Propos impertinents sur les armes de Rambouillet

En application de la loi du 5 avril 1884, les communes disposent de la souveraineté totale en matière d’armoiries.
Constatant que la commune de Rambouillet ne disposait d’aucun blason, le docteur Louis-Joseph Fournier (1815-1889), alors archiviste de la société archéologique de Rambouillet et membre du conseil municipal, en imagine un en 1887.
Le conseil municipal, présidé par le maire Marie Gautherin, l’adopte officiellement.

Ces armes sont bien connues des Rambolitains, puisqu’elles sont toujours utilisées aujourd’hui. Elles ne sont, toutefois, visibles que sur deux édifices de la ville : la Caisse d’Epargne, rue de Gaulle, ainsi qu’en mosaïque au-dessus de l’ancienne entrée de la poste.
En langage héraldique on les décrit ainsi :

« Parti à dextre de sable au demi sautoir d’argent, qui est d’Angennes, mouvant de partition, à senestre tiercé en fasce, en un d’or au cerf contourné au naturel, en deux de gueules au bélier d’argent et en trois d’argent au chêne en sinople ; en abîme : d’azur à trois lys d’or brisé d’un bâton péri de gueules, qui est de Bourbon, comte de Toulouse. »

Merveille du langage héraldique. – dont mon traducteur automatique peine un peu à rendre les nuances, sans que cela mette en cause son intelligence artificielle.
En clair : la partie gauche représente les armes de la famille d’Angennes, la partie droite comporte un cerf, un mouton et un chêne, et les armes du comte de Toulouse sont superposées. (les trois lys d’or du Roi Louis XIV, son père, barré d’un bâton rouge pour indiquer sa bâtardise ( à l’époque, parfaitement honorable et assumée fièrement).
Mais regardons-les plus attentivement.

I. Les ornements.

Ce sont les éléments qui entourent, et enrichissent le blason.
Notre devise latine de Semper erecta est couramment traduite par « toujours debout ». L’armorial de France choisit « toujours haute ». Personnellement je préfère « toujours dressée » .
Mon gros dictionnaire Gaffiot me propose aussi « toujours fière ». Ciceron utilise « erecta » dans le sens de « qui va la tête haute » . Cela nous rapproche de l’érection, mais nous éloigne de la devise.
Quant au traducteur automatique de Google, il traduit « semper erecta » par « pigeonnier », et là, quelque chose m’échappe. Faites l’essai !
Quoi qu’il en soit, tous les commentateurs sont d’accord pour dire que cette devise s’applique à la tour « François 1er. » C’est une devise martiale, aux accents guerriers : Rambouillet plie mais ne rompt pas. La ville a résisté. On la croyait atteinte, mais elle est toujours debout…
La version moderne, proposée par un lycéen du XXIème siècle serait sans doute : « même pas mal ! »
Mais objectivement, à quel péril a-t-elle résisté ?
Rambouillet a, certes, connu quelques invasions, des épidémies, des incendies, mais comme toutes les communes de la région. Rien qui en fasse une cité martyre.
En fait, le seul péril qu’a jamais couru vraiment la tour François 1er, c’est celui de partager en 1802 le sort de sa soeur jumelle, et de disparaître par ordre de l’architecte Trepsat.
Ce « semper erecta » n’a donc probablement emporté un grand succès, que parce que nous sommes en 1887, et que la France n’a pas encore oublié Sedan et l’occupation prussienne, même si, à Rambouillet, celle-ci n’a été que « désagréable ».
Sorti de ce contexte revanchard, cette devise semble donc bien prétentieuse !

Napoléon ler a prescrit une couronne pour le blason des villes (décret du 17 mai 1809, aujourd’hui abrogé). Cet ornement tient compte de l’importance des villes :
-La capitale ( donc, le blason de Paris) a droit à 5 tours dans son mur crénelé.
-Le chef-lieu de département a droit à 4 tours, et les autres communes se contentent de 3.
Or on voit que celle de Rambouillet, bien que simple sous-préfecture, en a 4. Dans le blason sculpté sur la façade de la Caisse d’Epargne, rue de Gaulle, elle en a même 5.
Pas d’explication ! Fournier semble avoir estimé que le statut de résidence présidentielle permettait à Rambouillet d’ajouter la tour François 1er aux trois tours réglementaires !
Enfin, une couronne, moitié de laurier, moitié de chêne, achève d’ennoblir le blason, dans un style que l’époque devait trouver particulièrement réussi.

La couronne de laurier, c’était la « couronne triomphale », qui, à Rome symbolisait la gloire. La couronne de chêne, c’était « la couronne civique » qui récompensait celui qui avait sauvé la vie d’un citoyen romain.
Leur assemblage est très répandu en héraldique.

