Quand 61 Gazeranais sont devenus Rambolitains...

La commune de Rambouillet est limitrophe de celles de Poigny-la-Forêt, les Bréviaires, le Perray-en-Yvelines, Vieille-Eglise-en-Yvelines, Clairefontaines-en-Yvelines, Sonchamp, Orcemont et Gazeran.

Ses limites ne sont pas toujours identifiées par nos visiteurs, qui ignorent souvent que « l’Espace Rambouillet » est sur la commune de Sonchamp, ou que la zone commerciale du Brayphin, comme une partie de celle du Bel-Air sont sur la commune de Gazeran.

Il est vrai que le regroupement des communes tend à réduire aujourd’hui l’importance de ces limites.

Le 14 décembre 1789, la Constituante crée les municipalités. L’article 1er du décret du 20 janvier 1790 place le siège de l’assemblée municipale « là où est le clocher. » 

Les limites territoriales des communes commencent à être définies avec la levée du cadastre de 1791, mais « il faut attendre l’achèvement du cadastre napoléonien, opération longue mais mieux orchestrée, pour que chaque commune (ou presque) dispose, dans les années 1850, d’un acte administratif de reconnaissance formelle de son territoire. » (Wikipedia).

Plusieurs lois se succèdent pour réglementer les réunions, divisions, créations de communes ou simplement leurs modifications territoriales (1801, 1806, 1837, 1871, 1884).
Et c’est ainsi qu’en 1827, agissant dans le cadre de la loi de 1806, la commune de Rambouillet demande une modification du tracé de la limite qui la sépare de Gazeran.

Le tracé de 1827 :

Partant de la route d’Ablis (rue G.Lenotre) la limite du territoire communal de Gazeran englobe alors le domaine de la Marine (le Vieux Moulin), coupe la route de Gazeran (boulevard du Gal Leclerc) à l’emplacement de la Pierre fitte, qui donne son nom au quartier, puis pénètre dans le parc du château pour couper les canaux, les deux iles, et aller rejoindre la Laiterie de la Reine.

Toutefois, les propriétaires successifs du château de Rambouillet, ont déjà procédé à de nombreux achats de terres pour agrandir leur domaine. Ils sont maintenant propriétaires de 300 hectares qui s’étendent depuis les canaux jusqu’aux premières maisons de Gazeran, et qu’ils ont entièrement clos de murs.
Ces terres qui sont toujours rattachées à Gazeran ne lui rapportent aucun impôt foncier. Qu’elles soient administrativement sur un territoire plutôt qu’un autre n’a donc pas d’incidence sur le budget des communes.

Par contre, en ville, le quartier Gazeranais de la Pierre-fite s’étend sur 35 hectares, et comprend des habitations – dont certaines se trouvent actuellement coupées en deux – et ceci permet donc à Gazeran de collecter des impôts !

La pierre fite :

Petra Ficta ( pierre plantée.), mentionnée déjà dans une charte de décembre 774, la pierre fite (ou pierre-fite ou encore pierrefite) a désigné un bloc de grès de plus d’1,50 m de haut, borne non armoriée qui marquait la limite entre les deux communes.

L’emplacement précis de cette borne est mentionné dans un acte de 1784, relatif à la construction par le sieur Marquet d’une poste aux chevaux, à l’emplacement de la vénerie du roi. Elle semble avoir été brisée à cette occasion, et vraisemblablement intégrée dans cette construction.

Quoi qu’il en soit, une borne de petite taille, portant les lettres P.F. fut alors posée à son emplacement, pour disparaître définitivement vers 1955.
C’est cette « pierre fite » qui a donné son nom au quartier de la Pierre Fite.

Assez logiquement, Rambouillet souhaite obtenir le rattachement.de ces 135 hectares et des maisons qui sont physiquement intégrées dans l’agglomération, mais Gazeran ne souhaite pas en être dépossédée, arguant de « la coutume et l’usage. »

La révision :

Profitant de modifications cadastrales annoncées pour 1828, le maire Delorme demande la rectification des limites entre les deux communes.

Le 17 août 1827 le conseil

« estime et est d’avis qu’il y a lieu de réclamer pour faire partie du territoire de la commune de Rambouillet les objets ci-après :

· – Toute la portion du territoire de la commune de Gazeran qui se trouve renfermée dans les murs de clôture du Parc Royal, en sorte que ce parc entier fasse à l’avenir partie de la commune de Rambouillet.

