Le vote des femmes : deux premières conseillères municipales à Rambouillet
Les deux premières femmes qui ont siégé au conseil municipal de Rambouillet sont mesdemoiselles Maréchal et Villain. Et je vous propose le quiz suivant :
En quelle année ont-elles intégré le conseil ?
- réponse A : 1936
- réponse B : 1945
- réponse C : 1952
Une idée, sans tricher ?
La réponse est 1936, et je vous félicite si vous l’avez trouvée, car ce n’était pas évident, surtout si l’on se souvient que les femmes n’ont obtenu le droit de vote et n’ont été éligibles qu’en 1944 !
Une conquête longue et difficile :
Dans l’Ancien-Régime, seules les veuves dotées d’un fief et les mères abbesses pouvaient voter aux États Généraux.
La Révolution remet en cause presque tous les privilèges… Cependant, en 1790, malgré une proposition de Condorcet, ou la Déclaration des droits des femmes publiée par Olympe de Gouges (« La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune » article 10 ), les hommes conservent seuls le droit de vote.
Le 5 mars 1848, le Gouvernement provisoire de la République créé après la Révolution-de-Février instaure le « suffrage universel »… masculin. Les femmes restent oubliées mais commencent timidement à revendiquer des droits. Jeanne Deroin, l’une des porte-voix de la revendication féministe fonde en juin 1848 « ‘La politique des Femmes’, journal publié pour les intérêts des femmes et par une société d’ouvrières ». Bien que non éligible, elle se présente aux élections législatives de mai 1849 mais sa campagne est tournée en dérision, autant par des hommes que par des femmes.
Il faut attendre le 1er juillet 1901 pour que le député Fernand Gautret, dépose – sans succès – le premier projet de loi accordant le droit de vote aux femmes (majeures et célibataires, veuves ou divorcées).
En 1906 le député Paul Dussaussoy dépose, sans plus de suite, un projet de loi « tendant à accorder aux femmes le droit de vote dans les élections aux conseils municipaux, aux conseils d’arrondissement et aux conseils généraux ».
En 1909 à la Chambre des députés, le rapport Buisson propose en vain l’électorat et l’éligibilité des femmes dans les mêmes conditions que les hommes.
En 1916 le député Barrès propose le « suffrage des morts » qui aurait permis aux veuves et mères de soldats tués à la guerre de voter à leur place.
Cependant l’opinion publique évolue … lentement. La cinquième proposition de loi est la bonne : le 20 mai 1919 la Chambre des députés adopte pour la première fois, par 329 voix contre 95, une proposition de loi instaurant le vote des femmes.
Mais le Sénat conservateur la bloque, par 156 voix contre 134, en refusant même de seulement l’examiner
Le 7 avril 1925 la Chambre des députés adopte par 389 voix contre 140 une proposition de loi instaurant le vote des femmes lors des élections municipales et cantonales.
Sans attendre que le Sénat s’y oppose, le parti communiste présente aussitôt des femmes sur ses listes aux élections municipales de mai 1925, et les élues siègeront quelques mois, jusqu’à l’annulation de leur élection par les tribunaux.
La chambre des députés vote à nouveau une loi en faveur du vote des femmes en 1927, puis en 1932, en 1935, en 1936. Systématiquement le Sénat s’oppose à toutes ces propositions de loi, et refuse même d’en inscrire la discussion à son ordre du jour. Or le système parlementaire de la IIIème république ne permet pas de se passer de son accord.
En 1942 le général de Gaulle promet qu’« une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée nationale ». En 1944 il renouvelle son engagement, et le 24 mars l’Assemblée consultative provisoire adopte par 51 voix contre 16, l’amendement Fernand Grenier qui instaure le vote des femmes.
Le 21 avril 1944 l’article 17 de l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération dispose que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
En application de cette loi, les femmes participent pour la première fois aux élections municipales d’avril 1945. Elles représentent 3% des élues. Jacqueline Thome Patenôtre est l’une d’elles, élue au conseil municipal de Sonchamp, première étape d’une carrière politique impressionnante. (lire l’article).
