L'ancienne église de Rambouillet
« Vous n’avez que cette église à Rambouillet ? » s’étonne Napoléon III lors de son premier séjour à Rambouillet.
Elle est effectivement fort modeste, et de surcroît en bien mauvais état lorsque l’Empereur découvre l’église de Rambouillet. La population est alors d’environ 4000 habitants, et le château ne dispose d’une petite chapelle intérieure que depuis la Restauration.
L’origine
Cette église est mentionnée pour la première fois en 1053 lorsque Amaury III de Montfort en fait don au prieuré d’Epernon, et l’absence de précision tend à penser qu’elle est alors fort modeste. Elle est dédiée à Saint-Lubin, évêque de Chartres, dont le rôle d’évangélisateur a été important dans notre région.
C’est sans doute au XIIème siècle que l’église connait ses premiers travaux importants, et au XIIIème qu’elle reçoit un clocher qui sera démoli avant 1830 (et probablement même avant 1804).
A la fin du XIVème siècle les Bernier, puis les d’Angennes, deviennent seigneurs de Rambouillet, et procèdent aux premiers travaux importants.
C’est également à partir de cette époque qu’on la connaît mieux, mais il faut toutefois préciser que les documents descriptifs sont rares : un plan conservé aux archives du presbytère, et une ou deux gravures. Aucune photographie n’a été prise avant sa démolition en 1872.
Cependant son emplacement est clairement défini : elle est sur la place de la mairie, devant l’actuel hôtel Mercure, orientée vers l’ouest, donc vers le château, et s’inscrit dans le prolongement de l’actuelle rue de Gaulle.
Une stèle, au pied des platanes, en rappelle maintenant l’emplacement.
Autour il y a l’ancien cimetière de Rambouillet, et au nord, le presbytère, dans l’enclos du cimetière.
Au fil des ans les constructions se rapprochent de l’église, si bien qu’au XIXème siècle il ne reste plus qu’un étroit passage entre l’église et les maisons.
L’extérieur
Le Bourdelles qui en fait la description dans le tome XXIX des Mémoires de la Shary (1939), souligne l’existence, côté place, de huit fenêtres en plein cintre qui pourraient dater du XVIème ou du XVIIème siècle, sans pouvoir affirmer qu’elles avaient des vitraux de couleur. Huit contreforts sur la longueur, et quatre sur la largeur assurent la solidité de l’édifice.
Des commerces occupaient encore au XIXème siècle les emplacements ainsi délimités par les contreforts. Les derniers semblent avoir été occupés par un coiffeur, un cordonnier, une marchande de légumes, un rémouleur, une marchande de frites, et l’hiver un marchand de marrons.
De la même façon, sur la façade ouest quatre contreforts délimitaient un espace commercial de chaque côté du portail, qu’un teinturier et un repasseur de chapeaux auraient occupé les derniers.
La plaquette « Spiritualité et patrimoine cultuel à Rambouillet » réalisée en 2003 par la Mission du Patrimoine, cite l’acte de vente par Louis Constant Souhaité à Jacques Gautier d’une « baraque en bois, couverte en ardoises, avec gouttière en fer blanc (…) située entre les deux premiers piliers de l’église, faisant face à la place Royale » (vente du 20 décembre 1824)
Le portail est surmonté d’un oculus, plus tard d’une horloge, et d’un petit clocheton. La gravure ci-dessous en donne probablement une vue assez fidèle.
L’intérieur
Entrons dans l’église ! Son plan est rectangulaire. Probablement 20 mètres sur 10 à l’origine, mais porté ensuite à 37,30m par 13,90 m. Voici, pour comparaison sa surface rapportée à celle de l’église actuelle.
Elle a une seule nef, et une abside à trois pans : nous le savons grâce à un plan du début du XIXème siècle, conservé au Presbytère de Rambouillet.
Sa nef est en voûte, soit en charpente apparente, soit dissimulée par un bardeau comme dans de nombreuses églises d’Eure-et-Loir.
L’accroissement de la population de Rambouillet nécessite la construction d’une tribune. Elle repose sur de petits piliers de bois, avec accès par un escalier à vis, à droite du portail.
La chaire est à droite, à côté d’une des deux portes de sortie latérales.
Enfin, l’abside est divisée en deux chapelles : l’une contient le maître-autel, et constitue le choeur de l’église, et l’autre, la chapelle seigneuriale (dite Chapelle Saint-Louis) car le château n’a pas eu de chapelle avant la Restauration.
