La justice à Rambouillet

Sans m’étendre sur l’évolution de la justice, je voudrais rappeler qu’elle n’a connu que deux avancées fondamentales :

  • la justice
    la justice
    la loi du talion (Code de Hammurabi, en 1730 avant notre ère ): « oeil pour oeil, dent pour dent ». Considérée aujourd’hui comme une loi inhumaine; elle a pourtant constitué une avancée considérable, en plafonnant la peine au préjudice subi. Auparavant pour la perte d’un oeil, la victime pouvait raser une ville entière !
  • l’invention du juge : accepter de renoncer à se faire justice soi-même, pour s’en remettre à un tiers capable de juger, en application d’une loi ou d’un usage.

Tout le reste n’a constitué durant des siècles, que des adaptations de détail, qui ont varié selon les pays et selon les époques : modifications des procédures, définition des compétences, règles des professions du Droit, nature des peines, etc…

Comment s’est exercée la justice à Rambouillet ? C’est cette question qui nous intéresse dans cet article.

Les temps anciens

Rambouillet a possédé très tôt son bailliage (tribunal). Il est mentionné pour la première fois dans « lhommage et dénombrement » que le seigneur de Rambouillet, Regnault d’Angennes, rend le 6 juin 1399 à son suzerain Jehan de Craon, seigneur des Essarts : « une cohue ( halle ) pour tenir les plaids (les plaidoiries) ».

Ce bailliage de Rambouillet dépendra de la châtellenie des Essarts -laquelle relevait du comté de Montfort- jusqu’à ce que Rambouillet soit élevé par Louis XIII au rang de marquisat au profit de la famille d’Angennes. 

Le bailliage restera au dessus des halles, derrière l’actuelle mairie, jusqu’à leur démolition en 1786. Quant au logement personnel du bailli, il est depuis 1710 à l’autre extrémité de la rue principale, dans l’immeuble devenu aujourd’hui la sous-préfecture.

le bailliage de Rambouillet (architecte Thevenin)

En 1786 le comte d’Angiviller, agissant au nom de Louis XVI, charge l’architecte Thevenin de construire un nouvel hôtel du bailliage, siège de la justice (aujourd’hui la mairie). La Révolution lui conserve cette fonction. Les activités de gestion municipale jusqu’alors exercées dans l’église sont transférées dans ce nouvel immeuble, mais ne nécessitent pas beaucoup d’espace.

Les temps modernes

A la Révolution, tiers-état, clergé et noblesse s’accordent à exiger une réforme profonde de la justice royale. Michelet résume ainsi leur demande : « Une justice digne de ce nom, non payée, non achetée…, sortie du peuple et pour le peuple ». 

Les lois des 16-24 août 1790 dotent donc la France d’une nouvelle organisation judiciaire. Rambouillet reçoit alors deux organes judiciaires distincts, compétents en matière pénale et civile:

  • le juge de paix :

Il est plus citoyen que juge, et se prononce davantage en équité qu’en application du Droit. Il y en a un par canton. Son rôle consiste avant tout à concilier les adversaires. Le juge de paix a une compétence large en matière civile, et limitée aux infractions légères, au pénal.
Celui de Rambouillet siège dans la salle d’audience de la mairie, mais reçoit tous les jours à son domicile « de préférence dans la matinée, à l’exception des samedi, dimanche et lundi ».

  • le tribunal d’arrondissement :

Il juge en appel des sentences rendues par le juge de paix, et en première instance des délits plus graves. Il est composé de 5 juges élus, et du ministère public, représentant de l’Etat.
Ses jugements peuvent être rejugés par la Cour d’appel de Versailles, et par la Cour de Cassation.
De 1810 à 1958, ce tribunal d’arrondissement est également désigné tribunal civil ou encore tribunal de première instance (bien qu’il soit juridiction d’appel à l’égard du juge de paix).

Napoléon procède à son tour à une profonde réforme, qui porte sur les lois, dans tous les domaines, et également sur l’institution judiciaire, mais elle ne modifie pas l’organisation de Rambouillet.

Tribunal d’arrondissement et juge de paix de Rambouillet restent groupés dans le même immeuble du bailliage, construit par Thevenin, jusqu’en 1895.

