Il y a 50 ans, la Clairière

C’est en octobre 1970 – il y a tout juste cinquante ans – que le conseil municipal de Rambouillet, présidé par Mme Thome-Patenôtre a voté la convention autorisant le Groupe Riboud à construire la première tranche du nouveau quartier de la Clairière.

Cet anniversaire mérite bien un article !

Le contexte :

Le IVe Congrès international d’architecture moderne (CIAM), tenu lors d’un voyage maritime entre Marseille et Athènes en 1933 sous l’égide de Le Corbusier a pour thème « la ville fonctionnelle ».

Il pose le principe de zones indépendantes pour les quatre « fonctions » : la vie, le travail, les loisirs et les infrastructures de transport.

La Charte d’Athènes, adoptée à l’issue de ce congrès sera largement suivie par les urbanistes pour reconstruire les villes européennes après la Seconde Guerre mondiale.

Sous son influence la pensée unique, en matière d’architecture ne jure que par les grands ensembles : tours et barres. Sarcelles sort de terre en 1955, la Courneuve en 1956…

Prenant le contrepied de la Charte d’Athènes, Jacques Riboud entend alors démontrer qu’il est possible de créer des quartiers à taille humaine, intégrant les quatre fonctions, à base de petites maisons de ville, pour un coût équivalent à celui d’une barre ou d’une tour. Il théorise son approche en 1961 dans son livre-manifeste Expérience d’urbanisme provincial.

Jacques Riboud (1908– 2001)

Jacques Riboud, photo Wikipédia

Ingénieur de formation, Jacques Riboud a été nommé après la guerre, directeur de la Société des Raffineries des Pétroles de l’Atlantique, future ANTAR (absorbée plus tard par ELF, puis finalement par Total). Chargé de la reconstruction de la raffinerie de Donges, il crée au sein d’ANTAR une petite structure, la Société d’Études et d’Équipements pour la Construction (SEEC) qui prend directement en main la construction d’un nouveau quartier destiné au logement du personnel.

« ça a tellement bien marché que quand Donges a été terminé, ça me faisait mal au cœur de disperser cette société et j’ai donc demandé au Conseil d’Administration d’ANTAR de reprendre à mon compte la SEEC. C’est comme ça que je suis devenu « constructeur créateur urbain » (J. Riboud)

En 1959, sa société, le groupe Jacques Riboud Création Urbaine commence à Villepreux la réalisation d’une ville « clé en main », sur 65 hectares de terres agricoles. Elle comporte 1700 logements et tous les équipements correspondants : écoles, bibliothèque, centre commercial, terrains de sport, maison des associations, église, mairie…

Mais malgré quelques autres projets réussis, à Maurepas, Rambouillet, Jouars-Pontchatrain, il n’arrive pas à imposer son concept « d’urbanisme provincial », et ses idées ne seront reprises qu’en 1990, avec le concept de « nouveau village », et très récemment pour le projet du Grand Paris.

A partir des années 80, déçu, il s’éloigne donc de l’urbanisme, pour se consacrer à l’économie. On lui doit d’importantes propositions pour simplifier le système des prêts immobiliers dont la complexité freine alors l’accession à la propriété. Il est surtout connu, et plus à l’étranger qu’en France, pour sa proposition en 1975 d’une monnaie supra-nationale européenne, « l’Eurostable », pour apporter une solution durable à l’inflation qui sévit à cette époque.

Au sein du Groupe Riboud, dont il est le PDG, mais aussi le théoricien et le communicant, toute la conception technique est assurée par son collaborateur Roland Prédiéri, architecte-urbaniste, dont le grand public a longtemps ignoré, ou méconnu le rôle fondamental.

Roland Prédieri (1927- )

Roland Prédiéri

Diplômé des Beaux-arts, Roland Prédiéri se forme auprès d’Auguste Perret, à qui l’on doit la reconstruction de la ville du Havre. A la manière de son maître, il dessine pour le Groupe Riboud des quartiers complets, du plan d’ensemble jusqu’au détail de chaque maison.