Une description de 1742 signale sur le côté gauche les statues en marbre de Nicolas d’Angennes et de son épouse, agenouillés, en prière : c’était le tombeau funéraire de la famille d’Angennes. C’est également dans cette chapelle que furent ensuite inhumés le comte de Toulouse et les membres de la famille de Penthièvre.
On sait ce qu’il advint de ces sépultures :
- lorsque le duc de Penthièvre fut « invité » à céder Rambouillet à Louis XVI, il fit transférer en grande pompe les restes de sa famille à Dreux,
- les cercueils des d’Angennes (sept grands et deux petits) eurent moins de chance : les révolutionnaires les ouvrirent en 1792 pour en retirer 1267 livres de plomb, qu’ils vendirent 404 livres. Les ossements furent mélangés, mais conservés dans une même fosse, et ils purent ainsi être transférés au Tremblaye-sur-Mauldre en 1827.
Le clocher
L’église fut probablement dotée d’un « petit clocher d’une hauteur modeste » au XIIIème siècle. Construit initialement en dehors de la nef, il fut sans doute intégré lors de son agrandissement. On voit bien son emprise carrée dans le plan ci-dessus. Il s’agissait sans doute d’un clocher à quatre pignons, chacun de 5,5 mètres de large, comme on en rencontre dans le sud de l’Hurepoix. Il contenait deux cloches, l’une offerte en 1708 par le comte de Toulouse, l’autre en 1752, par le duc de Penthièvre.
Le Bourdelles, troublé par le fait qu’aucun des Rambolitains qui ont connu l’église ne se souvenait de son clocher, quand il les a interrogés, (65 ans après la démolition !) pense que ce clocher menaçant ruine fut abattu vers 1820.
Il relève à l’appui de son hypothèse que le clocher n’apparait pas dans les plans du cadastre de 1830, et qu’il n’est pas visible sur la gravure du Second-Empire (page précédente).
Ceci l’amène à s’interroger : « on ignore en somme où ont été placées les cloches entre la démolition de l’ancien clocher et la construction de la nouvelle église » (soit pendant près de 50 ans).
Pourtant sur une gravure de l’église, exécutée par Thorigny, et publiée dans le Monde illustré de 1868 le clocher existe toujours.
Cependant il est clair que son emplacement central ne peut pas correspondre au plan intérieur.
On peut donc estimer avec Le Bourdelles qu’il s’agit là d’une oeuvre d’imagination, ou plus vraisemblablement réalisée de mémoire par l’artiste, et ne lui accorder aucune valeur historique.
C’est négliger toutefois le fait qu’Auguste Moutié a publié une étude sur la sépulture de la famille d’Angennes, ( tome 1 des Mémoires et Documents de la Shary 1870-1872) . On y lit que le 1er juin 1872, pendant la démolition « des murs latéraux et du clocher, un bloc tombé du haut de ce dernier effondra le caveau » . Or Auguste Moutié était contemporain de cette démolition, et l’on voit mal qu’il ait pu faire erreur, ni qu’il ait pu s’agir du clocheton de la façade, qui était situé à l’opposé du caveau.
On pourrait alors supposer que le clocher étant aux 2/3 intégré dans l’église, le cadastre a pu en simplifier le dessin; quant à la gravure de Provost, il est tout à fait possible que le clocher, « d’une hauteur modeste » soit tout simplement dissimulé par le toit, en raison de l’angle de « prise de vue. »
Dans cette hypothèse, la gravure de Thorigny serait effectivement inexacte, mais reposerait quand même sur des éléments réels. Corrigée sous Photoshop, la figure ci-dessus serait la plus vraisemblable:
Quant à la gravure de Provost, il suffirait de changer légèrement sa prise de vue pour faire apparaître le sommet du clocher, tel qu’il devait se voir avec un peu plus de recul.
Est-ce à dire que Le Bourdelles ne connaissait pas le texte d’A. Moutié ? Toujours est-il qu’il me semble que l’hypothèse d’une démolition du clocher près de 50 ans avant celle de l’église est loin d’être avérée.
Les reliques
L’église possédait une relique de la Vraie Croix. D’après la tradition c’est un sire de Montfort qui l’aurait ramenée des Lieux Saints et offerte à l’abbaye des Hautes-Bruyères, laquelle en aurait fait don à l’église de Rambouillet en 1803.
L’église possédait également des reliques d’une vingtaine de saints, sans compter un reliquaire en argent contenant un morceau du bras de Saint-Césaire qui disparut durant la Révolution. .
