Les abattoirs de Rambouillet

Seul le nom donné à une petite rue de 150m qui relie la rue G. Lenotre à la rue des Fontaines, bordant au nord la caserne des pompiers, rappelle qu’ont existé à cet emplacement les abattoirs de Rambouillet.

Leur histoire est intéressante à plus d’un titre. Comme ce l’est de relever que ce projet lancé en 1836 n’a abouti qu’en 1907.
Sans vouloir en faire tout un cinéma… Non, pardon ! L’expression est mal choisie dans une ville qui désespère d’avoir un jour le sien ! Je voulais seulement faire remarquer qu’autrefois déjà certains projets de Rambouillet avançaient moins vite que d’autres.

A l’origine des abattoirs

Prenant la parole au banquet de la Chambre Syndicale des bouchers et Charcutiers de Rambouillet, le 4 avril 1908, le maire Marie Roux rappelait l’importance des bouchers dès l’Antiquité.

« Néron construisit pour eux le premier des abattoirs et lui donna des proportions grandioses, dignes de l’architecture latine.

Après la conquête romaine, l’usage des abattoirs se répandit dans la Gaule et se continua sous les premiers rois de France. Ce fut Charles-le-Chauve qui prescrivit d’établir hors des villes ce que l’on appelait alors ‘les tueries et écorcheries de bêtes’.»

Pendant plusieurs siècles les corporations de bouchers jouirent de leur monopole et d’un numerus clausus limitant leur nombre.

« Ce fut une cité voisine de Rambouillet qui porta le premier coup à ce monopole. Au XVème siècle la ville de Chartres décréta la liberté du commerce de boucherie et cet exemple se propagea assez rapidement. »

La Révolution mit fin aux corporations et aux monopoles dans toute la France.

Rares sont les villes qui disposaient autrefois d’une « tuerie ». Les abattages avaient lieu près de l’étal du boucher, dans sa cour arrière, ou même dans la rue. En 1783, encore, Louis-Sébastien Mercier décrivait ainsi une rue des bouchers à Paris : « Le sang ruisselle dans les rues, il se caille sous vos pieds et vos souliers en sont rougis. En passant vous êtes tout-à-coup frappé de mugissements plaintifs… ».

 Le 13 novembre 1806 Napoléon décide la création de 5 abattoirs dans Paris (ils seront remplacés en 1867 par l’abattoir général de la Villette). Un décret de 1810, puis une ordonnance de 1838, soulignent leur caractère d’établissement insalubres. Des textes de 1845 et 1866 règlementent la procédure administrative qui permet à une commune d’en créer un, après accord préfectoral.

Rambouillet : 1836-1843, premier projet

Lorsque le 18 août 1836, le conseil municipal se prononce en faveur de la construction d’un abattoir, pour une population qui ne dépasse pas les 3050 habitants et en l’absence de toute obligation dans ce domaine, il fait preuve d’un grand modernisme.

« L’Annonciateur » du 31 août 1837 publie l’ouverture d’un concours d’architectes pour les plans et devis d’un Abattoir public à Rambouillet, Seine&Oise, et le 28 décembre, c’est le projet d’Adolphe Lance, architecte de Paris (dont l’épouse est rambolitaine), qui est retenu. 

façade, projet Lance .coll Archives Municipales
façade, projet Lance .coll Archives Municipales

Il faut maintenant trouver le financement. A l’époque, les dépenses communales à caractère exceptionnel étaient prises en charge par les plus gros contribuables de la ville, et le 16 février 1838, ce sont donc neuf de ceux-ci, qui sont invités à voter avec les conseillers municipaux un emprunt de 52 825 fr.

Une taxe d’abattage est calculée en fonction de l’emprunt, et, dès l’ouverture de cet abattoir, conformément à la loi, tous les bouchers seront obligés de l’utiliser.

Approuvé par le conseil ainsi élargi, le plan de financement est cependant refusé par le Ministère de l’Intérieur, et le conseil se réunit le 18 février 1839 pour voir s’il est possible de « le ramener à une proportion plus convenable avec les autres abattoirs ». Cependant, après étude, le conseil décide de maintenir son projet tel que prévu.

Pour comprendre l’aspect financier, il faut rappeler que les marchandises payent un droit d’octroi à leur entrée en ville. Or, cette taxe est calculée différemment selon que l’on importe un animal sur pieds (qui supportera ensuite la taxe d’abattage), ou une viande déjà découpée.

