A l'origine ...

Dans l’onglet « De l’Antiquité au XVIIème siècle », le site internet de la Mairie résume l’histoire de Rambouillet.
Une présence préhistorique, le nom de Rambolitum dans un acte de Pépin le Bref en 768, et nous voici au Moyen-âge : « L’histoire du château commence en 1153 par la mention d’une cour (aula). En 1368, le chevalier Jean Bernier achète à la famille de Montfort un bâtiment alors qualifié de manoir et hébergement. Il le transforme bientôt en véritable forteresse dont seule subsiste la Grosse tour.
En 1384, le château passe aux mains de la
famille d’Angennes, qui en restera propriétaire durant près de trois siècles. »

La suite est bien connue. S’y succèdent : en 1699, Joseph Fleuriau d’Armenonville; en 1706, le comte de Toulouse et après lui son fils, le duc de Penthièvre; en 1783 Louis XVI, puis des rois, des empereurs, des présidents…

Mais que s’est-il donc passé de 768 (Pépin le Bref) à 1368 (Jean Bernier) durant ces six siècles dont on ne parle jamais ? Six siècles, c’est quand même l’équivalent de la période qui s’est déroulée de 1423 (Charles VII, Jeanne d’Arc …) à aujourd’hui ! Cela mérite que nous nous y arrêtions, le temps d’un article !

J’espère que vous arriverez à vous y retrouver parmi tous ces personnages, dont l’aîné porte systématiquement le prénom de son père !

Un préambule juridique

Avant de parler des propriétaires du fief de Rambouillet, il faut rappeler quelques bases du Droit féodal.

La société féodo-vassalique lie les hommes sur la base d’un contrat de fief qui définit leurs rapports. Le suzerain concède un fief à un vassal –souvent pour le récompenser pour son aide militaire. Il s’engage à lui donner aide et protection.

Charles d’Orléans reçoit un hommage

En retour, le vassal ainsi fieffé doit « la foi et l’hommage » à son suzerain. Il l’exprime publiquement chaque fois que nécessaire, et notamment à chaque succession, au cours d’une cérémonie dont le protocole est soigneusement codifié. Concrètement, le vassal s’oblige à certaines obligations financières, et à un devoir d’assistance et de conseil… On peut relire ici l’article sur « l’hommage de Montorgueil. »

Le suzerain reste donc propriétaire du fief –on parle de propriété éminente. Cependant le vassal en a la propriété utile, c’est-à-dire qu’il est libre de l’utiliser, de l’exploiter pour son propre compte et de le transmettre par vente ou succession.

La formule moderne qui s’en rapproche le plus c’est notre démembrement de propriété entre usufruit et nue-propriété.

Le propriétaire d’un domaine qui comprend plusieurs fiefs peut ainsi se reconnaître vassal de plusieurs suzerains différents, avec des liens très complexes. Le Droit prévoit même que si un conflit intervient entre deux de ses suzerains, le vassal peut choisir librement celui qu’il veut supporter, mais en respectant la neutralité de son autre fief.
Et, naturellement, un seigneur –et cela s’applique également au roi- peut n’aliéner ainsi qu’une partie de ses biens, et en exploiter lui-même les autres.

Tout ceci crée un réseau pyramidal d’une grande complexité dans lequel chaque suzerain est à son tour vassal. Au sommet, le roi, bien que suzerain ultime dans son royaume, peut se trouver vassal d’un souverain pour des fiefs situés hors de son royaume. Le roi d’Angleterre était ainsi vassal du roi de France pour ses fiefs de Normandie, Guyenne, Anjou, Maine, Aunis et Saintonge…

Les Montfort

En 768 Pépin le Bref avait fait don de l’Yveline à l’abbaye de Saint-Denis. Cette donation avait été ensuite confirmée en 771 par Carloman, frère de Charlemagne, puis en décembre 774 par Charlemagne lui-même. Dans ce dernier acte, intéressant parce qu’il donne une description des limites de l’Yveline, on trouve des dispositions accessoires, comme l’obligation d’utiliser la peau des bêtes sauvages, cerfs et chevreuils pour couvrir les livres du monastère, ou encore de donner la chair des animaux tués à la chasse pour nourrir et réconforter les religieux malades…

Pourtant cette donation ainsi confirmée ne semble pas avoir eu beaucoup d’effets, et si, en 989, le roi Robert, fils d’Hugues Capet, peut donner à la congrégation des Saints Bathélémy et Magloire le revenu de la dîme perçue sur les terres défrichées dans la forêt d’Yveline, cela indique bien qu’elle a été entre-temps réintégrée dans le domaine royal.

