Photographe à Rambouillet...
Découverte vingt ans avant, la photographie connaît son véritable essor dans la seconde partie du XIXème siècle, avec un accroissement spectaculaire du nombre d’ateliers de portraits.
On n’en compte qu’une cinquantaine à Paris en 1840, mais plus de quatre cents en 1860.
Nadar, qui raille ce mouvement, dans sa « pluie de photographes » (ci-contre) crée son propre studio à Paris en 1860, avec plus de cinquante employés.
Les plus grands sont spécialisés : Nadar photographie la bohème parisienne; Pierre Petit l’épiscopat ou Disdéri le monde et demi-monde.
Le mouvement gagne vite la province. La petite bourgeoisie, les employés, les militaires, tous ceux qui n’avaient jamais eu, ni les moyens financiers, ni le temps nécessaire pour commander leur portrait à un peintre, se font photographier.
Entre 1850 et 1860 des photographes ambulants s’installent à Rambouillet le temps d’une foire. Et très vite, des ateliers permanents s’ouvrent. Le photographe doit sa réputation à la qualité technique de sa photo, et aussi à la façon dont il sait mettre en scène son sujet pour évoquer, à travers un décor ou quelques accessoires une situation sociale, des qualités personnelles…
Il doit naturellement être capable d’opérer des retouches : techniques pour rattraper certains défauts, mais aussi esthétiques car avec les durées de pose imposées par les premiers appareils il est difficile de ne pas être crispé et de rester naturel !
On va chez le photographe pour les grands événements de la vie : la naissance d’un enfant, sa communion, son service militaire, son mariage…
Outre l’intérêt de leur sujet, ces photos, qui font le bonheur des collectionneurs, nous renseignent naturellement sur le photographe lui-même. Les photos de l’époque ont souvent un verso publicitaire, ou plus simplement un cachet commercial ou une simple signature. Cela nous permet de les situer, avant l’apparition d’annuaires commerciaux ou autres publicités.
La taille et le succès des grands ateliers parisiens pourraient faire croire que ce métier, qui attire tant de vocations spontanées permet une réussite facile. La réalité n’est pas aussi simple. De nombreux ateliers sont tenus par un couple où l’un est photographe et l’autre – généralement sa femme – l’assiste pour la tenue du magasin. Le chiffre d’affaires est faible, aussi de nombreux photographes ouvrent plusieurs ateliers pour se rapprocher de leur clientèle et barrer la route à d’éventuels concurrents.
C’est ainsi qu’à Rambouillet on trouve dès l’origine des annexes de studios parisiens, ou versaillais.
Les photographes de Rambouillet
– Louis ROBILLARD
Sans doute le plus ancien ? Au recensement de 1872 il est désigné au 56 rue Nationale comme « photographe, marchand de vins et de tableaux » ! On connait de lui des quelques portraits de civils ou de militaires.
– Antoine MAS
Il s’installe tout d’abord sur la place de l’Eglise, sans doute vers 1873 sous l’enseigne « Photographie du Progrès ». Or cette place ne connaît pas le développement commercial attendu de la construction de la nouvelle église, et c’est peut-être pour cela que nous le retrouvons quelques années après à l’angle des rues d’Angiviller et de la République, d’où il est visible depuis la rue Nationale (rue du Gal de Gaulle).
Son atelier est ensuite repris sous l’enseigne « Art et Photographie du Progrès » par J. COUTAS, qui l’exploite sans doute jusqu’après la guerre, puis par DAIGUEPERSE vers 1920, qui produit notamment des séries de cartes postales sur notre région.
L’atelier Daigueperse ferme définitivement dans les années 1965, après, semble-t-il, une période d’inactivité durant la guerre.
– N. PAUL
Noël Paul, reprend en 1890 sous l’enseigne « Ateliers de photographie artistique N. Paul » le magasin créé par Alexandre LEGRAND au 33 rue nationale (de Gaulle) entre 1872 et 1876. C’est un photographe parisien (sous l’enseigne « Photographie de l’ Aigle Impérial« ). Il a également deux ateliers à Versailles, l’un « pour les militaires » et l’autre « pour les civils ».
Il semble qu’il se soit retiré du marché rambolitain vers 1900, sans avoir de successeur à cette adresse.
– ALFRED
Alfrède Joseph, photographe parisien, fuit la capitale durant la guerre de 1870 et vient s’installer au 22 rue Nationale (de Gaulle) sous le nom « Photographie ALFRED ».