II. le blason :

L’inspiration varie pour la conception d’un blason communal : ici l’on recourt à l’image du saint patron, là à la silhouette d’un monument caractéristique, ailleurs au symbole de l’activité économique dominante. Les allusions géographiques, l’évocation d’événements marquants, ou de personnalités illustres, etc, sont également susceptibles d’entrer dans la composition des armoiries.
Pour Rambouillet, Fournier a voulu principalement rappeler le souvenir des familles illustres qui ont habité le château. Le choix peut surprendre, pour une commune républicaine, mais nous sommes en 1887, au moment où la popularité du général Boulanger permet d’imaginer un retour de la monarchie. Or on sait que la duchesse d’Uzés est un de ses principaux soutiens, politique et financier, et qu’elle est particulièrement influente à Rambouillet !

Parmi ces familles nobles, lesquelles choisir ?
Jehan Bernier ? Mais son fils a rapidement vendu le château de Rambouillet, qui n’est resté dans la famille que durant 17 années. Les d’Angennes ? Une présence de plus de trois siècles. Fleuriau d’Armenonville ? Son influence aurait probablement été plus forte, s’il n’avait pas été obligé de céder Rambouillet après moins de vingt ans de travaux. Louis-Alexandre de Bourbon, et son fils Louis Jean-Marie, respectivement duc de Penthièvre et comte de Toulouse ? Louis XV, Charles X, Louis XVI ?
Le souvenir de Napoléon est également fort, ainsi d’ailleurs que celui de Napoléon III, mais 20 ans après Sedan, sans doute valait-il mieux ne pas s’en glorifier !
Fournier retient donc assez logiquement les armes des d’Angennes et des Bourbon.

armes d’Angennes et de Bourbon

Reste à savoir comment les associer.
L’usage serait de les accoler en divisant le blason. Mais on voit bien que les armes des Bourbon ne s’y prêtent pas. La superposition est bien la meilleure formule.
En se limitant à ces deux seuls éléments, le résultat (à droite) aurait été sobre et élégant.
Mais une commune républicaine peut-elle choisir ainsi d’honorer uniquement deux familles nobles ?
Les débats ont dû être houleux !
La volonté de créer un blason dont la ville s’était toujours passé ne pouvait s’inscrire que dans une stratégie de « relations publiques ». Il fallait donc donner un maximum d’informations sur Rambouillet, et valoriser la commune autrement qu’en rappelant son passé seigneurial. Comme un vitrail d’église, un blason doit raconter une histoire.
La copie est donc modifiée, et le blason intègre trois éléments supplémentaires : un cerf, un mouton et un chêne. Vingt ans après, Marie Roux aurait demandé qu’y figure également le muguet !
Il a fallu pour cela ne retenir que la moitié du blason des d’Angennes.

les armes des Bourbons modifiées

Notons au passage que Fournier modifie les armes des Bourbons : les lys sont réduits et donc éloignés les uns des autres, et le bâton flotte sans les toucher.
Il s’agit sans doute de leur donner moins d’importance par rapport aux trois nouveaux éléments.
Mais personnellement je trouve que le blason y perd.

le blason final

Le cerf :

Il évoque la vénerie, dit-on, sans laquelle Rambouillet n’aurait sans doute pas existé.
Mais les adversaires de la chasse pourront aussi bien y voir simplement le roi de la forêt en majesté, car celui-ci n’a pas l’air aux abois.
Seul petit problème : il lève en même temps les pattes antérieure et postérieure gauches, et beaucoup trop haut pour qu’il aille l’amble. En fait il défie les lois de la gravitation universelle. (une statue de Louis XII présente la même singularité, sur le fronton du château de Blois.)

Le mouton :

Nous sommes en 1887, au moment où la production de laine française s’effondre sous la concurrence de la laine australienne ainsi que du coton. L’avenir de la Bergerie est donc loin d’être assuré, car le mérinos est élevé pour sa laine et non pour sa viande.
Intégrer un symbole qui risque de disparaître rapidement de Rambouillet semble donc un choix discutable, mais peut-être est-ce précisément là un moyen de montrer l’attachement de la ville à ce troupeau ?
Quoi qu’il en soit, l’avenir lui a donné raison, puisque, souvent menacée, la Bergerie est toujours présente. (Semper erecta !)
Il existe des variantes de notre blason, dans lesquelles le mouton est différent, voire même bélier.

Le chêne :

Enfin, c’est un chêne qui symbolise la forêt. Sans doute pas plus représentatif que la fougère, le gland ou le champignon, mais incontestablement plus noble.
Je dis qu’il s’agit d’un chêne, parce que c’est indiqué dans la description, mais est-ce bien certain ?
Troublant, non ?
Bon, laissons à Fournier le bénéfice du doute. D’ailleurs, pourquoi aurait-il dessiné un brocoli ?
Ici aussi, on trouve des variantes, selon les versions du blason, et même sur l’un d’eux un surprenant chêne à glands dorés. ( ou si vous préférez : « un chêne de sinople englanté d’or. » )

Accessoirement on peut se demander pourquoi le cerf et le mouton sont placés sur fond d’or ou de gueules. J’imagine que Fournier a seulement souhaité reprendre les couleurs déjà existantes (les lys d’or et le bâton de bâtardise rouge des armes de Bourbon).
De même leur symbolisation n’imposait nullement de conférer à ces éléments des couleurs réalistes : la robe brune du cerf, la laine blanche du mérinos ou les vertes ramures… Mais Fournier voulait sans doute que cette partie du blason soit la plus explicite possible. A l’époque, les messages publicitaires se devaient d’être réalistes !
Il existait pourtant bien d’autres combinaisons, dont l’effet aurait été très différent. Par exemple, simplement en réduisant le nombre de couleurs de 10 à 5

Etc… Une préférence ?