Ces reliques étaient conservées dans une châsse et furent transportées dans la nouvelle église de Rambouillet. Mais en 1882 l’église fut pillée, et les reliques ne furent jamais retrouvées.
La fin de l’église
En 1801, (30 Fructidor an VIII) la foudre tombe sur l’église.
Jules Maillet, juge de paix, en dresse le procès-verbal : des pierres sont tombées du porche, des éléments intérieurs ont été brûlés… « Tout ceci porte à croire que la foudre est d’abord tombée sur le choeur de l’église, que de là elle est descendue dans la sacristie, qu’ensuite elle s’est portée du coté de la grande porte… est ensuite passée à travers ladite porte… par delà remontée le long du portail jusqu’au dessus de la lanterne de l’horloge. »
Tout l’édifice est ébranlé et des réparations s’avèrent nécessaires. Il y en a pour 40 000 francs. Or qui peut les payer ? Le département, contacté, refuse. La ville n’est pas riche, mais les travaux indispensables sont probablement effectués puisque la messe continue à y être célébrée sans interruption.
Le curé Jouy, nommé en 1830, fait le constat suivant : « la nef, partie la plus ancienne de l’église menace ruine, sa charpente est dans le plus mauvais état. La tribune serait tombée sans les réparations récentes. Le portail n’est soutenu qu’à l’aide d’un gros mur ou contrefort… cependant le choeur, d’une époque différente, n’a aucun des défauts de la nef; il est solidement bâti, ses voûtes sont du plus gracieux effet… la charpente en est admirable et ne demandera aucune réparation avant longtemps. »
Il se bat malgré tout pour obtenir, non sa restauration, mais sa reconstruction. Cependant en 1833 le domaine de Rambouillet est retiré de la liste civile du roi et la commune ne peut plus bénéficier d’aucun généreux donateur.
A l’avènement du Second Empire l’espoir renait car Napoléon III s’intéresse à Rambouillet. Le curé Jouy obtient une audience et se persuade que l’empereur est prêt à financer la construction d’une nouvelle église. Mais le Ministère des Cultes n’envisage que la réparation de l’ancienne : « il est impossible d’admettre que les maires et les curés s’habituent à cette idée étrange que l’Empereur peut prendre à son compte de pareils travaux. Une liste civile, triple de celle qui est affectée à la couronne ne suffirait pas à satisfaire aux demandes incessantes qui se produiraient dans toutes les parties de la France… ».
Il faudra bien des pourparlers pour que le projet de construction de la nouvelle église soit enfin adopté. Je ne les évoquerai pas ici : lire la construction de l’actuelle Saint-Lubin
Le 3 septembre 1871 les travaux de construction de la nouvelle église, retardés par la guerre, sont enfin terminés. Tout ce qui a pu être récupéré ( reliques, tableaux, mobilier …) y a été transféré, et le 24 mars 1872, M. Landreau, entrepreneur rue de l’Embarcadère (rue Chasles) remporte pour 20 000 francs l’adjudication de la démolition de l’ancienne église.
On sait que ses matériaux « de grès et de caillasse » serviront notamment à construire le « chalet du Jalon », de Jean-Arsène Dubuc, huissier de justice, première maison à caractère résidentiel de l’actuelle rue Foch (n°10).
Le Bourdelles notera en outre la présence en 1939 de petits fonds baptismaux placés dans le jardin pour soutenir un cadran solaire, et d’un appentis soutenu par deux colonnes en bois qui supportaient précédemment la tribune de l’église. Il remarquera également deux clefs de voûte Renaissance scellées au sommet d’un mur du jardin.
J’ignore si ces éléments sont toujours visibles.
Christian Rouet
avril 2021
PS : je ne pensais pas en parler dans cet article, mais parmi les tableaux transférés de l’ancienne église à la nouvelle, il me faut au moins mentionner ici les deux tableaux de l’Adoration des bergers, oeuvre du XVIIe siècle, inspirée d’une œuvre de Guido Reni, et celui de La Conversion de saint Hubert, commandée par Louis XV à Carle Van Loo pour la chapelle du château de Saint-Hubert puis déposée à Rambouillet par Louis XVI.
En effet, leur restauration vient d’être terminée (en même temps que celle d’une Vierge au rosaire inspirée d’une œuvre de Murillo, qui ne provient pas de l’ancienne église) et ils seront peut-être visibles dans le Palais du Roi de Rome, avant de retrouver leur place dans l’église, si les mesures anti-covid permettent à l’exposition, déjà retardée plusieurs fois, d’avoir lieu.
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