Son modèle est celui des villes nouvelles du Royaume Uni, où l’anglais Howard crée ses cités-jardins. C’est à lui que l’on doit donc toutes les réalisations du groupe : Villepreux, Maurepas, la Clairière …

«  En tant qu’urbaniste, j’avais déjà réfléchi longuement sur l’importance de la vie culturelle et sociale, de la construction d’une communauté. Les grandes villes, c’est l’isolement absolu. Vous ne croisez vos voisins de palier qu’en coup de vent dans le couloir ou l’ascenseur. Alors qu’avec les petites maisons et les jardins côte à côte, non seulement les gens se croisent le matin, mais en plus ils se voient quand ils s’occupent de leur jardin, ils discutent plus facilement, ils se trouvent des centres d’intérêt communs. Et en mélangeant les tailles de maisons, en proposant différentes surfaces, avec des jardins plus ou moins grands, on a une mixité sociale et une mixité générationnelle qui favorise davantage encore le dialogue »

On ne peut pas douter de la sincérité de ses convictions, puisqu’il vit avec sa famille dans une de ses maisons de Villepreux, depuis 1961, et on peut également estimer que ses clients n’ont pas eu à souffrir de vices de construction, ou autres désagréments, puisqu’ils l’ont élu maire de Villepreux en 1971, et réélu jusqu’en 1983 !

La Clairière

De 1954 à 1968, Rambouillet avait connu une augmentation démographique de 5582 habitants, soit 4,4% par an. En 1968 elle comptait ainsi 14 505 habitants.

collection Christian & Mireille Painvin

Le projet adopté en 1970 prévoit la construction en 6 ans de 900 logements, à un rythme d’environ 200 par an. En hypothèse basse, il s’agit donc d’augmenter la population d’environ 4 000 habitants, sur cette seule zone.

Les acquéreurs attendus sont des jeunes cadres, qui iront en majorité travailler à Paris ou dans la petite couronne. Le projet amène donc des besoins en infrastructure, en voies et en moyens de transports.

Les terrains de la Clairière, en 1950 (clichés IGN)
Les terrains de la Clairière, en 2018 (clichés IGN)

Les terrains sont des terres agricoles à l’ouest de la ville, en bordure de forêt, mais situés de l’autre côté de la voie ferrée et de la RN10.

Le Groupe Riboud prend à sa charge la réalisation de tous les équipements collectifs : assainissement,  eau potable, réseaux d’eaux usées, constructions scolaires et terrains de sport, et participe à la construction d’un CES. Tous ces travaux s’inscrivent dans des projets annuels, décidés en concertation avec la municipalité.

Il a fallu trouver rapidement de nombreux noms de rues. Ceux de la ville ancienne racontent l’histoire de Rambouillet : des personnages qui y ont vécu, des figures politiques nationales … A la Clairière le choix s’est porté sur les déclinaisons d’un thème par quartier : les arbustes (rue des noisetiers, des charmilles, des pruneliers etc…), les musiciens (rue Richard Wagner, Franz Schubert, Richard Strauss …) ou les fleurs (rue des roses, des pervenches, des fougères …).
Au fond pourquoi pas ? Cela garantit en tous cas une plus grande stabilité que le nom d’un homme politique !

Le besoin initial en école maternelle, pour une clientèle de jeunes primo-accédants disparaît après quelques années. C’est le besoin en collège, puis en lycée et enfin en IUT ou université qui le remplace, car les enfants des nouveaux acquéreurs sont plus âgés : les prix de Rambouillet sont hélas dissuasifs pour des jeunes ménages !

Le programme rencontre un réel succès, au point qu’il sera prolongé dix ans après par une extension de 239 pavillons sur une zone contigüe de 12 ha : « Château Bazin ».

