L'Hôtel de la Motte
A Rambouillet, le Conservatoire Gabriel Fauré occupe l’hôtel de la Motte, une propriété dont l’origine remonte au XVIIIème siècle. En un peu plus d’un siècle, successivement écuries, maison bourgeoise, résidence secondaire, hébergement associatif et conservatoire de musique, elle a connu 10 propriétaires.
Son terrain se limitait initialement à la parcelle située au niveau de la rue de l’hôpital (rue de la Motte). Derrière, à flanc de coteau, des champs montaient rejoindre la rue du Hasard (rue Maurice Dechy). Ils ont été ensuite intégrés à la propriété –comme jardin d’agrément– puis une partie a été cédée en terrains à bâtir, tandis que le reste est devenu un jardin public.
C’est l’évolution de cette propriété que je vous propose de redécouvrir ici.
Jacques Marquet
Dès qu’il devient propriétaire du domaine de Rambouillet (23 décembre 1783) le roi Louis XVI décide de rendre la petite ville de Rambouillet digne de sa royale présence.
Son gouverneur, le comte d’Angiviller, lance une série de grands travaux. A Groussay, le quartier de la Vénerie doit accueillir le personnel nécessaire aux chasses à courre royales : vingt logements d’officiers, des chambres pour loger 400 hommes : piqueurs, postillons, palefreniers… et des écuries pour cinq cent chevaux…
Mais cela ne suffit pas : il lui faut encore trouver des écuries pour 50 chevaux. Plutôt que d’engager des travaux supplémentaires, d’Angiviller passe un marché avec le sieur Jacques Marquet, maître charpentier et entrepreneur. Marquet reçoit une parcelle de terrain de 19 ares 85 centiares, en face de la Vénerie, au niveau de la rue.
Le dénivelé du terrain, à l’arrière de la parcelle, le rend impraticable pour l’activité projetée, et la parcelle s’arrête donc au pied du coteau.
Marquet s’engage en contrepartie à y construire à ses frais des bâtiments « tant en logements qu’en écuries pour messieurs les gardes du roi » et à les louer au roi.
Les travaux sont décidés de concert : le bâtiment principal doit comprendre cinquante boxes de chevaux, en deux rangées parallèles à la rue, avec, en soupente, des chambres « pour les palefreniers, avec des appuis en avant et des échelles de meunier pour y monter » et sous les toits, un grand grenier à fourrage sur toute la longueur du bâtiment.
Au centre du bâtiment, un passage permettra d’accéder à l’arrière des écuries, pour y déposer le fumier. Un abreuvoir sera alimenté en eau par une pompe à partir d’un puits.
Marquet respecte ses engagements. A la Révolution il conserve la propriété du terrain qui lui a été concédé, et des bâtiments qu’il y a construits.
Le 7 mars 1818 les héritiers Marquet cèdent la propriété à Bernard-Joseph d’Orliac, receveur des finances de l’arrondissement de Rambouillet.
Bernard-Joseph d’Orliac
Lorsque d’Orliac s’en rend acquéreur, l’ensemble est constitué « de deux pavillons sur rue, l’un servant d’habitation et l’autre de remises, et de très grandes écuries au fond de la cour, dont le dessus est distribué en appartements et greniers, avec une cour entre les bâtiments et un petit jardin derrière. » (copié sur une fiche Patrimoine et transports à Rambouillet, 2002 : origine archives départementales, citées par Blécon, bulletin de la Shary n°78).
La propriété est agrandie par achats et échanges, de sorte que le jardin arrière, de 9720 m2 communique maintenant avec la rue du Hasard (rue Maurice Dechy). Il est en pente, accessible par un escalier en fer à cheval, et il est aménagé en jardin anglais, suivant la mode de l’époque.
L’architecte Auguste Famin transforme les écuries en une grande et belle maison de maître. Le bâtiment est doublé en profondeur, et un escalier central imposant distribue maintenant l’étage.
La cour d’entrée est partiellement pavée, et elle devient « jardin d’agrément ».
Les écuries Marquet sont devenues un bel hôtel particulier.
D’Orliac demeure dans cette propriété jusqu’en 1821. Il est alors nommé receveur à Jonzac, en lieu et place du receveur Louis Lemarois, lequel vient occuper son poste à Rambouillet. A l’occasion de cette permutation, Lemarois se rend acquéreur de la propriété, pour le prix de 50 000francs (qui correspondrait à l’investissement réalisé par d’Orliac, en achats et travaux, sans bénéfice).
Nommé à Valognes en 1836, Lemarois revend sa propriété à Charles Deshayes, ancien commissaire priseur, sans l’avoir modifiée.
Félix Maûquest de la Motte, avoué, maire de Rambouillet, puis conseiller d’arrondissement s’y installe en 1867.
Félix Maûquest de la Motte
Par sa mère, il descend de la famille de la Mustière, premiers baillis de Rambouillet au XVIIIème siècle. Maire de 1853 à 1878 il lui a fallu gérer avec courage et diplomatie l’occupation des Prussiens en 1870. Il vit dans cet hôtel de la rue de l’hôpital à partir de 1867, et c’est là qu’il décède le 15 avril 1883, âgé de 80 ans. Un mois après, par délibération du 12 mai 1883, la population de Rambouillet, reconnaissante, rebaptise la rue de l’Hôpital, rue de la Motte.
Sa demeure prend tout naturellement le nom d’hôtel de la Motte, qu’elle conserve encore aujourd’hui.
Sa fille Marguerite Antonini hérite de la propriété. Elle vit à Paris, et conserve l’hôtel de la Motte comme résidence secondaire.
Son fils René-Marie-Guidici en hérite à son tour en 1912, et la conserve jusqu’en 1928.