Vers l’an 1000, Guillaume de Hainaut (fils du comte de Valenciennes Amaury de Hainaut) épouse la fille d’Hugues de Beauvais, précepteur du jeune roi Robert. Elle lui apporte en dot la châtellenie d’Epernon. Le monastère de la Trinité de Seincourt, qu’il crée à Hanches, reçoit le patronage de toutes les paroisses qui dépendent d’Epernon… dont celle de Rambouillet. Le pouvoir religieux est ainsi séparé du pouvoir civil.

armes d’Amaury de Montfort

Guillaume de Hainaut est assassiné en 1008, et ses biens reviennent à son fils Amaury, alors enfant, qui adopte le nom de Montfort et se trouve ainsi à l’origine de cette grande lignée.

Peu avant sa mort, en 1052, il fait don à l’abbaye de Marmoutier, près de Tours, du monastère de la Trinité d’Epernon créé par son père. Cette donation inclut les presbytères de Rambouillet et de Gazeran. Les droits d’autel (le droit de nomination du curé) sont également donnés aux religieux, mais pour entrer en vigueur seulement après sa mort.

On sait donc, par ce document, que Rambouillet disposait déjà d’une église et d’un presbytère à la fin du Xème siècle. Nous n’avons cependant aucune autre indication quant au fief de Rambouillet et ceux à qui les seigneurs de Montfort en avaient concédé la propriété utile.

En 1097-1098, le roi d’Angleterre Guillaume le Roux (il s’agit de Guillaume II, fils de Guillaume le Conquérant) tente d’obtenir par la force le rattachement du Vexin à son duché de Normandie. Simon II de Montfort, petit-fils d’Amaury, défend son fief et reste fidèle au roi de France Philippe 1er. Amaury III, frère cadet de Simon II soutient quant à lui l’expédition anglaise, et la famille de Montfort se trouve alors divisée. La région de Rambouillet n’est pas épargnée par les combats.

Lorsque cette expédition prend fin, Amaury III se réconcilie avec le roi de France, et bientôt il hérite des domaines de son frère Simon II, qui meurt sans héritier. Aux domaines d’Epernon et de Montfort il ajoute bientôt les comtés de Rochefort et d’Evreux.

Son fils Simon III, dit Le Chauve, séjourne à Rambouillet en 1153 avec son épouse Mathilde. Ils y signent un acte de donation de diverses terres en faveur de la léproserie du Grand-Beaulieu, près de Chartres. Nous pouvons lire que cet acte est scellé dans l’«aula Rambuleti». La formule nous apprend donc qu’à cette date il existait déjà à Rambouillet un manoir suffisamment important pour disposer d’une grande salle (aula) où se tenaient les audiences.

Il existait de même un fief de la Motte, dont le manoir était à l’emplacement de la sous-préfecture de Rambouillet, un fief à Groussay, un autre à Grenonvilliers et d’autres encore. Les divisions successorales pouvaient faire dépendre ces fiefs mitoyens de suzerains différents.

En 1158, Simon III, vassal du roi de France pour ses fiefs de Montfort et de Rochefort, en même temps que vassal du roi d’Angleterre pour son comté d’Evreux, prend le parti du roi d’Angleterre qui continue à revendiquer le Vexin. Les troupes anglaises ravagent à nouveau la région de Rambouillet. Deux ans après les deux souverains se réconcilient, et le roi de France, pardonne à son vassal qui l’a combattu. Reconnaissant son autorité sur la marche sud du royaume, il le nomme même, en 1160, gruyer (responsable) de la forêt d’Yveline.

