La mairie de Rambouillet

Lorsque Louis XVI achète au duc de Penthièvre son domaine de Rambouillet, le bailliage, construit par le comte de Toulouse, est situé près de la porte de Chartres qui marque la limite Sud de la ville, à l’emplacement de l’actuelle sous-préfecture.
A moins que cet immeuble n’ait été que le logement du bailli, avec des locaux pour la gestion administrative du bailliage,  tandis que les audiences publiques se tenaient au-dessus des halles, à proximité du château et de l’ancienne église (lire cet article).

Quoi qu’il en soit, Louis XVI fait construire un nouvel Hôtel du Bailliage, qui a traversé les siècles presque sans connaître de modification architecturale.

En voici l’histoire.

La place du marché

Conscient de l’importance qu’avait prise Rambouillet comme centre commercial, avec ses deux fêtes annuelles de la Saint-Lubin et de la Quasimodo, et son marché hebdomadaire du samedi, Louis XVI avait octroyé à la ville un second marché, le mardi.

Or ces manifestations débordaient l’espace dont elles disposaient, devant l’église, et s’étendaient largement dans l’entrée du parc du château, ce que le duc de Penthièvre tolérait, mais qui ne pouvait convenir à une résidence royale.

Le 4 juillet 1784, l’assemblée des habitants, réunie par le syndic Dalbin en présence du commis-notaire du roi, Thierry, rédige donc une requête à sa Majesté. Ils souhaitent respectueusement que des terrains « soient réunis à l’emplacement de l’actuel marché, pour y donner l’étendue nécessaire au dépôt, étalage de grains, denrées, bestiaux, vivres… de manière à procurer une sureté égale tant au public qu’aux marchandises ». Sans oublier, naturellement, qu’ils espèrent que Sa Majesté voudra bien prendre à sa charge tous les frais liés à ce projet !

Le roi accède immédiatement à cette requête, qui profite en même temps à son château. Il achète et fait démolir tous les bâtiments nécessaires (en jaune sur le plan dressé par J.Blécon et publié dans son ouvrage sur le Palais du Roi de Rome).

en jaune les immeubles achetés et rasés par le roi

Sur l’emplacement ainsi dégagé, l’architecte Jacques Thévenin construit un hôtel de bailliage digne d’une ville dont le roi de France est maintenant le seigneur.

Pendant la durée des travaux, des halles provisoires sont construites près du grand chenil, sur l’actuelle place Félix Faure.

L’Hôtel du Bailliage

Il est construit en 1785 par l’architecte Jacques-Jean Thévenin, à qui l’on doit également à Rambouillet les prisons, deux hôtels, celui du Gouvernement et celui de la Vénerie, de nouvelles cuisines et de nouvelles écuries pour le château, la laiterie de la Reine, la ferme expérimentale et trois projets plus modestes : la chapelle du nouveau cimetière, la pépinière et des halles provisoires.

Elevé entre deux places, celle du Marché-aux-Grains (place de la Libération) et celle du Marché-aux-Herbes (place Marie Roux), cet édifice consiste en un corps de bâtiment rectangulaire, avec deux ailes en avancée et un avant-corps central surélevé de quelques marches.

C’était pour l’époque une belle construction de style classique, propre à flatter les Rambolitains. Tourné vers le château, à proximité de l’église, il symbolisait le cœur de la ville, et les fleurs de lys, avec les deux « L » entrelacés, marquaient son origine royale (ces signes ont été supprimés à la révolution).

J.Blécon décrit ainsi l’édifice : « Il est construit en pierre de pays, mortier de chaux  et sable, sur un socle en grès et un soubassement, formant le rez-de-chaussée, en pierre de Saint-Leu jusqu’à la plinthe  les croisées du premier étage sont garnies de balustres en pierre de Conflans avec une tablette en pierre dure formant appui.

Le pourtour des croisées et les angles sont ornés de chaînage, le linteau des croisées est en plate-bande à extrados en escalier les trumeaux sont peints en fausses briques, un entablement dorique, à métopes et triglyphes, court autour de l’édifice sauf dans la partie sur la place du Marché-aux-Herbes comprise entre les deux ailes en très légère saillie de ce côté là ; l’avant-corps, en pierre de Saint-Leu, percé d’une grand porte en plein cintre, est surmonté d’un fronton; au-dessus de la porte, un bas-relief sculpté rappelle la destination première de cet édifice, il représente la déesse grecque de la justice, Thémis avec ses attributs, le glaive et la balance accompagnée d’un enfant portant un faisceau de verges lié par une courroie de cuir ».