La précision dans son adresse de « Maison de la Poste » demande une explication que nous fournit Philippe-Jean Vallot : « le receveur des postes avait son domicile personnel au 22 rue Nationale. La guerre de 1870 a probablement fait que les rambolitains ont préféré s’adresser directement à lui…en toute discrétion pour leurs économies, ( le réseau postal est autorisé dès 1835 à collecter « l’épargne populaire ») comme pour certains courriers plutôt que de passer au bureau de poste alors sous strict contrôle prussien. Aussi même après le départ des derniers casques à pointe le nom est resté quelque temps … »
Jules AUBRY qui travaille également dans l’atelier de son père à Paris prend la suite d’ALFRED. En 1907, au décès de son père il revient définitivement à Paris.
Son atelier est repris alors par LAGRANGE qui le transmet ensuite (?) au photographe LEPRETRE.
Vers 1930, PIERRE et Mme de SAINT-SAUVEUR reprennent le magasin, sous l’enseigne « Photo Moderne ». Ils l’exploitent avec succès jusqu’à leur retraite en 1947.
René et Marie-Jo MOLINARI achètent alors le fonds dont ils gardent l’enseigne. Ils le transmettront en 1989 à Philippe JUMEAU et son épouse Christiane MOLINARI. Le magasin sera définitivement fermé en 2013.
Pour finir ce tour d’horizon de la profession, il faut signaler au 21 de la place de la Foire (Félix-Faure) le studio d’Emile LECOQ en 1891, repris ensuite par HARDI vers 1914.
Il semble que le magasin ait été ensuite fermé.
Vers 1960 un photographe de la région, CLAVEL, propose de racheter MOLINARI, et devant son refus, s’installe à son tour place Félix-Faure, mais au 4 et non au 21. Son magasin « Art et Photo » sera repris ensuite par BENICHOU, puis par AUSSAL, un photographe de Dourdan, avant d’être définitivement fermé.
Aujourd’hui, il ne reste qu’un dernier photographe traditionnel au centre ville : Thierry Guillemain installé à Rambouillet depuis 1993 sous l’enseigne « TIN-TIN », rue d’Angiviller ( https://www.facebook.com/tintinphotographie).
MOLINARI – JUMEAU
Arrêtons-nous maintenant sur cette famille de photographes qui a exploité durant 66 ans le magasin de photos le plus important de Rambouillet.
En 1940, M. Letouze est bourrelier à Ablis. Il souhaite permettre à sa fille Marie-Jo de faire carrière dans une activité autre que la sienne, qu’il sait appelée à disparaître, et il lui monte un petit atelier de photographe.
L’armée envoie un fleuriste niçois, René Molinari, garder les pipe-lines d’Ablis et René se prend de passion pour la photographie … et pour la photographe.
En 1946 il revient à Ablis, et épouse Marie-Jo.
Après un stage de René à Paris pour apprendre le métier, le jeune couple ouvre son premier magasin à Auneau qui compte alors deux fois plus d’habitants qu’Ablis.
Cependant le magasin est trop petit pour faire vivre une famille. En 1947 ils le mettent donc en gérance et après avoir envisagé une installation à Dourdan, ils achètent à Rambouillet le fonds du photographe Pierre, « Photo Moderne » au 22 rue Nationale.
Eliane Degas, l’employée entrée à 16 ans chez Pierre, puis formée par lui à la photographie, restera avec eux, et passera ainsi 51 ans au 22 rue de Gaulle !
Pierre Letouze l’un des frères de Marie-Jo reprendra bientôt le fonds d’Auneau, secondé par Andrée son épouse.
En 1963 les Molinari ouvrent un second magasin à Epernon, que Jean, le second frère de Marie-Jo reprendra ensuite, avec Huguette son épouse.
Après l’abandon du magasin d’Epernon, le développement de l’activité restera alors centré sur Rambouillet dont la population augmente de façon régulière.
L’immeuble du 22 rue Nationale convient bien à l’activité de photographe. Il est parfaitement central, dans la rue principale, en face de la librairie Desbordes. Les premiers travaux d’agencement du magasin ont modernisé la façade, mais sans changer la surface de magasin.
Depuis longtemps ce grand immeuble de rapport, est divisé en trois boutiques en façade, séparées par deux cages d’escalier, qui conduisent aux étages, et dans les deux cours derrière, qui sont mitoyennes du jardin du Palais du Roi-de-Rome, plusieurs ateliers accueillent différents artisans dont un coupeur en cordonnerie, ou un étameur. Il y a là le studio de photographie et le laboratoire, qui ne cessent de se moderniser.
Un studio : la qualité d’une photo dépend beaucoup de la lumière. Les premiers studios avaient de grandes verrières, comme les ateliers de peintres. Et comme eux il étaient équipés de voilages et de rideaux, de toiles peintes pour servir de décors à des photos qui ne pouvaient être prises qu’en intérieur, et de nombreux accessoires : la fourrure pour coucher bébé, le prie-Dieu du communiant, des sièges, des guéridons, des colonnes et balustrades en carton plâtre, qui sont des éléments de décor en même temps qu’un soutien du sujet durant sa pose, qui pouvait durer plusieurs minutes.