A la mort de Simon IV, son fils Simon V hérite du vaste domaine de son père, qui augmente encore au décès de sa mère. Celle-ci a hérité des terres de Breteuil en Normandie, et les a échangées avec le roi Philippe-Auguste contre la chatellenie de Saint-Léger et la propriété de la forêt d’Yveline, dont le comte de Montfort était alors seulement le gruyer.

Simon V, dit le Macchabé, c’est « le Simon de Montfort » que tous connaissent. Il participe à la 4ème croisade en 1202, mais l’abandonne lorsque les croisés décident de faire le siège de Constantinople au lieu de partir en Terre Sainte. Il en rapporte une relique de prix : un morceau de la Sainte Croix qu’il offre à l’église Saint-Lubin de Rambouillet.

En 1209 le pape Innocent III lance une croisade contre les Albigeois. Il s’agit d’éradiquer l’hérésie cathare qui s’est développée dans le Languedoc. Simon de Montfort en prend la tête. La croisade se transforme vite en guerre de conquête des terres du comte de Toulouse, d’abord au bénéfice de Simon de Montfort, à sa mort au profit de son fils Amaury, et après l’échec de celui-ci, au bénéfice de la couronne.

Lorsqu’Amaury de Montfort, ayant échoué dans la poursuite des conquêtes de son père, revient en Yveline, il fait dresser entre 1224 et 1227 un état complet de ses possessions : le scriptum feodorum du Comté de Montfort.

Grâce à ce document nous apprenons que son vassal de Rambouillet est alors Philippe de Vieze. Son manoir est situé en terre marécageuse, à l’emplacement du château actuel.

J’en vois qui ne suivent plus !

En 1239, avant de partir à son tour en croisade (il sera fait prisonnier à Gaza, et décédera à son retour) Amaury de Montfort donne à sa nièce Peronelle de Bigorre, le domaine de Rambouillet lorsqu’elle épouse Raoul V Paynel, dit Tesson. Peronelle est ensuite désignée comme « la dame de Rambouillet ». Elle est ainsi vassale de son oncle. La ville compte alors 150 paroissiens, soit environ 750 habitants. On sait qu’il n’existe pas encore de château, car autrement les habitants de Rambouillet seraient tenus d’entretenir ses fossés au lieu de ceux du château d’Epernon.

armes de Beatrix de Montfort

En 1267, Beatrix, petite fille d’Amaury de Montfort épouse Robert IV, comte de Dreux. En 1283, à la mort de son époux, elle reçoit les hommages de ses vassaux, et c’est Guillaume Tesson, fils de Raoul et de Peronelle, qui lui rend hommage pour le fief de Rambouillet. On sait donc par cet acte que la propriété éminente de Rambouillet était toujours aux Montfort (suzerain), et la propriété utile aux Tesson (vassaux).

En 1315, l’héritage de Beatrix est partagé entre ses deux filles Yolande de Montfort et Jeanne de Roucy. Le fief de Rambouillet, et les fiefs qui l’entourent, reviennent à Jeanne, puis, par héritage à sa fille Beatrix de Roucy mariée à Amaury, seigneur de Craon et des Essarts. A la suite de ce transfert de la propriété éminente par héritage des Montfort aux Craon, tous les vassaux doivent rendre l’hommage à leur nouveau suzerain. C’est le cas de Guillaume Tesson pour son fief de Rambouillet.

Par la fille de Guillaume Tesson, Agnès, qui épouse Guillaume de Brucourt en 1300, le fief de Rambouillet passe ensuite à Jeanne de Brucourt, et son époux Girart de Tournebu. J’ai retenu ici l’hypothèse la plus simple parmi celles qui ont été envisagées pour expliquer la propriété utile de Jeanne de Brucourt, mais les historiens sont divisés sur le détail de cette période.

Jean Bernier

Le 6 mai 1368, Jeanne de Brucourt et son époux Girart de Tournebu cèdent leur domaine de Rambouillet à Jean Bernier. L’acte de vente décrit « un hébergement et manoir, la seigneurie de Rambouillet sur tous les hostels et sujets de la dite ville, les hostels du sire de la Motte et les hostels Colin de Grossay, un four bannier… ». L’acte précise en outre que l’ensemble dépend du fief des Essarts, et qu’à ce titre, l’acquéreur doit l’hommage à son suzerain Pierre de Craon, qui a hérité des droits féodaux de sa mère Béatrix de Roussy, dame de Rochefort.

