Redon-Dalmon

Voici l’histoire d’une entreprise que j’ai bien connue de l’intérieur, comme administrateur durant 5 ans. Or un « ancien de l’entreprise », Bernard Guillard, qui collectionne lui-même les souvenirs de cette entreprise où il a fait toute sa carrière, m’a fourni assez d’informations et de documents pour écrire et illustrer un véritable livre. J’espère qu’il s’en chargera un jour, car de nombreux rambolitains seraient sans doute heureux d’une telle publication que je ne fais que résumer ici.

A l’origine de l’entreprise

Une entreprise Redon apparait déjà dans les annuaires du XIXème siècle. Mais il s’agit de l’entreprise de maçonnerie de Pierre-Baptiste Redon, établie place Félix-Faure à Rambouillet. Elle est reprise ensuite sous le nom de Redon-Frères, par ses trois fils Jules-Louis, Léon-Victor et André.

Simple homonymie (de celles qui ne facilitent pas les recherches généalogiques !), leur soeur Andréa Emilienne épouse en 1905 un Louis Redon, électricien, et le ménage s’installe à Rambouillet.

Louis travaille-t-il d’abord avec ses beaux-frères ? En 1920, âgé de 41 ans, il crée son entreprise d’électricité, au 43 rue Nationale (rue du Gal de Gaulle), avec quatre ouvriers dont Maxime Dalmon qui va le seconder durant près de 30 ans.

21 février 1920 le Progrès de Rambouillet
Maxime Dalmon

Au décès de Louis Redon, l’entreprise individuelle devient le 24 mars 1958 la SA Entreprise Redon, et Maxime Dalmon en assure la gestion, d’abord comme directeur général sous la présidence de la veuve de Louis Redon, puis comme PDG. Au décès de celle-ci il en reste le seul dirigeant.

En 1967, au décès de Maxime Dalmon, l’entreprise change sa raison sociale en SA Redon-Dalmon. Son capital social est porté à 350 000 fr. Il est détenu en totalité par la succession Dalmon (Henriette, la veuve de Maxime Dalmon, et suite au décès de leur fils, leurs deux petits-fils mineurs sous la tutelle de leur mère Jacqueline).

Jack Leroux

Jack Leroux, ingénieur en électricité embauché comme directeur devient alors directeur général.

La SA Redon-Dalmon

Durant vingt ans (1967-1987) la société connaît un grand succès. Le mérite en revient à Jack Leroux, qui a senti très vite que le marché local n’offrait pas assez de perspectives pour une entreprise d’électricité générale.

Soudan 1985

Tout en continuant des installations industrielles, bureaux, entreprises, Redon-Dalmon se spécialise dans les équipements de production et de distribution d’énergie électrique, en France ou à l’étranger. En direct ou en sous-traitance de la société Degrémont (filliale de Suez), elle intervient dans des installations électriques de pompage et de traitement d’eau où son savoir-faire est reconnu. Elle réalise pour ses clients des automatisations électriques, électroniques ou pneumatiques pour les plus grands groupes industriels français : les Chantiers de l’Atlantique, EDF, le CEA, la SNCF, Total, Rhône-Poulenc, ESSO, Grands Travaux de Marseille etc…

1970 Bernard Guillard au travail
1971 pupitre de traitement des eaux

Les locaux de Rambouillet

les ateliers, cliché Géoportail 1968

Le développement de l’entreprise nécessite sans cesse de nouveaux locaux. Les bureaux restent longtemps au 43 rue de Gaulle, avec plusieurs garages ou ateliers en ville : rue d’Angiviller, rue Clémenceau, rue Maurice Dechy…

Cependant, en 1962 le développement de l’entreprise impose le regroupement de ses activités en un lieu unique. L’entreprise achète donc un terrain rue Louis Leblanc et y construit un premier bâtiment d’atelier. Dès 1965 l’entreprise dispose là d’ateliers de câblage, de peinture, et de tôlerie-serrurerie, en plus des magasins et bâtiments de stockage permettant l’approvisionnement des chantiers.

le magasin de la rue de Gaulle en 1980

Au centre-ville, l’entreprise conserve jusqu’en 1990 le magasin qu’elle a créé au 28 rue de Gaulle, en face de ses bureaux. Il s’y vend des luminaires, des appareils électroménagers, des postes de radio et télévision, ainsi que de l’équipement électrique dont la société assure l’installation, et son département Redon-Service, l’après-vente.

Pour se rapprocher de ses clients, l’entreprise ouvre des agences commerciales et bureaux d’études au 3 rue du cirque à Paris 8ème, au 408 Fg Bannier, Fleury-les-Aubrais (Orléans), et au 60 avenue du Maurin à Montpellier,

Stella Risacher à l’accueil

En 1969 un nouveau siège administratif est construit devant les ateliers de la rue Louis Leblanc, et permet de regrouper les bureaux de la Direction, et les services administratifs, ceux d’études et travaux et ceux d’approvisionnement.