Si la taxe d’abattage, en se superposant au droit d’octroi, met la viande à l’étal plus chère que la viande abattue en dehors de la commune, il y donc un risque pour que les objectifs de l’abattoir ne puissent être atteints –même en offrant aux bouchers les avantages d’un service local. Et par ailleurs, il ne faut pas que le consommateur paye sa viande plus chère qu’elle ne l’était avant l’ouverture de l’abattoir communal. Un équilibre entre droits d’octroi et taxe d’abattage doit donc être trouvé; les recettes de l’abattoir en dépendront.

Encore 10 mois de réflexions, de calculs et d’échanges avec les services préfectoraux, et le 27 décembre 1839, le conseil municipal admet que la taxe d’abattage doit seulement servir à couvrir les frais de fonctionnement des abattoirs, et non à en payer la construction. Le tarif des droits et taxes qu’il avait prévu est revu à la baisse :

Entretemps, un terrain vacant, à Groussay, en limite nord de la ville, a été retenu et a fait l’objet d’une enquête commodo-incommodo, close le 18 mars 1838.

Quinze opposants, dont un fondeur de suif et huit bouchers-charcutiers, directement concernés pour l’exercice de leur profession, se sont manifestés. Considérant que leurs critiques portent plus sur le principe de l’abattoir que sur l’emplacement proposé, le conseil municipal du 22 mars entérine le choix de Groussay.

L’emplacement, les plans et le financement ayant ainsi été approuvés (il a fallu 3 ans), le dossier circule de 1840 à 1879 entre la mairie et les services concernés. L’ordonnance de 1845, puis le décret de 1866 qui modifient les critères d’ouverture et les procédures administratives expliquent probablement en partie l’enlisement du projet. L’opposition des principaux intéressés qui ont certainement mobilisé leur clientèle, a sans doute également dissuadé le conseil municipal de vouloir passer en force. Plusieurs conseillers sont revenus sur leur soutien au projet, pour ne pas fâcher leurs électeurs !

1879-1885 : second projet

Il faut attendre le 2 mars 1880 pour que le conseil municipal (Voirin, maire), inquiet de l’insalubrité « des tueries particulières qui sont de véritables foyers d’infection et produisent des viandes malsaines », se saisisse à nouveau du dossier.

L’architecte A. Lance est décédé en 1874. La mairie étudie les propositions de deux sociétés spécialisées, mais opte finalement pour une construction directe, pilotée par l’architecte Henri Avril.

C’est toujours le quartier de Groussay qui est retenu, mais la commission des bâtiments civils ayant depuis refusé l’emplacement choisi en 1838, c’est un autre terrain, qui appartient à Etienne Chicot, à proximité de l’étang, qui est retenu et qui fait l’objet d’une promesse de vente.

En juin une nouvelle enquête commodo-incommodo est lancée.

Le commissaire enquêteur, n’ayant reçu qu’une dizaine d’avis, conclut à la faisabilité du projet… qui reste à nouveau bloqué, d’abord en l’attente des élections de 1885, puis parce que la commune a d’autres priorités et qu’une majorité des habitants se contente fort bien de la situation existante.

1900 : troisième projet

Le 13 novembre 1900, les lecteurs du compte-rendu du conseil municipal ont dû être surpris –et légèrement sceptiques– en lisant que « l’administration municipale pense qu’il convient de faire étudier et examiner si l’établissement d’abattoirs à Rambouillet ne serait pas utile… » (le Progrès de Rambouillet).

Mais cette fois, les pessimistes vont avoir tort !

Le conseil (Gautherin, maire) a l’intelligence d’associer à la commission d’étude du projet deux membres désignés par la Chambre Syndicale des Bouchers et Charcutiers, et le projet ne rencontre plus d’opposition. Il faut préciser que les attentes en matière d’hygiène n’ont cessé d’augmenter, et tous, y compris les professionnels, comprennent la nécessité de fermer les tueries privées.

Et  c’est un nouvel emplacement, au sud de Rambouillet, qui est retenu. Il s’agit d’un terrain de 2ha, entre le chemin de Gallardon et la route d’Ablis. Le 24 janvier 1903 le conseil autorise son achat pour 5 000 fr payable en 10 ans.

Le 23 mai 1903 les plans dessinés par l’architecte Trubert (qui, à cette époque, réalise tous les bâtiments publics de la ville) sont soumis au public, et le conseil les adopte le 23 juillet.

