Nos armoiries

Afin de mieux s’adapter à la communication moderne les armoiries de nos villes ont été progressivement remplacés par des logos. Publicitaires et graphistes se sont affranchis des règles complexes de l’héraldique et d’un langage pour le moins déroutant pour les non-initiés. Ils ont imaginé des dessins simples, originaux, aisément mémorisables et déclinables en noir et blanc comme en couleurs.

Cependant Wikipedia nous rassure : l’héraldique n’a pas totalement disparu. « Elle constitue une science auxiliaire de l’histoire au même titre que la sigillographie (ou sphragistique), la vexillologie, la phaléristique, la diplomatique… ». Autrement dit : l’étude des sceaux, des drapeaux, des décorations et des documents officiels (!).

Un rappel : les armoiries, ou armes sont les emblèmes choisis pour figurer sur un sceau, un écu, une bannière… Les blasonner c’était les représenter ou les expliquer selon les règles de l’héraldique, d’où le terme de blason donné à leur description. Cependant, en français moderne, les termes de blason et d’armoiries (toujours au pluriel !) se confondent.

En parcourant l’armorial de France, arrêtons-nous sur quelques armoiries du Pays d’Yveline, après un bref rappel historique.

Aux origines de l’héraldique

Au Moyen-âge l’usage du sceau, connu depuis des millénaires, se généralise. C’est le moyen d’authentifier un document et de certifier son origine. Le sceau devient un emblème héréditaire. Il est utilisé par des femmes, des prélats, des bourgeois, des artisans… Certaines communautés urbaines, ecclésiastiques, des corporations, des provinces, des universités en possèdent, et, puisque leur usage est libre, on voit même des paysans s’en doter.

Au XIIème siècle le motif du sceau est reproduit en couleurs sur la bannière du chevalier, puis sur son écu, son surcot et même sur la housse de son destrier.

On pense tout de suite à l’intérêt des armoiries sur le champ de bataille afin de distinguer l’ami de l’ennemi. Cependant elles ne sont pas tellement visibles de face, et c’est en réalité dans les tournois qu’elles ont été les plus utiles. C’est grâce au blason que le héraut chargé d’annoncer les adversaires qui entrent en lice, peut les reconnaître et les présenter au public. La performance individuelle de chacun peut ainsi être rattachée aisément à son lignage.

Capable de reconnaître au premier regard et en toutes circonstances les armoiries, le héraut devient un personnage important au service de son seigneur. Les premières règles d’héraldique visent à rendre les armoiries plus visibles (règles de superposition des couleurs, choix des motifs…). Véritable bureau des brevets, le héraut s’assure aussi qu’une nouvelle armoirie ne copie pas des armes déjà utilisées. A terme, quand on voit la complexité de l’héraldique, et la manière dont son langage a été volontairement figé, il est difficile de ne pas imaginer que les hérauts ont voulu aussi se réserver un monopole fermé aux non-initiés. Je ne détaillerai pas ici les règles d’héraldique, que je connais d’ailleurs fort mal.

Parmi les armoiries les plus anciennes de notre région, ont peut citer celles des seigneurs d’Angennes (Rambouillet), des Prunélé (Gazeran), des Montfort (Montfort-l’Amaury)…

Les armoiries désignent une famille. Cependant elles évoluent afin d’en distinguer les branches, se composent entre elles afin de décrire des unions, ou s’enrichissent d’ornements extérieurs pour glorifier certains membres de la famille.

Et les villes ?

Si chaque ville, à partir d’une certaine organisation, a eu besoin d’un sceau, rares étaient celles qui avaient besoin de décliner en outre leurs armoiries sur des bannières ou des écus, comme ce fut le cas de Paris, par exemple, où les armes de la toute puissante corporation des marchands de l’eau sont devenues celles de la ville.

La plupart des fiefs se contentaient des armes de leur seigneur. Et d’ailleurs, pour quelle utilisation ? Les villes n’envoyaient pas de troupes sur les champs de bataille, sous leur propre bannière, et lors des nombreuses fêtes religieuses, ce sont les bannières de la paroisse qui devaient être déployées. Relire sur ce site l’article de Michel Mazet (HMPY)sur les cachets et sceaux du Perray.

