Toutes les nouvelles de Rambouillet

une interview de Bernard Delattre.

Je suis arrivé le 15 mars 1971 à Rambouillet. Le premier tour des élections municipales avait eu lieu la veille, et je m’étais empressé d’acheter le mercredi « les Nouvelles de Rambouillet » pour y trouver tous les résultats détaillés du canton. C’était alors le seul journal de la ville.

Quelques années après, l’Echo Républicain a ouvert son bureau, et en 1977 j’y ai rencontré pour la première fois Bernard Delattre, originaire d’Autun, qui avait occupé précédemment à Paris son premier emploi au journal « le Parisien ».

En 1981 il a rejoint l’équipe des Nouvelles, où il a travaillé jusqu’à sa retraite, en 2013. Durant toutes ces années les Rambolitains se sont habitués à le voir présent à toutes les manifestations, sur tous les stades, lors de tous les événements de la ville, appareil photo en bandoulière, et carnet de notes à la main, se faisant épeler un nom propre, ou confirmer un chiffre…

Faire parler Bernard sur un sujet qu’il connaît est chose facile. Et Bernard connaît tous les sujets ! Après avoir écrit des articles durant près de quarante ans, il a publié de nombreux livres, et les présente avec passion dans de nombreux Salons du Livre, qui sont pour lui autant d’occasions de faire ces nouvelles rencontres qu’il affectionne.

Aujourd’hui je lui ai demandé de nous raconter l’histoire de son journal.

Bernard, comment présenter Les Nouvelles ?

Dans le Sud-Yvelines, l’hebdomadaire “Toutes les Nouvelles de Rambouillet” est une véritable institution !

Il permet le lien social entre les habitants de toute une région, permettant d’échanger les informations entre les populations des cantons de Rambouillet, Chevreuse, Montfort l’Amaury et Saint-Arnoult-en-Yvelines notamment, soit environ 120 communes réparties sur un territoire occupant une bonne partie du grand département yvelinois.

Une région où des familles sont là depuis plusieurs générations et se connaissent et s’apprécient. L’impact de cet hebdomadaire a toujours été important et pour une association cela a toujours été une catastrophe si, par malheur (qui ne fait pas d’erreurs ?) sa manifestation n’était pas annoncée dans les colonnes des “Nouvelles”…

Un impact qui s’atténue toutefois depuis Internet et les réseaux sociaux. Mais la force de l’écrit est telle qu’il reste imprimé et qu’une famille peut conserver un article sur plusieurs générations. Cela n’a pas de prix !

C’est bien avec “Les Nouvelles” que s’écrit le récit collectif de tout le Sud-Yvelines !

Peux-tu nous rappeler l’origine du journal ?

L’hebdomadaire “Toutes les Nouvelles de Rambouillet’ a bien sûr évolué au fil des décennies, avec les changements politiques, voire territoriaux, avec également les changements de propriétaires, puisqu’il est aujourd’hui dirigé par “Publihebdos”, la branche des hebdomadaires du grand groupe “Ouest France”, après avoir été racheté par le groupe Havas, par le groupe Dassault, puis par Hersant.

Mais ce titre a été lancé à la Libération de 1945, par  Jacqueline Thome-Patenôtre, femme politique influente du Sud-Yvelines, qui a repris “Le Progrès” qui avait collaboré pendant l’Occupation allemande. (voir l’article) Sur le secteur de Versailles et sa zone d’influence, la même opération était réalisée par le ministre Edouard Bonnefous, qui a également repris l’hebdomadaire versaillais pour créer “Toutes Les Nouvelles de Versailles”.

Le Progrès avait effectivement été ouvertement Pétainiste ! Dans un de ses derniers articles consacré aux bombardements américains, en avril 1944, on lit :

«  ont-ils fait pleuvoir ça et là, au hasard comme à leur habitude, les chapelets de bombes sur les braves gogos de Français qui commencent à croire que la libération est – comme les bombes – à retardement ? Quel chiffre de victimes faudra-t-il atteindre pour que les assassins soient maudits ? »

Le journal ne s’est-il pas appelé d’abord « Les Nouvelles de Rambouillet à l’Essonne » ?

Oui, tout simplement parce que le département ne s’appelait pas encore les Yvelines (ce nom a été suggéré dans les années 60 par le poète de Viroflay Jehan Despert) mais était l’immense Seine-et-Oise et comprenait notamment le secteur de Dourdan – Gif-sur-Yvette – Orsay.

le premier exemplaire des Nouvelles

Le (ou la) député(e) de Rambouillet avait ainsi dans sa circonscription une partie de l’Essonne et quand elle était députée, Jacqueline Thome-Patenôtre tenait une permanence à Dourdan, avec l’aide d’un journaliste des “Nouvelles”.