Jusqu’en 1826 la ville ne facture pas de loyer pour l’occupation de ses locaux. Ceux-ci comprennent alors :

«-  au rez-de-chaussée, le cabinet du Procureur de la république, du juge d’instruction, du greffe, et la chambre des témoins après l’instruction,
– au premier étage la Chambre du Conseil, et une chambre réservée à l’audition des témoins,
au 2ème étage 2 pièces sont consacrées au rangement des pièces à conviction » (rapporté par Mme Champrenault « Heurs et malheurs de l’hôtel de ville »).

En 1832 la ville exige un loyer de 200 francs, porté à 400 francs en 1843, et à deux mille en 1866.

le tribunal et la prison

En 1895, la prison, vétuste et trop exigüe, est transférée  rue du Moulin (rue Pasteur). Pour que le tribunal reste à proximité immédiate, il quitte les locaux de l’hôtel du bailliage pour s’installer dans un nouvel immeuble, rue Gambetta, avec un accès direct à la prison par une porte percée dans le mur mitoyen.

Le tribunal est inauguré le 1er mai 1895, et M. Joliot est le premier président à s’installer dans ces nouveaux locaux.

Le plateau qui va accueillir, après l’église et le tribunal, la gendarmerie, le monument aux morts, l’école, la poste et bien plus tard le pôle culturel formé par la médiathèque et la Lanterne, devient ainsi le centre administratif de Rambouillet. Seule la mairie reste à son emplacement initial, dans le centre-ville commercial.

Quant au juge de paix, il reste dans ses anciens locaux, après le transfert du tribunal car la mairie n’a pas encore besoin d’espace pour ses propres services administratifs, et compte tenu de son domaine d’intervention, il n’a pas besoin d’être près de la prison.

le tribunal en 2022

Ce bâtiment solennel est dû à l’architecte départemental Albert Petit.

Un tympan triangulaire est alors orné d’un bas-relief qui représente la balance, symbole de la justice, entourée de branches de laurier. Il est posé sur deux colonnes, surmontées d’un chapiteau corinthien, entourées par deux piliers de même importance.
Les 4 fenêtres du rez-de-chaussée sont surmontées d’un fronton surbaissé orné d’un bas-relief, et celles de l’étage sont également décorées.

Depuis, à l’occasion de travaux de rénovation, tous les bas-reliefs ont été retirés et les tympans sont désormais nus.

Il est facile de comprendre qu’orner un bâtiment par un symbole de la royauté, de l’empire ou de la république peut obliger à le retirer d’urgence en cas de changement de régime, mais ceux du tribunal ne semblaient pas « engagés politiquement ».
Alors, leur mauvais état exigeait-il des travaux trop coûteux ? Ou s’agit-il d’une aspiration à plus de simplicité ?

Et que penser du choix d’avoir retiré en même temps l’indication « Palais de justice » ? Curieusement, aucune plaque, ou indication d’aucune sorte n’indique plus aujourd’hui ce qu’est ce bâtiment. Notre ville a-t-elle honte de son tribunal ? Espère-t-on, en égarant le justiciable, réduire le nombre de dossiers ?

Quelques réformes

En 1959 les juges de paix sont supprimés. C’étaient souvent des notables, retraités, élus pour leur connaissance de la région. Des personnes que l’on savait posées, et de bon sens, plus que des techniciens du Droit.
Par exemple, en 1914, Lambert, suppléant du juge de Rambouillet est un ancien avoué, qui a été maire de la ville. Duprilot, un des suppléants du canton de Chevreuse est médecin, et le second, Cadou, est industriel et ancien maire. Ceux de Dourdan, Limours et Montfort sont tous d’anciens notaires.

Au fil des ans les dossiers se compliquent et nécessitent une formation de plus en plus poussée. Et les juges professionnels n’apprécient pas trop l’intervention dans leur domaine « d’amateurs », qui, en l’absence de diplômes, ne peuvent pas être intégrés dans les grilles de la profession. 

