La Grange Colombe
La propriété de la Grange Colombe reste dans notre esprit celle du comte Potocki, qui en fut le propriétaire de 1885 à 1921.
Il y a eu pourtant un avant et un après Potocki, et c’est l’ensemble de son histoire que nous allons évoquer ici.
A l’origine
Dans le cartulaire de Laval, un legs de Robert IV, seigneur de Dreux et de Montfort, fait en juin 1267, nous apprend qu’il possédait alors la terre «qui siet entre Guesnouvilliers et le Patis » pour laquelle un nommé Coulombe de Rambouillet lui doit encore « quarante sols de cens ».
Déjà au XIIIème siècle une exploitation agricole exploitait donc un domaine que l’on retrouve ensuite désigné sous le nom de « Granche Coulombe », dans un aveu de 1398 (c’est l’acte par lequel un vassal reconnaissait quelqu’un pour seigneur, et qui contenait généralement la description détaillée des biens composant le fief).
La famille Coulombe a-t-elle exploité directement ce domaine, ou bien l’indication Coulombe de Rambouillet, indique-t-elle plutôt sa détention par quelque propriétaire rambolitain ? On ne connaît pas son histoire entre le 14ème et le 17ème siècle, mais elle passe ensuite entre les mains de plusieurs propriétaires successifs, qui appartiennent tous à la bourgeoisie de robe et pour qui elle constitue un immeuble de rapport, dont l’exploitation est confiée à un fermier ou un métayer.
En 1641, un procureur à Montfort-l’Amaury, Jacques Lhotelier. En 1663, un huissier, Noël Lelièvre. En 1700, un notaire, Pierre Chupin. De 1701 à 1745, la famille Oudard : François, receveur, puis Antoine, échevin de Chartes, et Louis, avocat. En 1748 Edmé René de la Mustière bailli de Rambouillet l’achète pour la revendre aussitôt à Pierre-François Laslier, député du Tiers-Etat.
Son fils Pierre-André Laslier, chef du 1er bataillon de la Garde Nationale de Rambouillet en hérite en 1796.
Le domaine s’agrandit au fil des siècles. A la fin du XVIIIème siècle, il s’étend sur plus de 64ha et comprend de nombreux bâtiments en bordure de la route qui mène au Pâtis (et à Vieille-Eglise).
En 1818 c’est un agriculteur (également marchand-farinier), Louis Perineau qui s’en rend acquéreur. Etait-il le fermier qui l’exploitait déjà pour le compte de Laslier ? De là, en tous cas, le nom de Bois-Perineau derrière le Pâtis, et l’allée du Bois-Périneau, qui le traverse et se termine en cul-de-sac, prolongée par la piste cyclable qui rejoint l’entrée du Perray-en-Yvelines.
Au début du XIXème siècle, le domaine comprend une grande maison bourgeoise, sans doute construite par Pierre-André Laslier sous le 1er Empire, une grange, un fournil, une étable, une écurie, une bergerie, un pressoir à cidre, un jardin avec verger et pièce d’eau, une cour donnant sur la route, et environ 75ha de terres agricoles (description donnée par Catherine Comas, PARR 2009).
En 1832 le domaine est vendu à Jacques Maire. Cependant l’ouverture de la voie ferrée Paris Chartres ampute ses terres. Le domaine est morcelé et en 1858, tandis que Charles-Germain Bourgeois, qui fut maire du Perray puis de Rambouillet, achète les bâtiments de ferme, et l’essentiel des terres agricoles, Georges-Désiré-Stanislas Plé, curé de Vieille-Eglise devient propriétaire de la maison d’habitation.
Enfin, le 12 février 1885 le comte Félix-Nicolas Potocki achète l’ensemble agricole dont a hérité Pauline-Lucie Bourgeois en 1880. Il reconstitue ensuite le domaine, achetant notamment la maison d’habitation, qui a été plusieurs fois revendue entretemps.