Ce bailliage avait une double fonction de tribunal et de resserre pour les grains du marché – une richesse à protéger, notamment en période de disette.

Le rez-de-chaussée comprenait ainsi un cabinet pour le commis et cinq resserres à grains et l’entresol bas en disposait de douze ainsi que d’une pièce pour entreposer les effets des prisonniers.

Les combles consistaient en vingt chambres (pièces), dont dix-huit pour le grain, avec une machine garnie de poulie et cordage pour monter les sacs. Deux chambres garnies de tablettes servaient aux archives du tribunal.

L’étage servait de palais de justice. Il comprenait une salle d’audience, une chambre du conseil, trois cabinets et une salle précédée d’une antichambre. Son entresol haut comprenait une antichambre, une chambre avec cheminée, une cuisine sans cheminée et deux
cabinets.

Un texte de l’époque décrit ainsi la salle d’audience :

« elle forme la salle des séances publiques des autorités constituées, éclairée de six croisées sur deux faces, plafonnée en plâtre, pavée en carreaux de pierres de liais, garnie de sièges de bureaux et de bancs scellés dans les murs et le pavé… les croisées sont à l’intérieur, ouvrantes en deux parties garnies de leurs volets et espagnolettes. »

Cette salle est aujourd’hui la salle du conseil municipal. C’est pratiquement la seule pièce du bâtiment qui est restée telle qu’elle était à l’origine, mais décorée maintenant de la carte des chasses de Rambouillet. On y accédait déjà à l’époque par ce grand escalier, à la belle rampe de fer forgé.

Construit aux frais du roi, sur un terrain qu’il avait lui-même acquis, l’Hôtel du Bailliage est donc juridiquement sa propriété. Pour cette fonction de stockage des grains, précédemment remplie par la Halle aux Grains, la ville verse donc au roi un loyer annuel de 1000 livres.

La mairie

En 1787 Louis XVI crée des « municipalités de paroisse » avec une assemblée de notables qui élit un syndic. Jean-François Laslier, premier syndic de Rambouillet est nommé, au cours d’une réunion qui se tient dans l’église.

Au début de la Révolution, c’est également dans l’église que Thierry est élu premier « maire de la commune de Rambouillet ». Cependant, c’est sur le perron de l’Hôtel du Bailliage qu’il prête serment : « je jure de maintenir de tout mon pouvoir la constitution du Royaume, d’être fidèle à la Loi et au Roi et de bien remplir mes fonctions ».

En mai 1792 on commence à parler de « maison commune » et petit à petit, l’administration communale s’installe dans l’Hôtel du Bailliage. La salle d’audience du tribunal est utilisée pour les élections ainsi que pour les assemblées importantes.

En 1797, le 19 Fructidor an V, c’est là que le maire Louis Boulle prononce son serment « Je jure haine à la Royauté et à l’anarchie, fidélité et attachement à la République et à la Constitution de l’an III » et après lui –avec des serments dont les textes se voudront plus consensuels, tous les maires de Rambouillet.

Devenu bien national en 1789, mis à disposition du roi, dans le cadre de sa liste civile, et revenu à la Nation lors de sa destitution, l’Hôtel du Bailliage aurait dû être vendu aux enchères, comme l’a été le Palais du Gouvernement, ou comme l’aurait été le château de Rambouillet, s’il avait trouvé preneur.

Les Rambolitains s’en émeuvent : le comte d’Angiviller s’était engagé au nom du roi à leur faire don de cet édifice, et même si ce don n’a pas eu le temps d’être régularisé, ils estiment avoir des droits sur lui. L’Assemblée Nationale refuse cette argumentation : aucun acte officiel n’a été passé.

Cependant l’hôtel échappe à la vente … tout simplement parce qu’il n’y a aucun acquéreur pour un bâtiment d’une telle importance !

Durant plusieurs années la ville tente d’obtenir la propriété de cet immeuble, pour lequel elle continue à payer annuellement son loyer de 1000 livres. Elle propose même, sans succès, de l’échanger contre le Pavillon de Penthièvre, une ancienne filature qui pourrait être transformée en hôpital militaire.

Lorsque le domaine de Rambouillet est intégré à la liste civile de l’empereur Napoléon, c’est celui-ci qui devient décisionnaire. Il écoute le plaidoyer du maire Levasseur et signe en 1809 le « brevet de don de l’hôtel de ville de Rambouillet et ses dépendances aux habitants de la commune de Rambouillet, département de Seine-et-Oise. »

Reconnaissants, les Rambolitains ont apposé sur la façade une plaque qui y est toujours, pour remercier « Napoléon le Grand » de sa générosité.