Un article sera consacré prochainement à la famille Thome, mais peux-tu nous en dire quelques mots ?

 A l’époque, c’était une des plus fortunées de France, issue de la grande bourgeoisie industrielle qui possédait entre autres biens une grande propriété à Sonchamp, des biens à Rambouillet et à Paris … Le grand-père de Jacqueline Thome-Patenôtre, Ernest Dervaux, directeur d’une usine métallurgique, a présidé le Conseil général du Nord. Son père, André Thome, propriétaire foncier, a été député et maire de Rambouillet avant de mourir le 10 mars 1916 à la bataille de Verdun. Car dans cette famille, on était très patriote de père en fils et il n’était pas question de se dérober lorsqu’il fallait défendre la France. Député, André Thome n’était pas obligé d’aller à la guerre mais il a tenu à y aller et cela reste dans la mémoire collective de toute une région. La légende locale dit aussi que lorsqu’André Thome était en campagne électorale, il passait dans chaque ferme de la contrée pour donner un poulet et une bouteille de vin à titre amical.

Jacqueline, sa fille, a donc repris le flambeau ?

Mme Jacqueline Thome-Patenôtre

Élevée par sa mère, qui tenait un salon, où venaient des dirigeants de l’époque, tels André Tardieu, Louis Barthou et Aristide Briant, Jacqueline Thome a épousé en 1925 Raymond Patenôtre, fils d’ambassadeur et patron de presse, qui allait devenir ministre de l’Education nationale en 1932 et 1933. Jacqueline Thome-Patenôtre a toujours soutenu activement son mari, participant à la création d’établissements scolaires et fréquentant d’importants hommes politiques de progrès, comme Léon Blum ou Édouard Daladier.

Très vite féministe, elle s’est insurgée à la fin des années 1920 contre l’interdiction de l’accès aux femmes aux contraceptifs (on pense alors aux actions de la duchesse d’Uzès, une autre grande femme du Sud-Yvelines engagée également).

 Elle a divorcé durant la guerre, mais en conservant leur deux noms. C’est alors qu’elle a choisi de faire une carrière politique ?

Après la Seconde Guerre mondiale, Jacqueline Thome-Patenôtre s’est effectivement engagée à son tour en politique en devenant conseillère municipale à Sonchamp. Dès 1947, elle a été élue maire de Rambouillet, poste important qu’elle a occupé durant six mandats, jusqu’en 1983.

Sénatrice de 1948 à 1958, sous la IVe République, sous-secrétaire d’État à la Reconstruction et au Logement au gouvernement Bourgès-Maunoury en 1957, députée de 1958 à 1978, d’abord de Seine-et-Oise (17ème circonscription), puis des Yvelines (alors la 8ème circonscription qui allait ensuite devenir la 10ème), députée européenne de 1984 à 1989…

Toute cette activité et toutes ses réalisations locales ont bien sûr nourri les chroniques des “Nouvelles”, dont le rédacteur en chef de l’époque était Pierre Daiguerperse, ancien résistant de Rambouillet.

Il va sans dire aussi que le chauffeur de Mme Thome-Patenôtre (qui était un Rambolitain) n’a pas eu beaucoup de repos…

Pourquoi et comment s’est opéré le regroupement avec “Les Nouvelles de Versailles” ?

Pendant les “Trente Glorieuses”, l’hebdomadaire “Toutes Les Nouvelles de Rambouillet” a connu une évolution remarquable, avec une rédaction solide et nombreuse, avec son labo-photo, avec de nombreuses pages d’offres d’emplois, de nombreuses pages locales et sportives. Toute l’actualité du Sud-Yvelines était bien présente chaque semaine. Les pages étaient imprimées à Paris,  aux “Marchés de France”, où les rédacteurs devaient se rendre chaque lundi pour les dernières corrections et donner les bons à tirer ; c’était encore réalisé au plomb.

