Brossard place Félix-Faure, Fouché et Cherrier rue Nationale et Fouré-Joyeux au Carrefour Maillet .
Thirouard, boucher rue de Gaulle est président du syndicat de la boucherie. En 1902 il est élu à la Chambre de Commerce de Versailles.

Il y a en outre un boucher à Sonchamp, deux au Perray, trois à Saint-Léger.

Les charcutiers sont plus nombreux.

Pour le plaisir d’égrener quelques noms anciens (mais je ne vous en voudrais pas de sauter cette partie!) : en 1935, on trouve Thénault (succ Viales) rue Gambetta, Gommier (succ Brossard) place Félix-Faure, Fouché, Dolléans (succ Cherrier), et Parlangeau rue Nationale, Agoutin rue de Groussay et Massard rue de la Garenne.

En 1954 ils sont remplacés par Mazières (succ Thénault) rue Gambetta, Ladame (succ Gommier) place Félix-Faure, Sandery (succ Fouché), Hasard et Dolleans, rue de Gaulle (ex rue Nationale), Barbet rue du Petit-Parc et Oclin (succ Agoutin) rue de Groussay (il fut longtemps conseiller municipal).

Aujourd’hui Rambouillet a la chance d’avoir encore des bouchers de qualité en centre-ville comme Thiriot à la Boucherie du Château, rue de Gaulle, autrefois tenue par Parou, Gasnier à la boucherie du Parc, Place Félix-Faure, autrefois tenue par Guellier, et Durand aux Délices de Rambouillet, rue Patenotre, autrefois tenue par Etienne et Rémy Bothereau, à l’enseigne du Palais de la viande.

La plus ancienne boucherie chevaline a été celle de Groussay tenue par Neveux. Entre 1900 et 1925 il publiait régulièrement des annonces dans les journaux locaux, pour trouver des fournisseurs, en plus de l’armée et de la gendarmerie qui mettaient régulièrement au rencart leurs bêtes âgées.

En 1977 ils sont trois, tous rue de Gaulle : Girard au n° 117, Rousseau au 81 et Simonneau au 51. Mais bientôt les habitudes de consommations se modifient.

La dernière boucherie chevaline de Rambouillet, au 117 de la rue de Gaulle est devenue le « Allo pizza 30 » avant de se transformer en « Poke one ».

Viande de cheval puis pizza et aujourd’hui poke bowls et bubble tea … intéressante illustration du changement d’attente des consommateurs, non ?

On ne pense pas toujours à tout !

J’ouvre une parenthèse pour revenir un instant sur notre consommation de viande chevaline.

Lorsque la Société Protectrice des Animaux est créée en 1845 elle soutient la propagande hippophagique. Pourquoi ? Parce qu’à cette époque le cheval tire des chariots, des charrues, bref, il travaille. Or, si son maître peut en tirer un certain prix en le vendant à une boucherie, cet animal aura une fin rapide, tandis que s’il ne peut rien en retirer, et doit payer pour son équarrissage, il le fera travailler jusqu’à l’extrême limite de ses forces.

De même, lorsque Brigitte Bardot et des amis des animaux se battent pour que le commerce de la viande de cheval soit interdit, comme celle du chien, tous deux animaux domestiques avec qui nous entretenons des relations affectives, la résistance ne vient pas d’où on l’attend !

Ce sont les haras nationaux, la filière des courses et des professionnels du monde équestre, comme Bartabas, qui se mobilisent pour soutenir l’hippophagie. Leurs arguments ? D’abord que faute de débouchés, 80% des poulains issus de chevaux de traits sont obligatoirement destinés à la filière bouchère : il serait impossible de poursuivre l’élevage de ces races sans ce débouché.

Ensuite que vouloir maintenir en vie des chevaux de réforme, chevaux de course ou d’agrément, aurait un coût qui déséquilibrerait l’équilibre financier de la filière équestre.

Mais il est clair qu’ils n’ont pas su convaincre puisque l’hippophagie ne représente plus que 0,32% de la consommation de viande des Français en 2023.

Il est vrai que pour le bien-être des chevaux c’est sans doute l’ensemble de la filière équestre qui sera un jour supprimé, car obliger un cheval à participer à des courses, ou simplement à porter son cavalier n’est-ce pas là un acte de cruauté auquel notre époque voudra mettre fin ?

Je referme cette parenthèse un peu polémique… en souhaitant seulement que la lutte indispensable contre tous les abus ne nous amène pas trop souvent à jeter le bébé avec l’eau du bain.

Christian Rouet
janvier 2024

Cette publication a un commentaire

  1. Mariani Jean-Louis

    J’ai bien apprécié votre article et tout particulièrement votre « On ne pense pas toujours à tout »
    Merci

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