Il faut un an pour que la Préfecture fasse part de ses réserves. L’investissement est jugé trop coûteux, comparé aux réalisations des autres villes du département. Le 8 août 1904, le conseil relève que « les adversaires du projet reprochent beaucoup de choses aux plans, mais particulièrement de conduire à de gros surcroits de dépenses » et demande que le projet soit revu.

Le 25 février 1905, Trubert présente des plans modifiés, afin de tenir compte notamment de plans types élaborés par l’Administration et proposés aux communes. Et le 1er avril (mais ce n’en est pas un !) le Progrès de Rambouillet écrit :

« La question des abattoirs a tellement vieilli qu’elle a cessé d’être intéressante au moment où le conseil et la municipalité, secondés par une loi nouvelle, arrivent enfin à la résoudre.»

Un devis de 93 466 fr est accepté, en baisse de 12 500 fr sur le précédent projet.

Et cette fois, le projet ne rencontre plus de difficultés. Le 16 novembre 1905, après une nouvelle enquête commodo-incommodo, l’achat du terrain est décidé. Il est d’un accès facile, en dehors de la ville, loin de toute habitation.

on voit sur cette photo (prise en 1942) que le quartier est resté inhabité pendant longtemps
  • Le 10 février 1906 un emprunt de 93 406 fr est voté.
  • Le 17 mars 1906 les entreprises sont choisies sur appel d’offres.
  • Le 26 mai le maire reçoit mandat pour acheter le matériel nécessaire.
  • Les travaux sont réalisés rapidement.
  • Le 27 octobre 1907 les 78 articles du règlement de fonctionnement des abattoirs de Rambouillet sont adoptés.

Enfin, le 1er janvier 1907, les abattoirs entrent en service, et les tueries privées sont interdites dans toute la commune.

collection Christian&Mireille Painvin

Le 23 février les droits d’octroi étant maintenant calculés selon le poids des animaux sur pieds, au lieu de l’être par tête, la commune vote l’achat d’une bascule. Un bureau d’octroi est installé dans les locaux des abattoirs afin d’éviter un déplacement inutile.

Je passe sur quelques réglages, travaux supplémentaires contestés et finalement annulés etc… : les abattoirs sont opérationnels. Désormais, chaque mois le Progrès de Rambouillet publie le nombre de bêtes amenées à l’abattoir.

La fin de l’abattoir

La fin de l’octroi, le développement des transports réfrigérés, la baisse de rentabilité des abattoirs de moyenne importance, tout a concouru à la fermeture de la plupart des abattoirs municipaux.

En 2020, la Cour des Comptes relevait que ses préconisations de 1990 et 1996 n’avaient pas été assez suivies, et que se posait toujours
«  la question du maintien de ces services publics, peu rentables, ou utilisés de façon quasi privative et exclusive par des industriels de la viande.

Les équipements contrôlés sont encore souvent surdimensionnés et sous-exploités, alors que leur production totale ne représente plus que 7 % de l’ensemble de la filière « viande de boucherie ». Les tarifs pratiqués ne permettent toujours pas d’assurer l’équilibre des services et les budgets communaux supportent de lourdes charges qui s’assimilent souvent à des aides économiques consenties à des opérateurs privés. »

Cependant, Rambouillet n’est plus concerné : devant la baisse continue du nombre d’animaux traités, la ville a fermé ses abattoirs avant ces rapports de la Cour des Comptes !

Et depuis 1970 le Centre Principal d’Incendie et de Secours (aujourd’hui CSP Centre Secours Principal) a pris possession des locaux abandonnés par les abattoirs, avant de les remplacer par les locaux modernes qu’il occupe toujours.

Géoportail 2021

Comme on le voit, déjà sous Louis-Philippe ou Napoléon III, les investissements communaux faisaient l’objet d’études approfondies, tant de leurs aspects techniques que pour leur financement, et les délais qui résultaient des aller-retours des dossiers en retardaient considérablement la réalisation.
Pour être objectif, et voir les choses du bon côté, on peut en conclure que les délais dont se plaignent aujourd’hui les communes n’ont pas augmenté en proportion du nombre et de la complexité des normes !

Christian Rouet
avril 2024

PS : Je n’ai pas décrit les locaux, le matériel, ni les règles de fonctionnement de ces abattoirs.
En effet, la revue « l’Architecture Usuelle », publiée à Dourdan, leur a consacré en 1910 un article très complet, illustré de plans détaillés (collection Christian&Mireille Painvin). Agrandissez à volonté les images.

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