En 1946 on impose donc à tous les juges de paix d’être au minimum diplômés d’une licence de Droit, et en 1959 on supprime la fonction. Leurs attributions sont alors réparties entre les tribunaux d’instance, les médiateurs et les conciliateurs.

En 2002 les « juridictions de proximité » sont créées pour les remplacer, mais elles sont confiées à des juges professionnels. Elles sont supprimées en 2017. Aux dernières nouvelles elles devraient être prochainement remplacées par une juridiction différente, mais ayant le même objectif de décharger les tribunaux de tous les petits dossiers. Finalement, nous pouvons sans doute nous attendre au retour du juge de paix à Rambouillet !

Quant au tribunal d’instance, il est définitivement supprimé en 2019. Nous avons désormais, à Versailles, un tribunal judiciaire, issu de la fusion des tribunaux dinstance et de grande instance.  Pour rapprocher le tribunal du justiciable, ce tribunal judiciaire est complété par 5 tribunaux de proximité. Rambouillet, de même que Mantes la jolie, Poissy, Saint-Germain-en-Laye et Versailles conservent ainsi leur tribunal, et leurs compétences restent proches de celles qu’ils possédaient avant la réforme.

Auparavant, le tribunal de Rambouillet avait échappé à une réforme spectaculaire : celle de 1926.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le gouvernement s’inquiète du coût de la justice. Des critères quantitatifs sont fixés. Déjà ! Un tribunal ne devrait pas traiter moins de 150 affaires par an, pour être « rentable ».
Pendant 10 ans les projets de réformes s’empilent et se contredisent, sans pouvoir dégager un consensus entre élus locaux et professionnels de la justice.
Finalement en 1926, « pour éviter la banqueroute de l’État », le gouvernement Poincaré met fin aux hésitations et aux discussions sans fin, et une réforme « imposée par l’urgence » est votée.

Le décret-loi du 6 septembre 1926 supprime le tribunal d’arrondissement, et ne maintient que 131 tribunaux. La carte de la réforme (en bleu les tribunaux supprimés) montre l’importance de la réforme.

Bien naturellement, comme toute réforme, celle-ci mécontente tout le monde, à commencer par toutes les villes moyennes qui perdent ainsi leur tribunal, et les activités qui en découlent : études d’avocats, transports, restauration, etc…
La levée de boucliers des villes touchées par la réforme est d’autant plus violente que, cette année là, avec le même souci d’économie, le gouvernement a aussi supprimé 106 des 386 arrondissements qui existaient alors.

Les discours politiques prononcés alors, pour protester contre les décisions prises à Paris, sans tenir compte des réalités locales ne sont pas très différents de ceux que nous entendons aujourd’hui, lorsqu’un projet est étudié de façon trop verticale.
(Dans les autres cas aussi, du reste !)

Quatre ans après, la réforme est … réformée, et finalement ce sont seulement 6 tribunaux qui restent définitivement fermés.

En tous cas, si le Palais de Justice de Rambouillet a résisté aux ans et aux réformes, nous avons perdu son annexe : le café du Palais, et ses soirées musicales.

Dommage ! C’était le seul commerce de la place, et il devait être bien pratique de s’y rencontrer avant une audience, d’y prendre un verre pour se donner du courage avant le prononcé du jugement, ou de venir y arroser sa victoire !

Gageons qu’il s’y est conclu plus d’arrangements amiables qu’au Palais de Justice.

Au 50 rue Gambetta, la maison qui abritait le Café du Palais se distingue toujours, par son architecture curieuse.

Christian Rouet
Août 2022

Cet article a 3 commentaires

  1. BADE

    Bravo pour votre article. Conciliateur de Justice dans le ressort du TP de Rambouillet, je viens de le découvrir et ai appris beaucoup !

  2. Vallot

    Bonjour Christian,
    De vacances en pays basque 😊juste pour signaler que la châtellenie des Essarts relevait de Rochefort …

    1. christian Rouet

      Dont acte, merci ! Je sais que les terres des Essarts ont été cédées par Philippe Auguste en 1203 au duché de Bretagne, mais apparemment les choses ne sont donc pas si simples ! Il est vrai que Rochefort aussi a appartenu aux Montfort !
      Bonnes vacances !

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