Dans le hall, décoré d’une grande fresque de Gustave Hervigo, la souriante Stella peut enfin recevoir les visiteurs dans de bonnes conditions.

1972

1987 : le tournant

Pour la première fois de son histoire, l’entreprise supporte un exercice difficile en 1981: elle a investi dans de nouvelles technologies, et supporté plusieurs impayés importants. L’élection de François Mitterand a inquiété les investisseurs et d’importants chantiers ont été repoussés.

Les banques conservent leur confiance à l’entreprise mais s’inquiètent toutefois d’une insuffisance de fonds propres pour une activité de 76 millions de francs. Elles suggèrent une recherche de partenariat ou une cession. Christian Rouet, conseil d’entreprises, entre au conseil d’administration où siègent Henriette Dalmon, PDG, et sa belle-fille Jacqueline Dalmon.

L’entreprise se redresse et les exercices suivants sont bénéficiaires. Mais elle connait à nouveau un exercice difficile en 1986. A l’exportation elle supporte un gros impayé, et malgré son assurance COFACE sa trésorerie en souffre. Plusieurs gros chantiers se trouvent retardés, sans pouvoir être compensés à temps pour assurer la pleine activité.

Début 1987, les contacts engagés depuis plusieurs mois avec un partenaire sont sur le point d’aboutir, mais au dernier moment Rémy Dalmon, l’un des deux petits-fils de Maxime Dalmon s’oppose à la vente, car il estime possible de redresser la situation en restant indépendant.

C’est un optimisme qu’ils ne partagent pas, aussi, pour ne pas ajouter un conflit interne à une situation difficile, Jack Leroux part en retraite, et Christian Rouet démissionne de son mandat d’administrateur. Rémy Dalmon le remplace au conseil et prend les rênes de l’entreprise.

Le 21 juillet 1987, l’entreprise ne peut pas éviter de déposer son bilan et un administrateur judiciaire est nommé pour une période d’étude de la situation et de recherche de solutions. Le bureau de Paris est fermé. Celui de Montpellier est repris par son personnel.

Plusieurs cadres suivent le responsable commercial de la société, Jean-Jacques Lassere, pour créer une société indépendante, la CEEIN et travailler localement, en s’installant d’abord sur la place Jeanne d’Arc, puis au Bel Air.

En 1988 Henriette Dalmon cède la présidence du conseil à Remy Damon. Le bureau d’Orleans ferme à son tour. L’entreprise, qui a obtenu un règlement judiciaire cherche en vain des partenaires.

Le 10 octobre 1990 un second dépôt de bilan ne peut être évité.

Le 1er janvier 1991 la société est rachetée par le groupe SNEF-Electric-Flux avec les 90 salariés qui la composent encore. La SARL Société Nouvelle Redon Dalmon est créée pour cette reprise.

Rémy Dalmon à son départ

Deux agences sont ouvertes à Chartres et Saint-Denis pour compléter l’activité de Rambouillet en courants forts, automatismes, réseaux informatiques… Rémy Dalmon reste à la tête de l’entreprise, comme directeur salarié, jusqu’en 2004.

A son départ l’entreprise emploie 178 salariés et réalise un CA de 29 millions.

En 1997 SNEF Electric Flux est devenue Groupe SNEF. Elle poursuit son développement international, rachetant plusieurs sociétés importantes. Cependant elle n’a plus besoin des locaux de Rambouillet, pour ses nouvelles activités. Dans un premier temps, elle transfère ses bureaux rue Sadi-Carnot, et en 2008 elle quitte Rambouillet pour Maurepas.

Cette fois c’est bien la fin de cette entreprise, créée avec 4 salariés en 1920, devenue avec près de 300 salariés (dont les 2/3 à Rambouillet) l’un des plus gros employeurs de la ville, dans les années 1980, et aujourd’hui disparue.

  • Elle avait les forces et les faiblesses de ces entreprises familiales françaises qui ont marqué le XXème siècle, et chez lesquelles on retrouvait :
  • – un choix assumé de privilégier son développement local, par attachement à la ville où elle avait été créée (souvent par hasard), parce qu’être un notable créait des devoirs;
  • – une volonté de conserver son personnel, en le formant, et en privilégiant l’avancement interne, parce que la confiance était plus importante que le diplôme;
  • – un réseau de clients et fournisseurs que l’entreprise développait année après année, en mettant les relations humaines au-dessus de considérations strictement financières, avec l’assurance que le service rendu lui reviendrait tôt ou tard;
  • – des fonds propres d’origine familiale qui s’avéraient vite insuffisants si l’entreprise grandissait, même en réinvestissant chaque année tout le bénéfice disponible;
  • – et une méfiance « rurale » vis-à-vis des partenariats, prises de participations ou cessions qui lui auraient fait perdre son indépendance.

Sur bien des points, l’entreprise du XXIème siècle a changé. On peut parfois le regretter.

Christian Rouet
anvier 2024

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