Le quartier de Pierrefite (1)
Jusqu’en 1828 une borne appelée « la Pierre Fite » (on la retrouve écrite en un ou deux mots, et avec un ou deux « t ») marquait la limite entre les communes de Gazeran et de Rambouillet, un peu après la petite place du Rondeau, et son parking, en face du lycée Bascan.
Cette pierre avait donné le nom de « rue de la Pierrefite » à la portion du « grand chemin pavé » qui sortait de Rambouillet vers Gazeran, et les maisons qui la bordaient avaient donc constitué le « quartier de la Pierrefite ».
Le Tivoli (avec le premier cinéma de Rambouillet), la Poste aux chevaux, la passementerie Leroy, l’usine Montandon, la Verrerie d’Arleux, deux garages et quelques restaurants ont animé ce quartier, qui est surtout aujourd’hui celui du lycée Louis Bascan.
Nous évoquerons ces activités dans la suite de cet article, mais dans celui-ci je reviens seulement sur la création de ce quartier.
Toponymie
L’origine de cette Petra Ficta ( pierre plantée), n’est pas connue : elle a très bien pu être antérieure à l’époque seigneuriale : peut-être romaine, voire même mégalithique. Mentionnée déjà dans une charte de décembre 774, il s’agissait d’un bloc de grès de plus d’1,50 m de haut qui a fait office de borne non armoriée jusqu’en 1828 pour marquer la limite entre les deux communes de Gazeran et de Rambouillet.
Il faut rappeler que durant des siècles les seigneurs de Gazeran étaient bien plus puissants et riches que ceux de Rambouillet, et la limite territoriale de la commune de Gazeran venait aux portes du château de Rambouillet (en fait elle traversait les îles et les canaux).
L’emplacement précis de la pierre fite est mentionné dans un acte de 1784, relatif à la construction par le sieur Marquet d’une poste aux chevaux, à l’emplacement de la vénerie du roi. Elle semble avoir été brisée à cette occasion, et vraisemblablement intégrée dans cette construction.
Une borne de petite taille, portant les lettres P.F. fut alors posée à son emplacement, pour disparaître définitivement vers 1955. Aujourd’hui le nom de Pierrefite n’a été conservé à Rambouillet que pour le « square de la Pierrefite » (tel qu’il est désigné au cadastre) ou « de la Pierre Fite » (dans l’annuaire de la mairie ).
Sous les mandats municipaux de Charles Voirin (1848-1853 et 1878-1881) des travaux importants ont été entrepris dans la rue de la Pierrefite, et le conseil municipal a donc décidé, le 11 novembre 1882, de lui donner le nom du maire sortant. Devant les protestations de plusieurs conseillers, il fallut une seconde délibération, le 7 février 1883, pour que le nom de « Boulevard Voirin » lui soit officiellement donné.
Le 10 janvier 1948, dans l’enthousiasme de la Libération, le conseil municipal choisit de rebaptiser ce boulevard « pour perpétuer la mémoire du Général Leclerc qui fut l’un des principaux artisans de la libération du territoire et le libérateur de Rambouillet ».
Nous avons donc, depuis, une « avenue du Général Leclerc ». Or, on sait que Leclerc a été élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume par décret du 23 août 1952, de sorte que la mairie a jugé normal d’actualiser le nom de l’avenue pour en faire une « avenue du Maréchal Leclerc » dans l’annuaire municipal et sur les plaques de rue. Il semble cependant que la délibération du conseil qui a décidé cette actualisation n’a jamais été communiquée aux administrations compétentes, car pour le cadastre, l’IGN ou l’INSEE la voie est toujours avenue du Général Leclerc. Ou doit-on supposer qu’une telle délibération n’a jamais été prise, la mairie ayant pensé que cette actualisation allait de soi ?
Le tracé originel de l’avenue
La route qui vient de Chartres aurait pu emprunter trois vallées pour traverser en terrain plat le massif de Rambouillet. A l’ouest, celle de la Guesle, par Raiseux, Hermeray et Poigny. Mais il aurait fallu ensuite obliquer vers Rambouillet pour continuer vers les Essarts-le-Roi et Paris.
La route de la Drouette, à travers la forêt, par Emancé, Orphin, Vieille-Eglise aurait été plus longue.
La vallée médiane de la Guéville, par Saint-Hilarion, Gazeran, Rambouillet a donc été choisie.
A l’entrée de Rambouillet, la route aurait pu rejoindre Groussay en traversant le parc du château, à partir de la grille de Guéville, mais cette zone était marécageuse, puis, une fois assainie, elle était devenue propriété privée des seigneurs de Rambouillet.
La route a donc contourné par l’Est le parc du château, longeant le coteau de Rambouillet, dont la pente était trop raide pour les attelages d’autrefois.
Dans son premier tracé, sans doute fixé à partir du XIVème siècle, le « grand chemin pavé » rejoignait en ligne directe l’emplacement actuel de la sous-préfecture, laissant à sa droite le fief de la Motte qui correspondait, en gros, à l’emplacement du rondeau.
En 1699 Fleuriau d’Armenonville achète le domaine de Rambouillet à la famille d’Angennes. Il embellit son domaine avec de superbes jardins à la française, et un réseau de canaux qui délimitent six îles.
Vers 1705 il aménage la partie Est du parc, en créant le bassin du Rondeau, sur l’ancien fief de la Motte. Pour ce faire, la route qui le contournait par l’ouest est déviée et rejoindra désormais l’actuelle place Félix Faure en contournant le rondeau par l’Est.
