VGE à Rambouillet

Le 27 mai 1974, Valery Giscard-d’Estaing devient Président de la république. Il l’emporte face à François Mitterand, candidat de la gauche, après un second tour qui bat les records de participation. À 48 ans, il devient ainsi le plus jeune président de la République depuis 1895, et il faudra attendre l’élection d’Emmanuel Macron, pour que son record soit battu (de 9 ans).

L’Histoire n’a pas été tendre avec lui. Nous nous souvenons davantage de ses safaris en Afrique, des diamants que lui a offerts Bokassa et dont le Canard Enchainé s’est régalé durant des mois, ou de ses tentatives de se rapprocher du peuple, en jouant de l’accordéon ou en allant dîner chez des Français moyens. Quant à sa grande réforme de dépénalisation de l’interruption de grossesse, elle est, curieusement, portée au seul crédit de sa ministre Simone Veil !

Elu quelques mois après le choc pétrolier de 1973, il a dû faire face à celui de 1979, avec un prix du baril qui s’est envolé sous l’effet de la révolution iranienne, puis de la guerre Iran-Irak.

Comme tous les présidents depuis Félix Faure, VGE (je me demande si ces initiales sont encore familières aux jeunes ?) disposait du château de Rambouillet, à titre de « résidence secondaire », et comme il était passionné de chasse, il y venait avec plaisir.

Je vais évoquer seulement ici deux de ses visites. Comme vous allez le voir, elles sont de nature et d’importance bien différentes, mais l’histoire n’est-elle pas un assemblage de grands et de petits événements ?

1975 au château de Rambouillet

En 1975 la situation économique européenne n’est pas bonne. Les trente glorieuses se sont terminées avec l’envolée du prix du pétrole en 1973, et depuis, la France est en panne de croissance. L’Italie traverse une crise économique encore plus sévère. L’Allemagne redoute d’avoir à supporter seule le poids des difficultés de ses partenaires européens. Quant aux Etats-Unis, en pleine forme, ils ne semblent pas prendre conscience de leurs responsabilités.

Depuis trois ans, lors des réunions du Fonds monétaire international (FMI), VGE, ministre des finances de la France, et son collègue allemand Helmut Schmitt se réunissaient discrètement avec leurs homologues britannique, japonais et américain dans la bibliothèque de la Maison-Blanche. Ils formaient ainsi le Library Group, où l’on causait entre initiés, monnaie et taux d’intérêt.

Aujourd’hui, VGE est devenu président, et Schmitt chancelier d’Allemagne. Le 31 juillet, tous deux participent à une rencontre internationale en Finlande. Giscard souffle au président américain l’idée d’un sommet consacré à l’économie mondiale. Gerald Ford, contre l’avis de ses conseillers, accepte. Le projet est lancé aussitôt.

C’est le château de Rambouillet qui est choisi pour l’accueillir du 15 au 17 novembre. Le choix de l’Elysée aurait donné l’impression d’une récupération par le gouvernement français. Celui de Versailles aurait été pire : trop cérémonieux, et trop somptueux pour un début de septennat durant lequel VGE cultivait une image de simplicité.

Sont conviés les cinq pays les plus « riches » parmi les membres de l’ONU, c’est-à-dire ceux qui ont alors le plus gros produit intérieur brut (PIB) : USA, Japon, Allemagne, Royaume-Uni et France. Les 139 autres pays de l’ONU n’apprécient pas d’être tenus à l’écart de ce cercle élitiste, mais il est nécessaire de limiter strictement le nombre de participants, si l’on veut aboutir à un accord, même modeste !

Au dernier moment l’Italien Aldo Moro obtient une 6ème place. En dépit de la fragilité de son pays, il est difficile de la lui refuser, car il vient de prendre la présidence tournante des Communautés Européennes.

C’est ainsi qu’est organisé à Rambouillet le premier G6.

La salle de presse réservée aux journalistes qui couvrent l’évènement est reléguée au Quai d’Orsay, à Paris, pour ne pas sembler donner trop d’importance à l’événement.

Aux dîners de Rambouillet il n’y a que 3 convives par pays, soit en tout 18 couverts. Au menu du repas d’accueil : tartare de bar au lait de coco, bouchon de veau poêlé et profiteroles aux épinards. Je vous donne cette précision, parce qu’en France, la tenue des femmes et le menu des banquets sont les détails les plus importants dans ce type de réunion.

Les chefs d’Etat sont logés au château, chacun selon ses préférences.

« Style Louis XVI avec tenture bleue pour le Japonais Takeo Miki, style Empire pour l’Italien Aldo Moro, meubles en acajou pour l’Anglais Harold Wilson, style Directoire pour l’Allemand Helmut Schmidt. Gerald Ford, lui, a demandé une télé couleur et une liaison directe avec Washington « pour suivre les résultats des matchs de foot américain », un désir satisfait séance tenante » (le Parisien).