Mes critiques ne visent naturellement pas à proposer une modification quelconque de nos armes. Pourquoi ? Tout simplement parce que la ville a bien conscience depuis longtemps qu’un tel dessin, même simplifié, restera toujours parfaitement inutilisable en communication moderne, car celle-ci réclame des motifs épurés, pouvant être traités dans des tailles très différentes.

Et c’est pourquoi Rambouillet utilise désormais un logo, déposé le 3 octobre 2009 à l’INPI, Institut National de la Propriété Industrielle.

Difficile d’être plus sobre ! Nous voici aux antipodes du blason de Fournier.

Comment évoquer Rambouillet auprès d’un public pour qui Bourbon n’évoque plus qu’un whisky, et d’Angennes, rien ?

En écrivant Rambouillet, tout simplement : un message clair qui ne demande plus aucune culture générale !

A l’INPI ce logo, est décrit comme : « une vague verte recouvrant le nom « Rambouillet » inscrit en bleu », suivi de la désignation précise des couleurs employées (pour information elles sont désignées : «CMJN : 100/57/0/38 Ton direct : PMS 541 RVB : 17/71/124. CMJN : 75/0/100/0 Ton direct : PMS 361 RVB : 111/179/83 » ce qui prouve qu’il n’y a pas que le langage héraldique à être réservé à des initiés !

A la demande de la Ville, son usage est protégé pour 31 classes de produits sur les 45 que répertorie l’INPI, et l’on peut donc se demander pourquoi il reste libre pour les 14 autres.

Mais pourquoi faudrait-il trouver une explication rationnelle à toute situation ?

Créer aujourd’hui les armes d’une commune ?

Pourtant, même si un logo convient mieux à une communication moderne, bien des communes continuent à vouloir disposer d’un blason « historique ».
Le service des archives départementales assure donc la gestion et le fonctionnement du CDHU (Conseil départemental d’héraldique urbaine).
Sollicité par une commune, le CDHU propose un projet. « Le respect des règles de l’héraldique classique française et la recherche d’une certaine qualité artistique – qui rime généralement avec simplicité – sont toutefois systématiquement privilégiés. »

S’il est accepté, le projet est officiellement adopté en conseil municipal et fait l’objet d’une délibération. Cette procédure permet de fixer le dessin auquel devront se conformer toutes les représentations officielles.

Toutefois, ce dessin ne bénéficie pas de la protection conférée au logo, par la règlementation de protection des marques ( sauf à le déposer également à l’INPI ).

Interrogé en 2016, le Ministère de l’Intérieur ( JO Sénat du 29/12/2016 – page 5651) le confirme :

« Aucune disposition législative ou réglementaire n’encadre spécifiquement les conditions dans lesquelles les communes arrêtent leurs signes distinctifs, et notamment leurs blasons et armoiries. (…) Ces signes ou d’autres représentations graphiques s’en rapprochant peuvent en principe être librement utilisés (…). Toutefois, leur utilisation ne doit pas avoir pour effet de créer une confusion dans l’esprit du public avec la commune concernée. De ce fait, la commune peut engager une action, sur le fondement de l’article 1382 du code civil, si une telle utilisation est de nature à créer « un trouble manifestement illicite »

Donc le présent article est bien en droit de reproduire le blason de Rambouillet … à condition que vous ne pensiez pas qu’il s’agit là d’une étude officielle, émanant des services de la Ville.

Rassurez-moi : vous ne le pensiez pas, non ?

Christian Rouet
juillet 2020

 

Cet article a 7 commentaires

  1. NKR

    Bonjour et un immense merci pour votre site que je découvre avec grand plaisir. Une toute petite remarque (impertinente!) sur vos propos (impertinents!): vous dites que les armoiries ne sont visibles que sur deux édifices de la ville, la poste et la caisse d’épargne. Je suis surpris que vous ayez oublié le troisième site, pourtant largement le plus visible et le plus fréquenté de tous, où le blason est visible en ferronnerie. Vous l’avez je pense?…

    1. christian Rouet

      Bonjour, et merci pour votre commentaire. J’ai effectivement oublié celui de la gare, et peut-être d’autres (?). Comme vous l’avez compris, je me suis fait plaisir avec cet article … et je confesse un certain manque de rigueur !!! 🙂

  2. Marteau Anne marie

    Un grand merci c’était passionnant. Une rambolitaine.

  3. claisse

    dextre c’est à droite?
    amities

    Gérard

    1. admin2731

      c’est à droite pour celui qui porte l’écu, donc à gauche pour celui qui le regarde.

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.