Le principal motif d’adoption d’armoiries communales a donc été, très tardivement, d’ordre touristique : doter la ville d’un blason d’inspiration historique, de même qu’elles sont nombreuses à se découvrir une spécialité gastronomique « authentique » ou « traditionnelle » qui n’existait pas 50 ans avant.

Ce blason a généralement la forme de l’écu dit « français ancien » (1) avec sa pointe inférieure en ogive, dont l’arrondi part du milieu des flancs.

Naturellement, les premiers motifs d’inspiration sont souvent les armoiries des anciens seigneurs.

C’est ainsi que l’on retrouve aujourd’hui les armes des d’Angennes à La Loupe, une des plus anciennes propriétés de cette noble famille, ainsi qu’à Rambouillet et à Poigny-la Forêt qui ont été leurs fiefs durant plusieurs siècles.

On retrouve de même l’hermine bretonne dans les armoiries des villes de Montfort-l’Amaury, de Sonchamp, et de Boinville-le-Gaillard, en souvenir du rattachement des terres du comté de Montfort au duché de Bretagne, 
ou encore le lion des Montfort dans les armoiries d’Allainville-aux-Bois, de Bullion, d’Hermeray, de Saint-Hilarion, de Saint-Martin-de-Brethencourt, de Chevreuse et de Montfort-l’Amaury…

L’invention de ces armoiries récentes s’est doublée parfois de l’adoption d’une devise : « Semper erecta » à Rambouillet, « E via orta » au Perray-en-Yvelines, « Usque ad finem » à Poigny-la-Forêt… et le recours au latin leur a conféré encore plus d’authenticité …

Des catalogues touristiques

Puisqu’il s’agit de valoriser la commune, autant réunir dans ses armoiries le maximum d’éléments !

Rambouillet

C’est ce qu’a probablement pensé en 1887 Louis Fournier, conseiller municipal et archiviste de la Shary, quand il a créé les armoiries de Rambouillet !

Les armes de la famille royale des Bourbon –barrées du bâton de bâtardise du comte de Toulouse – en occupent le centre, les armes de la famille d’Angennes, la partie droite (donc gauche quand on le regarde). Et Fournier a rajouté sur la moitié gauche de l’écu les motifs qui lui semblent caractériser le mieux Rambouillet :

  • le cerf : pour évoquer la chasse à courre. A cette époque, l’hallali des chasses de la duchesse d’Uzés est l’événement touristique qui attire le plus de monde à Rambouillet,
  • le mérinos : la Bergerie Nationale est alors menacée de fermeture au profit de Grignon, et la municipalité se bat pour conserver le troupeau introduit d’Espagne par Louis XVI,
  • et le chêne : symbole de la forêt, prisée par les chasseurs autant que par les promeneurs parisiens…

Vous pouvez vous reporter à mon article « Propos impertinents sur les armes de Rambouillet » pour une description plus détaillée  -et quelques clins d’oeil !

Vous trouvez ces armoiries trop chargées ? Pourtant, en 1956 lorsqu’un club du Rotary-International est créé à Rambouillet, il les reprend en l’état pour son fanion, et y ajoute, en plus de la roue rotarienne : deux trompes de chasse, qui encadrent le nom de Rambouillet, la tour François 1er, en silhouette et la devise latine de la ville, le tout sur fond vert et blanc pour évoquer les couleurs du muguet !
Et à la même époque le camping de Rambouillet fait encore plus fort !!! Sa devise : « j’y vins, j’y viens, j’y reviens »!
L’époque n’est pas à la sobriété dans la communication.

De même, quand Robert Louis dessine en 1952 les armes du Perray-en-Yvelines, il y associe le cerf de la chasse à courre, le marteau et l’enclume de Saint-Eloi, premier patron de la paroisse, et l’arc et les flèches du martyre de Saint-Sébastien, second patron de la paroisse.

Et le blason est divisé en trois parties, selon un dessin en Y, initiale de l’Yveline.
Lorsqu’il est complété par ses ornements extérieurs, l’écu est encadré par deux branches de chêne qui évoquent la forêt, et une coquille d’or rappelle que la commune est sur la route des pèlerinages de Saint-Jacques de Compostelle.