Félix-Nicolas Potocki
Le comte Potocki est le descendant d’une famille polonaise immensément riche, qui a quitté la Pologne lorsque la Russie s’en est emparée en 1795. Il a épousé en 1869 la princesse Emmanuella Pignatelli, et leurs deux fortunes réunies en font un des couples les plus riches d’Europe. Outre le château de Montrésor, les Potocki possèdent à Paris un très bel hôtel particulier avenue de Friedland, qu’ils transforment entre 1879 et 1882 et où la comtesse tient salon et donne de somptueuses réceptions.
Le comte, pour sa part, s’intéresse principalement (uniquement, disent certains) à ses équipages. Ses chevaux sont logés dans des stalles en acajou, et boivent dans des abreuvoirs en marbre rose…
Avec tous les membres de ce qui ne s’appelait pas encore la jet society il chasse régulièrement en Yveline, invité par la duchesse d’Uzès, par les Rothschild, le duc de la Trémoille ou le comte de Feels, et comme eux il lui faut posséder un relais de chasse dans la forêt de Rambouillet.
En 1820, à la Croix-Saint-Jacques, à l’entrée Sud du Perray, une chaumière avait été transformée en cabaret, et en 1870, Arthur de Rothschild en avait fait un élégant rendez-vous de chasse. Quand il achète en 1884, l’abbaye des Vaux de Cernay, il n’en a plus l’usage et il vend la Croix-Saint-Jacques au comte Potocki.
Celui-ci y construit de vastes écuries, un manège, et il y reçoit princièrement ses amis.
L’année suivante il rachète le domaine de la Grange Colombe à Mme Bourgeois, et réunit ainsi toutes les terres situées entre la route de Grenonvilliers au Pâtis et la Grande Route Paris-Chartres, qui traverse le Perray.
Il y entreprend aussitôt d’importants travaux, avec la construction du château de la Grange Colombe, à l’arrière du terrain, le réaménagement de la maison d’habitation en communs, la démolition partielle de l’ancienne ferme dont il conserve certains éléments, dont le pressoir.
Sur ce plan du cadastre de 1934 j’ai mis en rouge les bâtiments démolis.
Bien que le détail de ces travaux ne soit pas connu avec précision, il semble qu’ils se soient étalés sur près de 20 ans, de 1885 à 1905.
L’aménagement de la Grange Colombe passionne le comte, qui y séjourne très souvent et y reçoit de nombreux invités de marque. Son attelage va les chercher à la gare de Rambouillet, pour le grand plaisir des badauds.
La revue du Sport Moderne s’émerveille : « Trois journées de battue par semaine, 4 à 500 pièces par jour, sans compter les chasses d’amis. Nul n’est plus éclectique et plus hospitalier que le propriétaire de ces vastes territoires. Les jeunes duchesses, ses voisines, le Président de la République, les ambassadeurs, les étrangers de marque, les grands fusils, les clubmen, les officiers de Rambouillet, chacun a son jour. Un clan d’intimes, de plus, y a ses petites entrées et peut s’en féliciter ».
La comtesse ne partage pas ses goûts, et demeure à Paris où elle reçoit de nombreux écrivains comme Guy de Maupassant, dont elle est l’amie – et sans doute davantage – ou Marcel Proust. En 1901 le couple Potocki finit d’ailleurs par officialiser une séparation effective depuis 1887, et la comtesse va s’installer à Auteuil.
Le style du château correspond à ce qui se fait à l’époque (le Vieux Moulin de Rambouillet, par exemple), avec ses balcons en bois, ses faux colombages peints sur les murs, en étage, et ses toits de tuile, aux multiples pans.
Sur les cartes postales de l’époque, le rez-de-chaussée semble recouvert d’un bardage décoratif en bois, à moins qu’il ne s’agisse que de grillages destinés à recevoir la vigne vierge qui y poussera ensuite.
Dans un premier temps, l’entrée du château se fait par le côté Sud. Un escalier d’honneur conduit à l’étage noble, tandis qu’un escalier de service relie les pièces techniques, cuisines, buanderie, réserves, du sous-sol aux combles où sont logés les domestiques.
Vers 1905 la façade Nord est modifiée, avec la création d’un grande véranda surmontée d’un balcon.
Et par la suite, c’est le jardin, avec sa pièce d’eau, sa volière et ses arbres qui feront l’objet d’aménagements particuliers.
