L'auroch de Rambouillet

L’arrivée à Rambouillet d’un troupeau de Mérinos, offert par le roi d’Espagne à Louis XVI en 1786 est un épisode bien connu de l’histoire de la Bergerie Nationale. Ce troupeau vaut aujourd’hui une  renommée internationale à notre ville.

De même, si le cerf Sika s’est acclimaté en France, c’est parce que l’empereur Meiji Tenno du Japon a offert un mâle et trois femelles au Président Carnot en 1890 lors d’une visite officielle. En 1898, plusieurs individus ont été transférés du domaine de Marly-le-roi à Rambouillet où ils ont prospéré, et ce sont leurs descendants qui peuplent aujourd’hui plusieurs forêts de France.

L’arrivée de l’auroch à la Bergerie Nationale, en 1991, a été plus discrète. Elle n’a malheureusement pas connu le même succès.

La molinie

En Yveline comme dans toutes les régions forestières, les incendies sont redoutés, et c’est un danger que le réchauffement climatique ne peut qu’aggraver. La nécessité de nettoyer la forêt de ses broussailles et taillis prompts à s’enflammer est bien connue, et la loi oblige les propriétaires à entretenir leurs parcelles.

étendue de molinie, photo Susann Koppelt Wikipedia

La molinie est une des plantes dont la présence pose problème : il s’agit d’une graminée qui colonise les zones humides, sous forme de grosses touffes. Ses mottes, dites touradons, sont constituées par les parties anciennes de la plante, qui s’accumulent durant des décennies. En faible quantités elles facilitent la poussée de bruyères ou des bouleaux et offrent un abri aux tritons, grenouilles et crapauds. Cependant la molinie est très envahissante, et de plus, elle sèche durant l’hiver, et  alimente ainsi aisément les incendies de printemps.

En Wallonie de nombreuses expériences sont menées, avec des financements de l’Union Européenne pour supprimer cette plante jugée invasive. L’introduction d’animaux rustiques capables d’entretenir de façon naturelle les polders, a semblé particulièrement intéressante, car elle permet de conserver la biodiversité la plus grande. Après bien des essais, les Wallons ont trouvé en Allemagne une espèce bovine particulièrement bien adaptée : la vache de Heck.

L’auroch-reconstitué

La vache de Heck est un auroch « reconstitué » vers 1930. A cette époque les croisements entre races ou espèces faisaient l’objet de recherches importantes, et le gouvernement allemand les encourageait. Deux vétérinaires allemands, les frères Heck ont alors opéré une série de croisements entre les espèces bovines les plus rustiques d’Europe : vache grise de Hongrie, Highland d’Ecosse, White Pak anglais, races rouges de la Baltique, vache corse ou encore taureau de combat espagnol pour s’approcher de l’auroch avec la « vache de Heck. »

photo Gérard Castenet (sur http://gerard.chatenet.free.fr)

Créé génétiquement par l’homme, cet animal a les caractéristiques d’une bête sauvage : il vit en troupeaux, où femelles et jeunes mâles se regroupent sous la surveillance des vieux mâles. Leur travail de débroussaillage est d’une grande efficacité. De plus, leur élevage est extrêmement économique car le troupeau n’a besoin d’aucun soin particulier et peut rester dehors en toutes saisons.

La France explore cette même piste pour un débroussaillage animal, à partir de Highland Cattle, une espèce écossaise « naturelle » mais chère, et difficile à obtenir.

En 1991, Jean-Paul Widmer, directeur des chasses de Rambouillet, parvient à convaincre le directeur de la Bergerie Nationale de l’intérêt d’un conservatoire de l’auroch-reconstitué, sur le modèle de ceux du  mérinos et du cerf sika.

Les forestiers wallons lui offrent deux mâles et six femelles, qui arrivent à la Bergerie au terme d’un voyage que la bureaucratie moderne rend tout aussi compliqué que l’avait été celui des mérinos, deux siècles avant.

JP Widmer en raconte les péripéties dans son livre « Dernières chasses présidentielles » (Markhor 2017). Il s’agit d’importer des animaux qui n’existent pas dans les classifications françaises ! Heureusement un professeur de l’école vétérinaire de Nantes vient de publier une thèse sur l’auroch, et ses travaux débloquent la situation, en permettant d’obtenir une importation à titre expérimental.

Cependant, il faut ensuite passer la douane, avec des animaux endormis dans des bétaillères … qui se réveillent et sont assez énervés pendant que les douaniers s’obstinent à en contrôler le contenu.

Et il faut une intervention téléphonique du Ministre des Finances pour que les douanes renoncent à percevoir une TVA qu’elles n’arrivaient pas à calculer sur la valeur de bêtes non référencées, et de surcroît offertes en cadeau par les Wallons ! Le convoi peut enfin reprendre la route (et, fort heureusement, les animaux se rendorment !).

Arrivées à Rambouillet, les bêtes sont placées en quarantaine, puis réparties en plusieurs lieux. Un groupe reste sur les terrains de la Bergerie. Certaines sont mises en enclos dans la forêt de Rambouillet, afin de tester les conséquences de la disparition des zones herbacées sur la régénération des chênes. Quelques unes seront bientôt confiées au parc de l’Espace Rambouillet –où elles sont encore. D’autres encore serviront à la création d’élevages car la viande de cet auroch est d’une qualité et d’un rapport excellents.

Toutes les observations confirment la rusticité de l’espèce et son efficacité contre les plantes invasives.

Un syndicat, le SIERDA (Syndicat International pour l’Élevage, la Reconnaissance et le Développement de l’Aurochs-reconstitué), est même créé pour regrouper les éleveurs d’aurochs belges, hollandais, français, suisses et allemands, et son siège est installé à la Bergerie.

Les travaux de la Bergerie, le suivi rigoureux de ses études augmentent la connaissance de cette espèce bovine et en 1997 l’auroch de Heck est accepté au catalogue des races bovines françaises sous le nom officiel d’auroch-reconstitué (code race n°30).

La fin du conservatoire de l’auroch-reconstitué

Malgré ces succès, en 2004 la Bergerie se sépare de son troupeau. L’auroch est capable de résister à tous les périls naturels… mais pas à l’Administration française.

La fermeture des chasses présidentielles, décidée à la hâte, entraîne des redistributions de budgets, dans le cadre de nouvelles politiques, et un profond changement dans la gestion du domaine de Rambouillet. Que faire de l’auroch-reconstitué ? S’agit-il d’un animal sauvage, qu’il faut laisser vivre en totale liberté ? Ou est-ce un animal domestique qu’il faut enregistrer, vacciner, réglementer ?

photo A.Savin, WikiCommons

La vente du troupeau met fin aux débats.

Le siège de la Sierda est transféré à Nantes, et ce sont des éleveurs privés qui poursuivent l’élevage des aurochs, pour la qualité de leur viande, l’entretien d’espaces naturels, ou seulement le désir de préserver cette espèce, comme Eric Sanseau, dans sa ferme de la Petite-Hogue (entre Rambouillet et Cernay-la-ville).

Des recherches, comme le projet Taurus (au Portugal) sont toujours menées pour rapprocher davantage l’auroch-reconstitué  de l’auroch authentique, dont le dernier exemplaire a sans doute été tué vers 1627, en Pologne.

Il lui faudrait encore gagner au moins 30 cm en hauteur, et 200 kg pour y parvenir.

Quant à la forêt de Rambouillet, on cherchera demain d’autres moyens plus coûteux pour la débroussailler … après qu’un grand incendie difficile à maîtriser en ait rappelé l’impérieuse nécessité.

Christian Rouet
janvier 2023

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