Cette déviation ne modifie pas le reste du quartier, respectant notamment l’emplacement de l’ancien cimetière.
Louis XVI
Louis XVI acquiert le domaine de Rambouillet en 1783, et lance immédiatement une série de grands travaux, conduits par son gouverneur, le comte d’Angiviller, pour que la ville soit digne de sa royale présence.
Il dote Rambouillet de deux faubourgs : Groussay, au nord, et Pierrefite, zone de bois de bouleaux et de bruyères, au sud, sur un terrain ou affleure le sable fin.
Les premières constructions de la Pierrefite sont réalisées entre 1783 et 1785. Elles sont destinées à la vénerie (comme d’ailleurs celles qui sont construites à Groussay).
A l’angle de la place où sont construites les halles (c’est une installation provisoire, en attendant que la mairie soit construite en face de l’ancienne église et du château), un premier bâtiment accueille le chenil.
On l’appelle grand chenil, pour l’opposer à un second chenil, plus petit, situé dans la rue principale, à proximité de l’actuelle place du Roi de Rome.
A côté, l’hôtel de la Vénerie devient résidence du premier Lieutenant des Chasses, Jean-François Antoine.
De grandes écuries sont construites de l’autre côté de la route, en bordure du parc, et, profitant des eaux qui alimentent le Rondeau, un abreuvoir, ainsi qu’un lavoir pour des lavandières de Rambouillet sont créés derrière elles.
En 1785 une grande partie des terrains bordant la route sont donnés à bail. Les premières maisons du quartier Pierrefite s’y construisent dans les années suivantes.
On sait en outre que le cimetière est alors déplacé pour gagner son emplacement actuel, au centre de la garenne. Ce déplacement, financé par le roi, le satisfait (il lui laisse plus de latitude pour ses aménagements), et il comble tout autant les Rambolitains, car ce cimetière était trop petit, et de surcroît l’eau de la nappe phréatique trop proche de la surface inondait les tombes !
Sur le déplacement de ce cimetière, vous pouvez relire cet article.
Après la Révolution
Tous les biens qui appartenaient en propre au roi deviennent biens nationaux lorsque Louis XVI est destitué. Ils font l’objet de ventes par adjudication.
On sait que les immeubles les plus importants de Rambouillet ne trouvent pas preneur, mais ceux de Pierrefite sont plus modestes, et comprennent des terrains non bâtis à proximité de la Vénerie Royale.
En 1795, Jacques Marquet, un entrepreneur de bâtiment qui a travaillé à la construction de l’hôtel de la Vénerie, se porte adjudicataire d’un hectare et 2 ares. François Lemesle, maître de la Poste aux chevaux, achète les terrains de la garenne des bouleaux, en face des écuries (c’est-à-dire le quadrilatère aujourd’hui limité par l’avenue du Général Leclerc et la rue G. Lenotre. De nouvelles maisons y sont construites : Tourangeau le charpentier, et un marchand de pains d’épices s’y installent…
En 1793 Lemesle transfère sa poste aux chevaux (elle était à l’emplacement de l’actuel hôtel Mercure) dans les locaux des grandes écuries de la rue Pierrefite, qu’il loue, puis achète. Sur son terrain de la garenne des bouleaux (en face) s’installent alors quatre postillons, un maréchal-ferrant et, en 1817, une auberge à l’enseigne du « signe de croix ». Sans doute les voyageurs se signaient-ils avant d’entreprendre un voyage qui n’était pas dénué de dangers !
Hélène Lechalard achète une parcelle située aujourd’hui dans le parc du Lycée et les pins qu’elle y plante sont probablement à l’origine de ceux que l’on y trouve aujourd’hui.
Cependant, c’est en 1828 que le quartier Pierrefite va changer le plus : malgré la résistance de Gazeran, Rambouillet obtient que la limite entre les deux communes soit repoussée au niveau de l’actuel monument aux morts américains. (lire cet article)
Rambouillet hérite ainsi de 61 habitants et la commune s’agrandit d’environ 35 ha.

Et quelques années après, vers 1844, l’achat des terrains nécessaires à l’emprise de la voie ferrée vient délimiter le quartier par le sud.
Par délibération du 15 novembre 1935, la portion de rue comprise entre la place Félix Faure et la rue de la Garenne prend le nom de G. Lenotre, et le boulevard Voirin commence désormais au carrefour du Tivoli.
En 1900 Rambouillet compte 6 716 habitants. Le boulevard Voirin en a 179 sur le côté gauche (vers Gazeran) et 54 sur le côté droit.
L’époque moderne
L’écart de peuplement entre les deux côtés de l’avenue s’est encore accentué. Le côté droit, en lisière du parc n’accueille que des maisons individuelles et une seule a un second étage. A gauche, bénéficiant de règles d’urbanisme plus souples, des immeubles d’habitation (R+2+combles aménagés) ont progressivement remplacé les maisons individuelles, en bordure de route, et à l’intérieur, autour du square de la Pierre Fitte.
Nous évoquerons dans la suite de cet article les activités artisanales ou industrielles qui l’ont animé, et naturellement, le Lycée Bascan qui occupe maintenant tous les terrains situés entre la voie ferrée et les bâtiments construits en bordure de route.
Christian Rouet
octobre 2025