Jean Bernier était chevalier, sénéchal, bailli, gouverneur, conseiller du roi Philippe VI de France. Il sert ensuite le roi Jean le Bon. Il est prévôt de Paris de 1361 à 1367 et maître des requêtes de l’Hôtel du roi. Un personnage important, donc, issu de la grande bourgeoisie.

Quand Charles V succède à Jean le Bon, il nomme en avril 1364, Jean Bernier « Souverain informateur des Eaux et Forêts du Royaume ». Sans doute cette nomination n’est-elle pas étrangère à son désir de s’installer à Rambouillet, et, de 1368 à 1385, il remplace le manoir existant par un véritable château féodal.

tiré de l’ouvrage de G.Lenotre

Lenotre en donne le plan ci-dessus, et le décrit ainsi dans « Le château de Rambouillet, six siècles d’histoire »:

« C’était un corps de logis formant bastion vers le sud, garni d’une tourelle ronde à chacun de ses angles et dont les épaisses murailles de briques et de meulières n’étaient percées que d’étroites ouvertures. Du côté de l’est, une aile s’étendait jusqu’à une porte fortifiée donnant accès à la cour du château que défendait à l’ouest une grosse tour isolée et reliée par une courtine au bâtiment principal. Un fossé d’eau, drainée des marais voisins, entourait toutes ces constructions. »

En 1375, Jean Bernier est nommé par Charles V au conseil de régence qui devra assister à sa mort sa veuve Jeanne de Bourbon en attendant que son fils soit en âge de régner.

En 1383 le jeune roi Charles VI âgé de 14 ans (il a été couronné à l’âge de 12 ans), vient dîner à Rambouillet accompagné de son oncle, le duc de Bourgogne, afin d’honorer ce grand serviteur de la couronne. C’est le premier visiteur royal d’un château qui en connaîtra tant d’autres.

Jean Bernier meurt l’année suivante. Son fils Guillaume n’a pas les mêmes raisons que son père de séjourner à Rambouillet, et il cède par voie d’échange, le 24 juin 1384 son domaine à Regnault d’Angennes.

C’est à Jean de Craon, fils de Pierre de Craon, qui est devenu le suzerain de ce fief, que Regnault d’Angennes rend l’hommage le 13 novembre 1399.

Avec la famille d’Angennes, nous arrivons en terrain connu : les sources, puis les éléments patrimoniaux deviennent de plus en plus nombreux, et plusieurs articles du site sont disponibles pour comprendre l’évolution de notre ville.

Pour résumer cette énumération ingrate, et conserver seulement quelques repères dans cette période mal connue, nous avons donc :

  • dès le Xème siècle, une église à Rambouillet, et d’une date indéterminée jusqu’en 1368, un manoir, remplacé ensuite par un château.
  • -Une succession de suzerains qui appartiennent tous à la famille des Montfort et par héritage à leurs héritiers directs jusqu’à leur branche des Craon.
  • -Et des vassaux, propriétaires exploitants du fief, dont nous sont parvenus seulement les noms de Philippe de Vieze en 1224, Peronelle de Montfort et Raoul Tesson en 1239, Guillaume Tesson en 1283, Girart de Tournebu et Jeanne de Brucourt en 1368 et Jean Bernier de 1368 à 1384.

Christian Rouet
novembre 2023

Cet article a 3 commentaires

  1. Anonyme

    je fais partie de ceux qui ont suivi jusqu’au bout ! et j’ai apprécié votre recherche .Un grand merci .D guillaumin .

  2. Mariani

    Pas glorieux de savoir que « la dame de Rambouillet » était une Péronelle !
    SVP, pas d’interro écrite samedi prochain !
    Merci quand même
    Bien cordialement

  3. Anonyme

    Merci pour le résumé final! Christian avait bien compris que je faisais partie de ceux qui ne suivent plus. Et serai-je assez motivée pour reprendre cette ingrate énumération? Mais ça valait la peine, quand même, pour faire prendre conscience de deux ou trois questions fondamentales, le droit féodal, les Montfort, etc. Claudette

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