Vivent à la Grange Colombe, d’après le recensement de 1906 un régisseur, quatre jardiniers, deux cuisinières, une dame de compagnie, deux valets de chambre, un électricien, un conducteur, trois journaliers. Une majorité d’entre eux sont célibataires, mais il y a quelques couples avec enfants.
En 1914, comme le font de nombreux châtelains de la région, le comte Potocki transforme ses bâtiments de la Croix-Saint-Jacques en hôpital militaire, qu’il confie à l’association des Dames de France. Vingt soldats et un médecin y décèdent et sont enterrés dans le cimetière du Perray.
Je ne reviens pas ici sur les relations tendues que le comte Potocki a entretenues avec son voisin du Pâtis, l’anarchiste Sébastien Faure, qui y a installé son école libertaire de la Ruche.
La revue Fantasio du 15 septembre 1911 s’en amuse ici !
On sait que chaque fois qu’une maison était à vendre au Pâtis, le comte s’empressait de l’acquérir afin de gêner le développement de son voisin dont les valeurs n’étaient pas exactement les siennes !
Le comte Potocki décède à Paris le 3 juin 1921, sans héritier direct. Il lègue à la ville de Rambouillet 50 000 francs pour l’hôpital, 50 000 francs pour le bureau de bienfaisance.
Son hôtel parisien est vendu à la Chambre de Commerce de Paris, et le domaine de la Grange Colombe est démembré.
Et depuis
Depuis 1924 le domaine a connu 7 propriétaires successifs.
1920 : un neveu, Alfred Potocki devient nue-propriétaire. Le domaine est démembré.
1924 : une société Immobilière des Yvelines l’achète, mais ses projets n’aboutissent pas.
1927 : le parfumeur parisien Lesquendieu veut y recevoir ses clients,
1928 : M. et Mme Pasqueron de Fontevrault,
1936 : la commune de Meudon rachète l’ensemble pour en faire un centre de vacances,
1942 : M. et Mme Marquer-Grundt l’achètent. Ils possèdent déjà le château de Clairbois. Ils ont fait fortune dans le commerce textile. En 1943 ils accueillent dans leur domaine deux cents enfants de la Préfecture et de la Police d’Etat, en colonie de vacances et le préfet les assure publiquement de sa reconnaissance.
Mais à la Libération, les relations entre les Marquer et l’Etat changent !
Il leur est reproché d’avoir réalisé un bénéfice de deux cent cinquante millions en vendant à la Luftwaffe des tissus, draps et couvertures pour plus de sept cents millions.
Leurs biens sont saisis : 40 millions de lingots d’or, trouvés dans la cave de leur château de Clairbois, les bijoux de madame Marquer, estimés à 100 millions, des meubles et collections de prix, leurs propriétés de la Grange Colombe, et de Clairbois, des immeubles à Paris, et d’autres à Monaco… En tout, plus de 500 millions d’actifs sont mis en vente.
1946 : la propriété est ainsi acquise aux enchères par M. Vanderstraeten.
1950 : la Régie Renault achète le domaine pour y installer un centre de formation.
Et aujourd’hui
Depuis 1994 la Grange Colombe héberge, sur un terrain réduit à 4ha, un centre de formation qui appartient au mouvement des Maisons Familiales Rurales d’Éducation et d’Orientation (MFR).
270 élèves, internes ou externes, y préparent selon le régime de l’alternance, des CAP, Bac Pro et Brevet Professionnel.
Il a fallu pour que l’internat, les salles de classe et la salle polyvalente soient totalement terminés et que les locaux soient tous mis aux normes, 5,7 millions d’euros et trois ans de travaux (effectués par tranches, pour ne pas interrompre le fonctionnement du centre). Trente chambres avec toilettes et douches remplacent maintenant les dortoirs du château, qui ne répondaient plus aux normes de sécurité.
On voit sur cette vue aérienne (Géoportail) comment les bâtiments ont fait l’objet d’extensions vers la RN10.
Il faut aussi souligner que plusieurs associations sont autorisées à utiliser les locaux de la MFR pour leurs activités culturelles ou artistiques.
Christian Rouet
octobre 2023