Citons dans le même esprit descriptif les armoiries de Boinville-le-Gaillard, créées en 2008.

Sur la moitié d’un fond divisé en Y, on trouve une bande d’hermine, qui évoque le hameau de Bretonville. Deux épées croisées rappellent que Boinville a été créé par des légionnaires romains; la colombe, que ces guerriers sont devenus agriculteurs, et les deux épis de blé, que Boinville est aux portes de la Beauce, grenier de France.
Ajoutons la silhouette du château du Bréau-sans-Nappe que le duc de Guise occupa durant les guerres de religion, et nous avons là un beau condensé de l’histoire de la commune !

Au fond nous retrouvons ici la tradition des vitraux dont les images colorées enseignaient l’histoire de la Bible ou de la paroisse aux fidèles illettrés. Autrement dit : « une image vaut mieux qu’un long discours ».

Naturellement, plus ces armoiries sont modernes, moins elles se sentent tenues de respecter les lois héraldiques.

Orphin et Neauphlette

C’est ainsi que celles d’Orphin, ou de Neauphlette sont plus des logos d’inspiration historique que des blasons, même si leur inspiration est évidente.

Mais qui s’en soucie, s’ils remplissent leur fonction ?

Le sort des armoiries

Le 19 juin 1790, la Convention décréta la suppression de la noblesse  et de tous ses attributs. Cependant Napoléon en rétablit l’usage et les armoiries existent toujours.

Le Droit français les protège, comme accessoire du nom

« Le nom patronymique et les armoiries constituent pour la famille qui les possède une véritable propriété que nul n’a le droit d’usurper sous peine de dommages-intérêts. »(1er juin 1888) 

Le Conseil français d’héraldique (CFH, association régie par la loi de 1901) a été créé le 7 octobre 1984, pour aider les communes, les associations et les particuliers à créer des armoiries. Il les publie dans l’Armorial du IIIe millénaire.

Cependant de nombreuses armoiries de lieux disparaissent au profit des logos, afin d’obéir aux exigences de la communication moderne.

C’est ainsi, par exemple, que celles d’Ile-de-France ont évolué comme suit (source Wikipedia)ou encore, celles du département :Pourquoi ? Parce que le logo doit rester lisible en taille réduite, même lu sur un smartphone. Avantage considérable : il est évolutif, peut suivre la mode, accompagner un changement de stratégie, de majorité politique…

Est-ce bien un avantage ? Nos armoiries n’avaient-elles pas précisément l’intérêt d’affirmer la continuité de notre Histoire ? Et pour le plaisir d’adopter un dessin moderne, voire abstrait, ne choisissons-nous pas souvent un logo dont la signification échappe à tout le monde, au point qu’il est maintenant obligatoire de l’accompagner de son étiquette explicative : « Région Ile-de-France », « Yvelines, Conseil général », « Rambouillet » etc…

Par exemple, le logo de Rambouillet est élégant, aisément reconnaissable et facile à mémoriser. Avouez cependant qu’il pourrait nous échapper que cette « vague verte recouvrant le nom Rambouillet » (description déposée à l’INPI) évoque la cime des arbres de notre forêt !

Parce qu’elles ont été créées récemment, ces armoiries de villes ne figurent que rarement sur des édifices publics. A Rambouillet on les trouve en fer forgé au dessus de la gare, en pierre taillée sur la façade de la Caisse d’Epargne, et en mosaïque au dessus de l’ancienne entrée de la Poste. Dans les autres communes, je ne me souviens pas en avoir vu, mais vous saurez sans doute m’en signaler.

Christian Rouet
octobre 2023

PS : Je tiens à signaler le travail accompli par des équipes de bénévoles des Projets de Cyberesp@ces de Saint-Arnoult, Rambouillet et Raizeux, pour présenter les blasons des communes de Rambouillet Territoires. Il est consultable ici.

Cet article a 2 commentaires

  1. Anonyme

    Toujours intéressant et documenté,
    Bravo
    Bien amicalement

  2. LAFLECHE Jean-Luc

    Quel super article
    Merci mon cher Christian
    Je vais en parler à la SARRAF
    Amitiés – Jean-Luc

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