Les banques ne s’y trompent pas : ce programme est prometteur, dans l’immédiat en crédits immobiliers et prêts à la consommation, mais à terme en dépôts et formules de placement.

un pavillon type Samarcande de 120m2 se vendait 318 000 F
en 1972. L’équivalent de 315 000€ de 2020.
collection Christian & Mireille Painvin

En 1970 il n’y a que quatre établissements bancaires sur la place : la BICROP (Banque Populaire), la BNP, la Société Générale, et le Crédit Agricole . Dès l’annonce de ce programme, le Crédit Agricole et la BNP modernisent leurs agences. La Sté Générale déplace la sienne de la place Félix-Faure à la rue Chasles. La BRO et le Crédit Lyonnais ouvrent une agence, bientôt suivies par le Crédit Mutuel.

publicité 1973 Bulletin municipal

Toutes expérimentent de nouvelles formules de prêts immobiliers, dont le Crédit Foncier et des organismes spécialisés (UCB-CFEC ou la Hénin-Cogefimo) avaient alors l’exclusivité.

En 1974, la toute jeune agence de la BRO réalise à Rambouillet plus de prêts immobiliers que toutes les autres agences de la banque, cumulées.

L’avez-vous oublié ? A l’époque, et en raison de l’inflation, les taux d’intérêts dépassent souvent les 15%.

Sur la base d’un remboursement en 15 ans, avec mensualités constantes, le cumul des intérêts dépasse le montant du capital emprunté ! Cela n’empêche pas les emprunteurs d’être persuadés qu’ils sont gagnants, à emprunter aux banques, tandis que les banques se savent gagnantes à leur prêter.         Mais la montée régulière des prix de l’immobilier donne raison aux uns comme aux autres, même si le marché immobilier connaît de temps en temps quelques corrections.

Et le banquier qui tapait avec perplexité dans les cloisons en placoplâtre du pavillon témoin, le jour de l’inauguration en posant la question : «  c’est ‘ça’ qui va garantir nos prêts durant 15 ans ? !!! » avait tort de s’inquiéter. Les constructions ont résisté, et les maisons de la Clairière se sont toujours revendues dans de bonnes conditions.

C’est que le quartier vieillit bien. Les arbres ont poussé, les jardins sont coquets. Les enfants peuvent jouer en paix. La forêt est à deux pas. Une vraie vie de quartier rapproche les habitants, et aujourd’hui, les écoliers gagnent à pied ou en bicyclette le collège Catherine de Vivone en toute sécurité.

Quant aux commerces, d’abord absents du quartier, ils se sont finalement développés aux abords de la Clairière, avec actuellement deux zones concurrentes : la plus ancienne, autour du magasin Intermarché, (depuis, un nouveau magasin Leclerc) et la nouvelle zone, initialement conçue autour d’un magasin Bricorama, et aujourd’hui animée par deux grandes surfaces alimentaires.

Reste seulement à résoudre le problème de circulation, entre les deux parties de la ville, séparées par la voie ferrée et la nationale 10, dont la difficulté de franchissement – par dessus ou par dessous – a toujours existé, et ne fait qu’empirer année après année.

les dernières terres agricoles entre la RN10 et la Clairière

Empêchera-t-il encore longtemps ces deux parties de la ville de se rejoindre, en bétonnant les dernières terres agricoles qui séparent encore Rambouillet de la Clairière ?

Nul doute que de nombreux promoteurs en rêvent …

Christian Rouet
octobre 2020

Note : on ne prête qu’aux riches ! La phrase (pleine de bon sens) : « Il faudrait construire les villes à la campagne, l’air y est plus sain », généralement attribuée à Alphonse Allais, se trouve en réalité dans les Pensées d’un emballeur de Jean-Louis-Auguste Commerson – qui ne nous a pas laissé grand chose d’autre !

Cet article a 3 commentaires

  1. FL

    Merci pour cet article fouillé, très intéressant comme toujours.

  2. Gilbert Lerner

    Merci pour cet article, je suis arrivé à Rambouillet 11 ans plus tard, soit 1981. Pas à La Clairière mais tout-à-côté.

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.