Le 21 octobre 1945 les femmes votent pour la première fois à un scrutin national : référendum et désignation de l’Assemblée constituante. 33 femmes sont élues ( parmi 586 députés ) : 17 communistes, 6 socialistes, 9 MRP et 1 PRL.
Aujourd’hui 17% des maires de France sont des femmes, ainsi que 29% des premiers adjoints, 38% des seconds adjoints, 43% des autres conseillers municipaux.
Elles sont 40% parmi les députés, 32% parmi les sénateurs, et 36% parmi les députés européens. Elle détiennent 4 présidences de région sur 13.
A Rambouillet la présidence de région, le mandat de député, celui de maire, 5 postes d’adjoints sur 10 et 11 de conseillers sur 24 sont tenus par des femmes.
Ni électrices, ni éligibles, mais déjà présentes :
En 1936, la gauche n’a toujours pas réussi à forcer le barrage du Sénat et les femmes restent exclues de la vie politique. Toutefois, cela n’empêche pas Léon Blum d’en prendre 3 dans son gouvernement, puisque les ministres sont désignés et non élus. Sont ainsi nommées sous-secrétaires d’État : Cécile Brunschvicg, à l’éducation nationale, Suzanne Lacore, à la santé publique et Irène Joliot-Curie, à la recherche scientifique.
En cette même année, plusieurs communes de Seine-et-Oise se dotent de conseillères municipales supplémentaires, qui siègent avec une simple voix consultative. C’est par cooptation que les conseillers municipaux élus choisissent ces conseillères, qui n’ont pas de statut légal. Versailles en désigne 6, Chaville 3, Croissy sur Seine 4.
Pour sa part, Rambouillet en désigne 2 et c’est ainsi qu’en 1936 Mlles Maréchal et Villain rejoignent le conseil municipal, élu l’année précédente.
Dressant un bilan de ces mandats, le Progrès de Rambouillet, journal de gauche qui a appuyé les tentatives de réforme dans ce domaine, relève avec satisfaction ( 31 juillet 1936 ) :
« Ces dames ont rempli leur mission avec tant de zèle et de compétence que le Conseil, tout heureux de cette aide qui ne peut, de par les qualités et préparations spéciales féminines, qu’accroître ses possibilités d’action et son influence, a élargi leur rôle.
Ces dames affectées aux commissions scolaire, hygiène, bienfaisance, organisation d’un préventorium etc… ont participé avec efficacité à l’action des Conseils municipaux; elles siègent en outre aux séances du conseil avec voix consultatives. Plusieurs de leurs administrés leur ont dit leur satisfaction de leur présence.
Connaissant plusieurs des nouvelles conseillères versaillaises et rambolitaines, nous ne doutons pas que leur activité n’ait pour leur ville, des résultats heureux.
Les travaux des conseils municipaux ne sont-ils pas des « travaux ménagers » ? : propreté, hygiène, soins aux nourrissons et aux écoliers, aux malades et aux vieillards. Les femmes qui sont par destination des ménagères et des mères pourront apporter dans le « ménage de la cité » des capacités éprouvées. Quant aux budgets, n’ont-elles pas l’habitude d’y réaliser bien des équilibres instables qui finissent par s’établir avec stabilité et exactitude ? »

Pas sûr qu’aujourd’hui les féministes apprécieraient de lire qu’elles sont « par destination des ménagères et des mères » mais elles auront peut-être l’indulgence de ne pas s’en offusquer, en considérant que ces strapontins municipaux ont représenté une importante étape sur le long chemin de la conquête des droits civiques des Françaises !
Je relève d’ailleurs que si le rédacteur du Progrès tient pour acquis que les femmes doivent exceller dans certains domaines, c’est également l’avis des féministes, comme en témoigne leur affiche de 1925, ci-contre.
Le Progrès conclut :
« Nous saluons ces femmes dont le mérite s’est imposé et nous remercions les maires et les conseils municipaux de Seine-et-Oise qui ont su adapter la légalité aux exigences de la justice et du modernisme. »
Mlles Maréchal et Villain ne méritaient-elles pas, à ce titre, d’être sorties de leur oubli ?
Christian Rouet