Au cours des échanges, chacun expose ses convictions économiques. Pour VGE la crise est d’origine monétaire. En août 1971, le président américain Richard Nixon a désindexé le cours du dollar de celui de l’or. Il s’en est suivi une baisse de valeur du dollar de plus de 20%, qui a dopé les exportations américaines. En 1975 les USA s’attendent à un taux de croissance de 13%, quand la France anticipe seulement une croissance zéro, et subit une inflation annuelle de 12%.

Les USA contestent naturellement cette analyse, et surtout, il ne saurait être question pour eux de sacrifier une partie, même faible, de leur croissance au profit de l’économie mondiale. America first !

Finalement les six se séparent le 17 novembre, après avoir rédigé une déclaration commune. Ils y énumèrent les principales décisions et l’esprit dans lequel elles ont été prises. Les six se définissent comme des « démocraties industrielles » qui vivent dans « un monde marqué par une interdépendance croissante » qui les conduit à une « coopération internationale accrue» (Journal de la Nuit 17 nov 1975).

Les décisions prises dans le cadre du G6 semblent bien timides, et leur portée pratique bien limitée. Cependant, l’important c’est que les pays riches y affirment pour la première fois la nécessité d’une gouvernance mondiale (qu’ils estiment leur revenir de droit). Cette coordination rend possible une gouvernance économique libérale que la chute de l’URSS viendra renforcer. En 1992 l’Europe réalisera la mise en place de son marché commun, et en 1995 l’OMC, organisation mondiale du commerce, sera créée.

Après le G6 de Rambouillet, il y a aura le G7 de 1976, avec le Canada. Puis le G8 de 1977, avec la Russie, qui redeviendra G7 en 2014 quand la Russie en aura été exclue après la crise de Crimée.

Les critiques seront nombreuses, notamment des pays exclus de ce club de riches, dont le poids ne cesse de reculer. En 1992 les sept pays du G7 représentaient 46% du PIB mondial, en 2023 ils en représentent moins de 30%, et les prévisions indiquent que cette baisse va se poursuivre sous le double effet des baisses démographique et économique des pays du G7.

Ce que je retiens accessoirement, c’est que le choix de VGE de tenir ce G6 à Rambouillet, a fortement contribué au renom international de notre cité. Et durant quelques jours, les Rambolitains se sont passionnés pour les problèmes économiques mondiaux, tout en essayant d’apercevoir quelques uns des participants, à travers les grilles du parc, hyper sécurisé.

1990 à l’Auberge des Bréviaires

Battu aux élections présidentielles de 1981 par l’apport inattendu des voix chiraquiennes à Mitterand, VGE fait ses adieux télévisuels aux Français, laissant devant les caméras une chaise vide.

En 1990 il revient cependant dans la région de Rambouillet, en compagnie de son épouse, pour une soirée où je me suis trouvé acteur involontaire.

Le Rotary-Club change de président chaque année. J’ai ainsi succédé à mon ami Georges Aug, le 1er juillet 1990.

Or, celui-ci, ancien camarade de chambre de Giscard lors de leurs études à Polytechnique, l’avait invité à venir nous parler de la construction de l’Europe. L’année rotarienne s’était terminée sans réponse de VGE, mais en octobre sa secrétaire m’avait fait savoir que M. et Mme Giscard d’Estaing nous feraient l’honneur de leur participation à l’un de nos dîners, le 15 novembre..

Pourquoi ce revirement ? Après le second échec de Jacques Chirac face à François Mitterrand, en 1987, la droite cherche à se regrouper, et Giscard, qui propose la fusion de l’UDF avec le RPR est largement pressenti pour en prendre la tête. Ses interventions dans le domaine européen rappellent sa parfaite compétence dans ce domaine. Il commence à réoccuper patiemment l’espace médiatique.
Est-ce qu’une rencontre amicale avec G. Larcher, alors secrétaire du Sénat, à qui tous prédisent un bel avenir politique, l’intéresse particulièrement ? Je n’ai pas plus d’explication.

Cependant, c’est moi qui hérite donc de la présidence de cette soirée de prestige !

Recevoir un ancien président est naturellement un honneur, et nous avions lancé de nombreuses invitations, dont certaines nous avaient été demandées par VGE lui-même. Il nous avait d’ailleurs fallu limiter les convives pour que la réunion puisse se tenir à notre siège habituel : l’excellente Auberge des Bréviaires.

Cependant cet honneur était aussi fort inconfortable, et pour être franc je m’en serais bien passé !. En effet, la secrétaire de VGE m’avait indiqué que l’évolution de la situation politique du Kosovo pouvait l’amener à participer à une émission de télévision, à laquelle il lui serait difficile de ne pas donner la préférence.