– Tout le terrain qui se trouve dans l’embranchement des Routes Royales de Chartres et d’Ablis et est entièrement limité par ces deux routes, par le chemin dit des Mandreuses (…) et enfin par

· le chemin Vert, depuis ledit chemin des Maundreuses jusqu’à la route d’Ablis (…) de telle manière que le faubourg de la Pierrefite et le Pavillon de la Marine appartenant à la dame Meslin, fassent partie de la commune de Rambouillet »

Le 26 août 1827, le conseil municipal de Gazeran, réuni autour de son maire proteste contre cette demande, et demande que « l’ancienne limite qui est décrite dans la demande de Rambouillet soit maintenue en l’état.

Le litige est soumis au préfet qui charge le géomètre Budin d’en étudier les différents aspects. Celui-ci rend son rapport le 23 septembre 1827, en se prononçant clairement en faveur de Rambouillet :

« il parait ridicule que le faubourg d’une ville, qui ne doit sa construction qu’à l’empressement avec lequel on favorisait l’agrandissement de Rambouillet, fasse partie d’une commune distante d’une lieue et se soustraie ainsi aux charges communes à toutes les villes quand celle-ci offre à ce faubourg tous les avantages dont jouissent tous ses habitants ».

M. Budin calcule que la perte réelle que subirait Gazeran porterait sur 35 hectares environ de terres imposables et 10 habitations seulement qui payaient des impositions et s’élèverait seulement à 570.55 francs de revenu annuel. Il conclut :

« La nouvelle limite proposée présente toute la fixité désirable en cela qu’elle remédie à l’incertitude que l’on trouve dans l’ancienne limite à partir du milieu du Pigeonnier de la Ferme royale pour joindre la borne placée sur la route de Paris à Chartres près de la porte charretière d’une maison appartenant à Mme Veuve Moutié. »

Le 30 mai 1828, le rapport et les conclusions déposées par M. Budin sont approuvées par M. Richard, géomètre en chef du Cadastre. Le 19 juin 1828 le roi Charles X rend l’ordonnance espérée par les Rambolitains :

« sur rapport de notre ministre, secrétaire d’Etat au département de l’intérieur, notre conseil d’Etat entendu, nous avons ordonné ce qui suit : les terrains délimités sur le plan sont réunis à la commune de Rambouillet et y seront exclusivement imposés à l’avenir, ainsi que le jardin anglais et une portion du parc du château royal qui seront également réunis à la même commune ».

Et le Préfet de Seine-et-Oise signe le 22 octobre 1828 les textes d’application.

Rambouillet compte alors 2.958 habitants et Gazeran 864. Ce déplacement de limite communale transfère de Gazeran à Rambouillet, 61 habitants, hommes, femmes et enfants, ainsi qu’une vingtaine de gardes, employés de la conservation qui sont logés dans l’enceinte du parc.

Je note que le géomètre Budin s’est bien gardé de leur demander leur avis, et comme nous ne savons pas si leurs impôts ont augmenté ou diminué des suites de ce changement, il est difficile de savoir s’ils en ont été satisfaits !

On sait toutefois qu’ils y ont au moins gagné en tranquillité. En effet, les Rambolitains en état d’ébriété avaient l’habitude de venir faire la fête à la Pierre Fite, sachant que la police de Rambouillet ne pouvait pas intervenir, et que celle de Gazeran, seule habilitée à les sanctionner, n’était guère tentée de se déplacer si loin de son clocher !

Dans la monographie de Gazeran qu’il publie en 1899 l’instituteur Lesage résume ainsi la situation :

Je me réjouis de constater qu’aujourd’hui nos voisins de Gazeran ne semblent plus nous tenir rigueur de leur avoir ainsi « arraché » ces terrains de cette façon inamicale.

La nouvelle limite longe donc la rue d’Arbouville à partir du « monument du Souvenir et de la Reconnaissance aux morts américains », rejoint la rue du Racinay, puis la départementale 150.
Elle laisse curieusement à Gazeran un triangle de la zone du Bel-Air, compris entre la rue Gustave Eiffel et la rue Pierre Métairie, avant de rejoindre la départementale 936, mais sans doute serait-il mal venu de demander une nouvelle modification de limites ?…

Christian Rouet

NdR : Madame Champrenault, Présidente Fondatrice de la SAVRE (Sauvegarde Architecturale du Vieux Rambouillet et son Environnement) a publié de très nombreux articles dans la presse locale, sur l’histoire de Rambouillet dont elle était une experte.
Je me suis inspiré ici d’un de ses articles « Querelle de limites entre Rambouillet et Gazeran », publié en janvier 1982. Elle en a écrit un second : « Recherches autour de la pierre-fite », au moment de l’aménagement du « square de la Pierre Fite. »

Un article complet a été également publié dans le Progrès de Rambouillet des 7 septembre et 5 octobre 1934

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