Par la suite l’éclairage artificiel se développe, avec des projecteurs Fresnel à lampes incandescentes, halogènes puis LED, des modeleurs, ou déflecteurs pour diriger la lumière ou assurer un éclairage diffus autour du sujet. Les plus anciens devaient être approchés très près du sujet, qui devait supporter stoïquement leur chaleur intense.
Et dès que le matériel le permet, de nombreux clichés sont pris en extérieur (voir en annexe un article de 1899 qui rappelle la réglementation déjà existante à cette époque).
En 1969 un second magasin est ouvert rue Chasles à Rambouillet, sous l’enseigne « Photoshop ». C’est Christiane Molinari, leur fille, qui le gère. Sa soeur, a fait, elle aussi, des études de photographie mais à la suite de son mariage elle quitte la région, et n’exercera pas la profession de photographe.
En 1978 le magasin de la rue de Gaulle s’agrandit en reprenant l’emplacement mitoyen de gauche, où M. Gangloff envisageait d’ouvrir une papeterie, mais y a renoncé devant le développement de la librairie Desbordes, sur le trottoir d’en face.
Les deux magasins restent séparés par l’accès à l’appartement de l’étage, desservi par un superbe escalier d’origine. Ils sont reliés par l’arrière.
A cette occasion l’enseigne Photo Moderne de Pierre est abandonnée, et le magasin devient Molinari.
En 1974 Philippe Jumeau, de Saintes, qui a fait des études de photographie et occupé déjà plusieurs emplois dans cette branche, répond à une annonce et accepte un emploi qu’il imagine temporaire au magasin Molinari.
Il se prend d’intérêt pour Rambouillet … et de passion pour Christiane Molinari. Après leur mariage le magasin Photoshop qu’ils gèrent tous deux change de nom pour devenir le magasin Jumeau.
Le marché de la photographie individuelle explose. Les deux magasins vendent du matériel, et assurent développements et tirages d’abord sur place, puis en envoyant les pellicules au laboratoire Kodak, et en réalisant localement les travaux d’agrandissement, tirages artistiques etc… ainsi que la prise de photos (portraits, mariages etc… en studio ou en extérieur).
La profession connaît alors sa rentabilité maximale, mais bientôt la FNAC casse les prix et oblige les magasins indépendants à se grouper. Les Molinari-Jumeau deviennent membres du groupement Photo-Guide, bientôt rebaptisé Phox. Ils peuvent ainsi rester compétitifs.
Cependant la photographie numérique commence son développement vertigineux, qui sera prolongé par celui des smartphones. En 1989 quand René et Marie-Jo prennent leur retraite et cèdent à Philippe et Christiane leur magasin, le marché de la photographie traditionnelle est déjà sur une pente descendante.
Avec la photo numérique, plus de développement. Le tirage est réalisable chez soi avec une simple imprimante jet d’encre, ou à la borne d’une grande surface…
Certes, le métier de photographe existe toujours. Toutefois les attentes du public ne sont plus les mêmes : aujourd’hui n’importe quel amateur peut s’imaginer qu’en prenant une centaine de vues avec son smartphone il y en aura bien une qui atteindra le niveau d’un professionnel. Et c’est parfois le cas… ! Les magasins de photographie traditionnels ferment les uns après les autres.
En 2006 Philippe et Christiane arrêtent leur magasin de la rue Chasles, et réorientent celui de la rue de Gaulle, en jouant la complémentarité entre matériel photo et encadrement dans la partie droite, objets et petits meubles de décoration dans la partie gauche.
En 2013 ils cessent définitivement leur activité, et mettent en location le magasin dont ils ont acheté les murs en 1994.
Je ne peux jurer de rien, mais quand René réunissait sa famille pour savourer une socca de son pays natal, avec Marie-Jo, Christiane, Philippe et lui, photographes à Rambouillet, ses beaux-frères Pierre et Andrée, photographes à Auneau, et Jean et Huguette, photographes à Epernon, et peut-être même le frère de Philippe, son épouse et leur fils, photographes à Poitiers, on peut imaginer qu’à un moment quelconque, dans la conversation, il était question…de photographie.
Christian Rouet
PS : Certains des photographes de Rambouillet se sont illustrés dans la réalisation de cartes postales, également publiées par des imprimeurs et éditeurs spécialisés. Christian Painvin auprès de qui j’ai contrôlé mes informations m’a suggéré dans ce domaine des pistes très intéressantes, et détient dans sa collection de quoi les illustrer. Mais c’est un sujet trop riche pour être intégré ici : je le garde pour une autre occasion.