La "maison de fer" de Dampierre

Pour la commémoration du centenaire de la révolution française, une exposition universelle a réuni à Paris 61 722 exposants dont 33 937 Français.
Entre le 5 mai et le 31 octobre 1889, elle a accueilli plus de 32 millions de visiteurs. C’est la première fois qu’une exposition universelle équilibre ses comptes (et fait même un bénéfice de 8 millions).
Elle marque le triomphe de l’architecture métallique avec le Palais des Machines et la tour Eiffel, deux bâtiments qui exposent fièrement leur charpente.

Les visiteurs ont peut-être acheté leur billet d’entrée dans un petit pavillon de métal, appelé pavillon Duclos. C’est en tout cas ce qui est écrit à l’entrée de celui qui a été installé sur les hauteurs en face du château de Dampierre, et que nous connaissons sous le nom de « maison de fer », même si cette origine n’est pas attestée.

L’architecture métallique

Construites en 21 mois dans les ateliers Eiffel, de Levallois-Perret, les 18 038 pièces de la tour y ont été dessinées, forgées et préparées par près de 300 ouvriers avant d’être transportées sur le site de Paris pour y être assemblées avec 2 500 000 rivets.
Je n’évoquerai pas davantage l’histoire de la tour : elle appartient à Paris.

Le Pont des Arts est construit en 1801. En 1811 la coupole de la Bourse du Commerce et en 1850 la bibliothèque Sainte-Geneviève sont équipées de charpentes en fer. En 1851 la Gare Saint-Lazare, bénéficie de portées de 40m. En 1871 le Moulin Saulnier de la chocolaterie Menier a une structure de pans de fer.

Et en cette fin de siècle, l’usage des fers en T se généralise pour les planchers. C’est ainsi qu’en 1995, recevant la commission de sécurité dans le château du Vieux Moulin, construit de 1899 à 1902, j’avais découvert qu’en dépit de son apparence il est entièrement réalisé en structures métalliques.

le Vieux Moulin

Or, en cas d’incendie, si une poutre en bois se consume lentement, et de façon progressive un fer en T, se dilate à haute température, entrainant un effondrement immédiat du plancher. Pour y recevoir du public, il m’était donc imposé d’effectuer d’importants travaux en plafond, avec des matériaux d’isolation spéciaux.  L’addition avait été lourde !

A partir de 1851 l’invention de la tôle (feuille de métal) qui peut être galvanisée, c’est-à-dire recouverte d’une couche anticorrosive de zinc ou de plomb, permet la pose de panneaux, de cloisons. 
Il devient donc possible de réaliser des maisons de fer, à la fois légères, rigides, solides, et faciles à transporter…
A l’exposition universelle de 1898 l’ingénieur Bibiano Duclos, présente un modèle entièrement démontable, « qui illustre les avancées technologiques de l’époque et la volonté de construire des maisons légères, transportables et à coût modeste » (Wikipedia).

Son invention se décline en plusieurs modèles : la «baraque », petite construction de plain-pied qui peut servir de buvette, de commerce dans un parc, de poste de secours… ; le «chalet » à  rez-de-chaussée surélevé, comme sur la publicité ci-dessous, et la maison à étage, tous deux destinés à des lieux de villégiature, et enfin  des constructions spéciales (école, église…).

Le procédé Duclos consiste en une ossature métallique, dont les poteaux verticaux porteurs sont espacés d’un mètre. Chaque module accueille ainsi des panneaux de remplissage de 1m2, en tôle d’acier, fabriqués de façon standard qui constituent la paroi extérieure de la maison. Fabriqués en atelier, ils n’ont plus qu’à être assemblés sur place.

le brevet Duclos

Pas besoin de chape de ciment, ni de fondations : la maison repose sur des pilotis qui prolongent les poteaux. Un vide sanitaire assure la salubrité de la maison, et garantit qu’insectes ou reptiles n’y pénétreront pas, argument intéressant pour le marché des colonies, que Duclos vise en même temps que celui des logements de villégiature.
Cependant à l’exception de l’église Santa Barbara de Santa Rosalia (Mexique) on ne connait pas d’autres exportations : même vendue à un prix très économique, la maison Duclos majorée des frais de transport ne saurait rivaliser dans les colonies avec le coût d’une construction locale.