Cédée alors à Eugène Léon, qui agrémente (?) la façade d’un portique à double colonnes ioniques, elle est plus tard achetée par la ville de Rambouillet le 20 juillet 1953.
L’intention de la ville en procédant à cette acquisition était d’y construire un établissement scolaire. Mais après étude le projet est abandonné. La propriété est alors mise en vente en cinq lots, dont quatre terrains à bâtir, de 35m de profondeur, créés en façade sur la rue Maurice Dechy. Le lot principal conserve un accès arrière par une petite sente (aujourd’hui Sente du hasard).
L’association familiale ouvrière de vacances
Au lendemain de la guerre, des associations sont créées pour permettre aux enfants touchés par la pauvreté et les restrictions, de se «refaire une santé». Elles ont pour vocation l’accueil de groupes d’enfants et d’adultes, en période de congés. Certaines sont d’inspiration religieuse, comme l’Accueil familial de vacances (AFV) créé en 1948 à l’initiative de Mgr Rodhain, fondateur du Secours Catholique. D’autres sont laïques, dans des organisations proches des « colonies de vacances » qui se multiplient alors.
A Rambouillet une « association familiale ouvrière de vacances » avait été créée boulevard Voirin (du Mal Leclerc) dans les locaux d’une passementerie qui avait fonctionné longtemps entre le boulevard et la voie ferrée.
Cette propriété ayant été acquise pour la construction du lycée Bascan, l’association cherchait de nouveaux locaux, et en 1955 elle se porta acquéreur du lot numéro 1.
Pendant 42 ans, l’association géra l’accueil de groupes d’enfants et d’adultes, en classes vertes, en séjour découvertes… Pour respecter des normes d’accueil du public de plus en plus strictes– elle dût entreprendre de nombreux travaux. Le bâtiment principal fut reconditionné, avec, en rez-de-chaussée un grand réfectoire avec cuisine, et dans l’étage et les combles, des chambres accessibles par plusieurs escaliers intérieurs et extérieurs, pour une évacuation rapide en cas de sinistre.
De l’extérieur ces travaux ont surtout été visibles par la pose de lucarnes simples, doubles, triples et même quadruples sur les deux versants de la toiture de tuiles, ainsi que par la construction d’un escalier extérieur.
En peu de temps, les attentes des groupes en confort et hygiène ont augmenté suivant l’élévation du niveau de vie français. Les normes de sécurité techniques ont été de plus en plus contraignantes, et s’y est bientôt ajoutée la règlementation d’accessibilité pour handicapés.
Les locaux rénovés ne suffisent plus, et l’association doit construire un bâtiment supplémentaire, côté jardin.
Celui-ci comprend une grande salle de réunion en rez-de-chaussée, huit chambres au premier et au second niveau, desservies par deux escaliers et un ascenseur.
Pour financer ce bâtiment, l’association se sépare de deux terrains (6 et 7) , accessibles par la sente du Hasard.
Il semble que les Rambolitains n’ont pas gardé un grand souvenir de cette association dont l’action désintéressée a pourtant été exemplaire durant quatre décennies. Il est vrai que son rôle s’exerçait peu envers une clientèle locale.
Cependant son activité, traditionnellement saisonnière, s’est réduite au fil des ans. Les groupes d’enfants parisiens ont aspiré à des vacances plus lointaines, dans des paysages plus originaux. La forêt a souffert de la concurrence de la mer et de la montagne.
En 1996 le conseil d’administration de l’association m’avait demandé un audit des comptes. Les dépenses de fonctionnement (et notamment le salaire de 4 personnes dont 2 à temps partiel) étaient couvertes, les engagements financiers tenus, mais l’entretien du bâti, et les gros travaux imposés en permanence par l’évolution des goûts et des normes ne pouvaient être assurés que par des subventions. Celles-ci devenaient plus problématiques.
J’avais, pour ma part proposé son évolution en auberge de jeunesse. Le projet me semblait pouvoir être rentabilisé, et il n’en existait pas dans le sud Yvelines. L’idée évoquant sans doute l’arrivée de hippies amateurs de drogues avait été rejetée. Je reste sur l’impression désagréable qu’on attendait plus de mon étude des arguments pour décider l’arrêt d’activité, que des propositions pour la sauver.
Le 31 décembre 1997 l’association décidait la fin de ses activités, et louait en bail emphytéotique (bail de 99 ans) l’hôtel de la Motte à la ville de Rambouillet. L’association devrait en récupérer la pleine propriété, y compris celle des travaux effectués depuis, en … 2096, et, pour cette raison, bien que désormais sans activité, elle n’a pas encore été dissoute.
Aujourd’hui l’hôtel de la Motte abrite le Conservatoire de musique.
Gabriel Fauré a-t-il vécu ou composé à Rambouillet ? J’avoue mon ignorance. En tous cas, c’est son nom qui a été choisi lors de la consultation organisée en décembre 2015 par la communauté d’agglomération Rambouillet Territoires avec 166 voix sur 385, devant Maurice Ravel (159 voix), Piotr Ilitch Tchaïkovski (43) et Kurt Weill (17).
De l’éveil à la professionnalisation, le conservatoire Gabriel Fauré enseigne dans 3 spécialités : la musique, la danse et l’art dramatique. Il forme chaque année plus de 1100 élèves, et ses formateurs interviennent aussi dans les écoles et sensibilisent plus de 3000 enfants à la musique.
Quant à son jardin arrière, accessible par la sente du Hasard, il offre un lieu de promenade calme et agréable aux habitants du quartier, avec des bancs de pierre, et un kiosque. Une petite aire de jeu a été aménagée pour les enfants.
Christian Rouet
Décembre 2024