L’hebdomadaire “Toutes les Nouvelles de Versailles” a connu le même essor dans sa région, sous la houlette d’Édouard Bonnefous, qui était également issu d’une famille très puissante et qui a été également sénateur et ministre. Edouard Bonnefous a été en outre aidé pour son journal par Roland Faure, directeur des “Nouvelles”, tout en étant également directeur de “L’Aurore”, puis directeur de “Radio France” . Les deux hebdomadaires ont eu une période de grand développement, avec de nombreux abonnés, l’organisation d’une course cycliste : “La Ronde des Nouvelles”, etc…

Tout fonctionnait au mieux.
C’est alors que sont arrivés le premier choc pétrolier et la crise économique… Les offres d’emploi ont diminué d’année en année, ainsi que les rentrées publicitaires, tandis que commençait à diminuer aussi le nombre de lecteurs, alors que le coût du papier et des frais d’impression augmentaient…

Comme sur un voilier en cas de mauvais temps, il a fallu réduire la voilure petit à petit : c’est-à-dire le nombre de pages, les équipes de rédaction et de publicité…

En 1983, Jacqueline Thome-Patenôtre, qui commençait à être bien fatiguée, a laissé son siège de maire de Rambouillet à Gérard Larcher  et son Gaullisme social et il y a eu un partenariat signé avec Edouard Bonnefous pour que “Les Nouvelles de Rambouillet” et “Les Nouvelles de Versailles” aient la même régie publicitaire. Les pages d’offres d’emploi et les publicités sont ainsi devenues communes, ce qui a permis de réduire une partie du personnel.

Puis le partenariat est devenu total et “Les Nouvelles de Rambouillet” sont devenues une édition des “Nouvelles de Versailles”,  Edouard Bonnefous et Roland Faure dirigeant les deux rédactions. Roland Faure passait une fois par semaine à Rambouillet pour discuter avec les journalistes sur le contenu du prochain journal ; puis il relisait tout le lundi à l’imprimerie.

Cette presse hebdomadaire régionale fonctionnait encore bien et “Les Nouvelles” a eu deux autres éditions : celle des Hauts-de-Seine (autour de Boulogne) et celle de la Ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines.

Roland Faure et Edouard Bonnefous

En 1981, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, a été autorisée la création de radios libres et, comme beaucoup d’autres journaux,  sous la direction de Roland Faure a été créée à Versailles la radio CVS avec de nombreux journalistes des “Nouvelles”.  Une belle radio, qui a été bien écoutée mais qui ne devait pas arranger la situation financière des “Nouvelles”…

Il a donc fallu trouver d’autres partenariats ?

Oui. La situation économique ne s’arrangeant pas et Edouard Bonnefous, comme tout humain, ne rajeunissant pas, la société des “Nouvelles”  (dont dépendait l’édition de Rambouillet ) s’est dans un premier temps associée à la régie Havas, avec un partenariat cinquante-cinquante.

Puis, petit-à-petit, le groupe Havas est devenu principal actionnaire et a pris la direction des éditions des “Nouvelles”,

Cela a duré quelques années, après lesquelles Havas a préféré revendre “Les Nouvelles” au groupe Serge- Dassault, avec Renaud de Clermont-Tonnerre comme rédacteur en chef.

Le groupe Serge-Dassault était propriétaire du journal “Le Républicain” et d’une grande imprimerie à Évry , dans l’Essonne. Les pages des éditions des “Nouvelles” étaient donc imprimées à Evry ce qui était bien pratique.

Mais la crise s’est aggravée et cette imprimerie, ayant beaucoup moins de travail, a périclité à son tour. Si bien que Serge Dassault a revendu “Les Nouvelles” au groupe Hersant. Et là, ce fut un remaniement à la tronçonneuse ! Le labo-photo a été supprimé, les pages sportives réduites, les équipes rédactionnelles réduites aussi. Si bien que la rédaction de l’équipe de Rambouillet n’a plus fonctionné qu’avec trois ou quatre journalistes permanents alors qu’il y en avait sept ou huit du temps de Mme Thome-Patenôtre. Néanmoins, l’édition de Rambouillet a continué à garder une bonne partie de son lectorat, résistant mieux qu’à Versailles.

Eveil de vocations ? Bernard Delattre présente Les Nouvelles à des élèves de Rambouillet

Est-ce que cette réorganisation a porté ses fruits ?

Pas suffisamment ! Les résultats n’ont pas été ceux attendus par le groupe Hersant qui, à son tour, a préféré revendre “Les Nouvelles” au groupe “Ouest-France” et plus précisément à son département “Publihebdos”, qui gère une soixantaine de titres, des côtes de la Manche et de l’Atlantique jusqu’aux portes de Paris avec les éditions des “Nouvelles” mais aussi “Le Courrier de Mantes”, “Le Courrier de Saint-Germain” et “La Gazette du Val-d’Oise” (à l’époque de la création de ces titres à la Libération, certains avaient parlé du “Yalta de la presse de Seine-et-Oise” entre les sénateurs des différents secteurs…).