Certes, la présence de Gérard Larcher me rassurait : en l’absence de VGE, je lui aurais passé la parole, et il aurait su traiter avec son éloquence habituelle n’importe quel sujet.

Oui, mais…! Dans l’après-midi la secrétaire de Larcher m’indiqua qu’il était retenu pour une séance du Sénat qui pouvait fort bien se terminer très tard.

J’ai ainsi passé quelques heures pénibles, conscient que si je restais le seul orateur de la soirée, nos invités risquaient de goûter assez peu mon répertoire d’histoires drôles.

A l’heure convenue, M. et Mme Larcher étaient pourtant bien des nôtres, et avec assez peu de retard, je sortais accueillir M. et Mme Giscard d’Estaing à leur descente de voiture.

Notre dialogue fut court mais précis :

· Et quelle est la raison de ma venue ici ?

· Georges Aug, qui était président du club l’an passé, vous avait invité.

· Ah, et qui est ce Georges Aug ?

· L’un de vos anciens compagnons de chambre à Polytechnique.

· Ah ? Et c’est lequel ?

· Celui qui vient vers nous, en compagnie de M. Larcher.

· –

· Georges, mon vieil ami ! Anne-Aymone, ma chère, voici mon ami Georges, dont je vous ai si souvent parlé…

Il faut, pour faire une carrière politique, de grandes qualité d’acteur ! J’atteste que Giscard les possédait.

Durant le repas, j’étais assis entre madame Giscard d’Estaing, et Jacqueline Thome Patenôtre, alors député européen.

V. Giscard d’Estaing, J. Thome Patenôtre, Ch Rouet


Jacqueline (pardon pour cette familiarité, mais pour tous les Rambolitains qui la rencontraient dans un cadre associatif ou autre, madame Thome-Patenôtre était « Jacqueline »).
Jacqueline, donc, m’avait soufflé :

– Il va nous parler encore de son principe de subsidiarité. Il explique très bien, mais je n’y ai encore rien compris !

L’instant d’après elle se penchait vers Giscard, qui était à sa droite et je l’entendais lui dire :

· monsieur le Président, je suis ravie de vous retrouver. Je dois avouer cependant que je ne pensais pas que vous seriez venu.

· Et VGE, imperturbable, lui répondait : Mais ma chère, j’avais donné ma parole ! Vous savez très bien que je la respecte toujours !

Jacqueline se tourne alors vers moi, et me dit :

« Vous avez entendu ? Giscard me répond qu’il respecte toujours sa parole ! Vous savez, ce n’est pas vrai du tout ! La semaine dernière c’était l’invité d’honneur d’une soirée où nous étions plus de 300 à l’attendre. Il n’est pas venu, et ne s’est même pas excusé ! »

Je me suis senti rétrospectivement très mal !

Pendant une heure, VGE nous avait délivré sa vision de l’Europe, passée de 6 à 12 membres, et devant être capable d’intégrer rapidement de nouveaux membres. Pour cela, selon lui, elle devait se doter de nouvelles institutions, dans le cadre d’un fédéralisme décentralisé.
Il fut brillant, spirituel, charmeur.
Répondant à une question que personne ne lui posait, Giscard nous avait affirmé :« Beaucoup de gens s’imaginent que j’ai envie de revenir à l’Elysée. Pas du tout ! L’Elysée, non, mais j’aimerais bien revenir à Rambouillet », et les journalistes présents s’étaient dépêchés de copier sa formule et de gloser sur son sens caché.

On sait que la popularité grandissante d’Edouard Balladur, devenu premier ministre dans le cadre de la cohabitation, mit bientôt fin aux ambitions présidentielles de VGE, et qu’il ne fut pas candidat en 1995.
Il ne revint donc plus à l’Elysée… ni à Rambouillet.

Voilà ! Je l’ai écrit plus haut : ces deux souvenirs que je rattache à Valery Giscard d’Estaing ne se situent pas exactement au même niveau !
J’ai, certes, conscience de l’importance du G6. Cependant, je dois reconnaître que cela fait quelque chose d’être appelé monsieur le président par un ancien président de la république et son épouse.
Manque d’habitude, sans doute : c’était la première fois.

Ce fut, et cela restera, la dernière !

Christian Rouet
juillet 2023

Cet article a 4 commentaires

  1. Anonyme

    Merci pour ce rappel historique synthétique et bien documenté ainsi que pour ce portrait de VGE dans l' »intimité ».

  2. Noyelle

    J’adore tous vos articles, je ne les manque jamais, bien que je les récupère dans mes spams !

    1. christian Rouet

      dans toues les programmes de messagerie il est possible de mettre en « liste blanche » les adresses dont on veut recevoir les mails, sans laisser le programme décider à notre place. :-))

  3. Anonyme

    Merci Christian
    de nous faire revivre avec humour cette belle soirée rotarienne
    Bernard

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