Toutes les maisons Duclos garderont toutefois cette inspiration coloniale, avec leurs terrasses couvertes, protégées par l’avancée du toit, où l’on s’imagine bien prendre un verre en se balançant dans un rocking-chair au coucher du soleil !
Présentées par la suite à l’Exposition Universelle de 1900, les maisons Duclos se vendront à plus de 200 exemplaires durant une dizaine d’années. Cependant, bientôt le fer passera de mode, et ces maisons seront remplacées par les pavillons préfabriqués. Jean Prouvé essayera sans succès d’en relancer le principe en 1940.
Il ne reste plus aujourd’hui que 9 pavillons Duclos, dont 6 en Ile-de-France.

La maison de fer de Dampierre

En 1896 Arthur Puig, un employé de commerce parisien, achète un terrain à Dampierre, et quelque 5 ans après, il y fait construire une villa : la « Miryvette » (qui mire l’Yvette).
Entretemps, pour profiter immédiatement de son terrain, il achète un chalet Duclos, qui lui permettra par la suite d’héberger des amis.

La maison repose sur 23 pilotis.
Ses cloisons de fer sont séparées des cloisons intérieures en bois, par un vide de 24cm et un système de trappes permet de réguler la couche d’air qui assure l’isolation des pièces.
Une porte-fenêtre et six fenêtres assurent l’éclairage et la ventilation des lieux, y compris celle des sanitaires intégrés dès l’origine dans la construction (ce qui n’était pas encore la norme dans l’habitat rural).
De nombreux détails : des cannelures moulées dans la tôle, des panneaux dont la forme et la taille changent selon l’emplacement… l’esthétique de la maison est soignée en dehors de toute contrainte technique. Frises ajourées, crête de toit, épis de faîtage, fleurs stylisées perforées dans les volets… quantité de petits détails évoquent le style des chalets de bois, et sont typiques des maisons de villégiature du début de XXème siècle. 
Un parc de 4500m2, terminé par un belvédère bénéficie d’une vue superbe sur Dampierre et son château, ainsi que sur le confluent de l’Yvette avec le Ru des Vaux-de-Cernay.

Dans les années 1950, le bâtiment est laissé à l’abandon. A partir de 1963, il est prêté par les héritiers Puig à la commune de Dampierre puis à une association de randonneurs.

la maison après sa rénovation

En 1986, le Parc National Régional le rachète. Entièrement démonté et restauré, en rehaussant les pilotis pour dégager plus d’espace habitable, il devient gîte d’étape, et reçoit une salle commune avec son coin cuisine et sa cheminée, ainsi qu’un vestiaire en extension arrière, pour compléter les 5 chambres et accueillir jusqu’à 20 personnes en chambres de 2, 4 ou 6, avec une salle de bains avec WC.

l’intérieur du gîte

Malheureusement le parc, restauré, ne bénéficie plus de sa vue, car la forêt s’est refermée autour du terrain.

Vous voulez la visiter ? Elle n’est plus ouverte au public, mais si vous êtes randonneur, vous êtes le bienvenu, en réservant à l’avance.

plan d’accès

On y accède facilement, à pied, par le chemin qui monte en face du château de Dampierre et longe le cimetière. En voiture, c’est la dernière route à droite, bien indiquée, en venant des Essarts-le-Roi, ou de Lévis-Saint-Nom, avant de descendre dans Dampierre.
La rue Pierreuse la sépare d’un petit lotissement.

Le Parc a obtenu l’inscription de la Maison de Fer, hors extensions récentes, au titre des monuments historiques : elle sera donc protégée.
C’est la seule maison de fer d’Ile de France qui n’est pas devenue un musée inhabité, et ce point mérite également d’être salué, même si tout le monde n’est pas randonneur !

Christian Rouet
mars 2023

Et parce que cet article traite du fer … je ne résiste pas à la tentation de vous proposer de revoir … cette causerie d’un délégué de la ligue antialcoolique sur l’eau ferrugineuse ! (cliquez sur l’image)

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