L’hebdomadaire des “Nouvelles de Rambouillet”, comme “Les Nouvelles de Versailles”, a changé une nouvelle fois de format et de maquette, ainsi que de rédacteur en chef et de directeur, avec une imprimerie basée désormais à Bernay. Entre-temps, tout avait été bien sûr informatisé depuis de nombreuses années et depuis belle lurette il n’y avait plus besoin de se rendre à l’imprimerie pour les bons à tirer, tout se faisant désormais par des envois par informatique.

Les deux éditions des “Nouvelles” continuaient à se porter assez bien avec de nombreuses pages locales, lorsqu’est arrivée la pandémie Covid en 2020. Ce qui n’a bien sûr pas arrangé les choses. Les deux éditions des “Nouvelles” se sont regroupées (les éditions départementales du “Parisien” ont disparu aussi pour un regroupement général) mais aussi avec celles de Mantes, Saint-Germain et Pontoise. Et cela a recommencé en 2021 avec le nouveau confinement. Parallèlement, a été développé le journal sur Internet, pouvant être vendu à part du papier imprimé.

En cette année 2021, l’édition des “Nouvelles de Rambouillet” a encore sa Une originale et son agence sur place, rue de-Gaulle (la même depuis la Libération, à côté du cinéma) et il faut espérer que tout cela va continuer et que l’édition rambolitaine pourra repartir plus forte après la pandémie. Car la presse hebdomadaire régionale a vraiment un rôle sociétal important. Un rôle républicain aussi car, avant les élections, elle permet de présenter, de façon équilibrée, les différentes listes en présence ; ce qui a toujours été une règle aux “Nouvelles de Rambouillet”.

Je comprends, et partage ton espoir, mais vois-tu des raisons objectives d’être optimiste ?

Victor Hugo défendait dès 1840 devant l’Assemblée nationale le rôle important de la liberté de la Presse  « pilier de notre Démocratie ».

Bien sûr, cela est aussi vrai au niveau régional. Comme l’a souligné Jean-François Kahn, dans son livre sur la Presse, il y avait cent quotidiens nationaux en 1914 en France, il en restait 30 en 1939 ; aujourd’hui il n’en reste que 6 (“Le Parisien”, “Le Monde”, “Le Figaro”, “La Croix”, “L’Humanité”, “Libération”) et toute la presse écrite a besoin des aides de l’État pour survivre…

Oui, mais c’est un cercle vicieux : si un journal perd des lecteurs il a moins de moyens financiers, et risque de devenir moins intéressant. Alors son lectorat baisse à nouveau.

Les Rambolitains constatent que la place donnée à notre région ne cesse de se réduire et je connais de fidèles lecteurs qui ne renouvelleront pas leur abonnement !

 Oui, et dans le même temps, les chaînes de télévision ne cessent de se multiplier, gavées de publicités et de programmes plus ou moins intéressants…

Mais si les citoyens ne soutiennent pas leur presse écrite régionale, ils le regretteront peut-être un jour car qui viendra les défendre, pour le maintien d’une classe ou d’une école, contre une pollution,  contre un abus de pouvoir ou une injustice ?

Merci Bernard, pour ces souvenirs. Nous resterons donc sur cet appel à la mobilisation !

Christian Rouet
janvier 2021

Cet article a 4 commentaires

  1. Poulet

    Bravo pour ce site qui propose des références historiques, tout en se plongeant ans le présent et l’avenir.

  2. Françoise et Jean-louis

    Merci pour ce petit billet rappelant qu’un journal local joue un rôle de lien social entre les habitants de toute une région, Nous nous sommes abonnés aux nouvelles de Rambouillet lorsque nous nous sommes installés à RAMBOUILLET et cette presse locale nous a permis de suivre les évolutions de la région. Bien que regrettant la fusion des éditions de Rambouillet et de Versailles, nous n’envisageons pas encore de ne pas renouveler notre abonnement mais nous serons attentifs aux évolutions post-COVID .

  3. Bernard

    Quelle belle façon de nous rattacher à notre région. Pendant longtemps l’état civil que publiait le journal permettait de suivre la vie des familles que l’on connaissait.

  4. Eric Thibaut

    Merci, Chirstian !

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