Soyons précis, sans nous montrer ingrats  : l’hôtel de ville a été entièrement payé par le Roi, et il appartenait à la Nation, de sorte que le don effectué par Napoléon ne lui a personnellement coûté que l’abandon d’un loyer de 1000 livres par an !

En 1862 l’architecte Charles Avril ajoutera au bâtiment son campanile.

Depuis que le Tribunal de Rambouillet a été transféré à son emplacement actuel, la Mairie occupe seule la totalité du bâtiment. Elle a toutefois conservé au dessus de l’entrée, en souvenir de ses premières fonctions, Thémis, la déesse grecque de la justice.

Plus récemment, en 1975, la porte principale, en bois, a été remplacée par une porte en verre, protégée par une grille, qui éclaire le hall d’accueil.

changement de porte : projet Bulletin Municipal 1974

Les 1000 m2 de locaux habitables, hors sous-sol et combles, ont répondu aux besoins de la ville jusque vers les années 1959, lorsqu’elle ne dépassait pas encore les 10 000 habitants. Par la suite il fallut réaménager l’intérieur à plusieurs reprises, déplacer la bibliothèque rue Lachaux afin d’installer le service d’urbanisme dans les combles (dans des locaux où un incendie aurait eu des conséquences mortelles !), et aujourd’hui de nombreux services ont été transférés sur des sites secondaires, pour faire face à des obligations de plus en plus importantes.

La Place du Marché-aux-herbes

L’Hôtel du Bailliage ayant été ainsi construit par Thevenin, il fut aussitôt complété par de nouveaux locaux carcéraux, qui communiquaient directement avec lui. Ces prisons sont restées en fonction jusqu’à leur transfert dans leurs nouveaux locaux (aujourd’hui démolis) à côté du Tribunal.

Je n’en reprends pas leur description à laquelle j’ai déjà consacré un article.

Adossées entre les deux ailes du bailliage, à l’arrière, sur la place du Marché-aux-herbes, se trouvaient huit boutiques de 2.27m de profondeur, sur le modèle de celles qui se trouvaient le long de la façade sud de l’église. Sept avaient 3,16 m de longueur avec porte et croisée, et une 6,33 m de longueur avec porte et deux croisées. Elles étaient louées à des paysans ou des commerçants locaux.

Afin de compléter l’attractivité de ce marché (qui ne faisait que compléter le marché principal qui se tenait devant le bailliage) le comte d’Angiviller, responsable de cet aménagement en sa qualité de gouverneur de Rambouillet, avait établi un plan et un règlement pour l’ordonnance des immeubles particuliers qui devaient se construire sur la place du Marché-aux-Herbes.

C’est ainsi que le terrain précédemment occupé par la maison dite « Heaume » avait été vendu  à condition « de construire incessamment des boutiques dont la façade sera du côté de la place et de faire en sorte qu’elles puissent être habitées pour la Saint-Martin d’hiver prochain ». Les trois acquéreurs qui se le partagèrent durent construire des boutiques s’intégrant dans une façade commune, afin de donner une unité à cette nouvelle place.

Je ne parlerai pas non plus ici de la place du Marché-aux-Grains, située devant le bailliage, et qui a fait l’objet d’un précédent article. La place René-Masson créée par la destruction de l’église viendra l’agrandir plus tard.

Au total le coût du bâtiment, et des deux prisons, se serait élevé à 283 346 livres auxquelles il faut ajouter l’aménagement des deux places estimé pour la grande à 61 108 et pour la petite à 7 337 livres, hors achat des terrains et démolition des bâtiments existants.

Aujourd’hui l’état des corniches semble indiquer que des travaux urgents s’imposent. Mais ce ne sont ni Louis XVI ni Napoléon qui se proposeront pour nous les financer.

Dommage pour les contribuables que nous sommes !

Christian Rouet
mars 2023

Puis-je ajouter une appréciation tout à fait personnelle ?

Notre municipalité nous a offert en juillet 2022 un spectacle sons et lumières « immersif et interactif » (qu’est-ce qui n’est pas interactif à notre époque ?) dit « vidéo-mapping ».

Ce fut une superbe débauche de couleurs sur toute la façade de notre mairie. Un spectacle aussi impressionnant que gratuit, tel que notre époque les apprécie. De l’animation pour le plaisir des yeux, certes adapté à la forme du bâtiment, mais complètement déconnecté de toute réalité patrimoniale et historique. Le tout avec un désir manifeste de ne transmettre aucune information sur un monument et dans une ville sur lesquels il y a tant à dire !

Vous l’avez compris : je n’ai pas aimé !

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