L’Église dans la tourmente

Lorsque la Révolution remet en cause tous les fondements de l’Ancien Régime, les rapports entre les pouvoirs civil et religieux sont profondément bouleversés, dans le pays considéré comme la « fille ainée de l’église ».

La situation de Rambouillet illustre quelques aspects de ce qui fut un tel traumatisme pour une population profondément croyante.

La Révolution

En 1789, le curé du village joue un rôle religieux mais aussi social, de premier plan. La santé, l’éducation, sont assurées par les congrégations religieuses. La France est profondément chrétienne, et, depuis la conversion de Clovis, le Roi de France et le Pape tirent un profit mutuel de leur association.

Cependant, au fil des siècles, les membres de la noblesse, et ceux du haut-clergé, ont cumulé les privilèges, et dans bien des cas, en ont abusé. Les membres de l’Assemblée nationale constituante en ont bien conscience, et par les décrets d’août 1789, puis le vote de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen en octobre, ils choisissent d’y mettre fin.

Il faut rappeler que dans cette assemblée de 1145 députés, il y avait 291 représentants du clergé (dont plus de 200 curés, membres du bas-clergé), et 270 de la noblesse. Le détail du vote n’est pas connu, mais il est sûr que beaucoup d’entre eux se sont donc associés à cette remise en cause.

L’abolition des privilèges prive le clergé de ses revenus et oblige l’Etat à subvenir à ses besoins. Le 2 novembre 1789 les actifs de l’Eglise sont mis à la disposition de la Nation.

Puisque les prêtres sont désormais payés par l’Etat, ils seront désormais nommés par la Nation. Le 12 juillet 1790 une Constitution civile du clergé est donc votée, qui fait d’eux des sortes de fonctionnaires. Et comme elle est accueillie de façon tiède, ce sont 10 serments qui sont imposés aux prêtres, depuis le « Serment à la Constitution civile du clergé » du 26 décembre 1790, jusqu’à la « Promesse de fidélité à la Constitution de l’an VIII » du 28 décembre 1799.

« Discours prononcé à Vendosme par le père Dessaignes » (collection F.Briquet)

Dès le 29 novembre 1791, les prêtres qui refusent de prêter serment (ils sont nombreux, notamment dans l’ouest) sont considérés comme suspects de sédition et peuvent être arrêtés et déportés.

Nous évoquerons plus loin le cas de prêtres ainsi déportés à Rambouillet, et parlerons de plusieurs membres du clergé rambolitain qui ont vécu cette époque.

En avril 1792 la France déclare la guerre au roi de Bohême Hongrie. Les troupes ennemies, auxquelles se sont joints des émigrés français remportent plusieurs succès et marchent sur Paris avant que la victoire de Valmy, le 20 septembre 1792, ne parvienne à arrêter l’invasion. Les rumeurs et théories complotistes se multiplient : le roi, pour retrouver ses pouvoirs, s’appuierait sur les nobles et les prêtres réfractaires pour détruire la nation de l’intérieur.

Les actes anticléricaux, puis antireligieux se multiplient. La Vendée et la Bretagne, déjà révoltées contre plusieurs décisions fiscales et la conscription décidées par l’Assemblée soutiennent ses prêtres réfractaires, et bientôt elles prennent les armes contre les armées de la République.

Il faudra huit années de combats acharnés, et d’une répression impitoyable pour que la République triomphe.

Ces divisions du clergé, et la remise en cause brutale de toutes les valeurs et coutumes françaises provoquent dans de nombreuses régions une montée de l’anticléricalisme et une déchristianisation qui culmine en 1793. Les fêtes révolutionnaires se laïcisent. De nombreuses églises sont transformées en « temples de la Raison », voire en écuries. Les cloches sont fondues. Les tombes ouvertes pour faire du salpêtre…

Dans l’espoir de ramener la paix religieuse la Convention nationale adopte le décret du 3 ventôse An III (21 février 1795) qui rétablit la liberté des cultes et confirme la séparation définitive des Églises et de l’État. Il faudra toutefois attendre la signature du Concordat, sous le Consulat, le 15 juillet 1801, pour arriver à un équilibre qui conduira –difficilement- à la laïcité française et la loi de 1905.

La manière dont le curé Hébert (1791-1793), l’abbé Rabourdin (1789-1793) et le vicaire Huard (1789-1794) ont traversé cette période à Rambouillet, est intéressante.

Le curé Hébert

De 1791 à 1793, Hébert, le curé de Rambouillet, soutient activement les idées révolutionnaires. Il participe à toutes les réunions politiques, et prend une part active dans les réformes.

Saint-Lubin reste toujours autant fréquentée. Hébert obtient des crédits pour effectuer des réparations dans l’église et obtient que ses cloches ne soient pas fondues. Cependant il lui est fait obligation de laisser la libre disposition du lieu, maintenant propriété de la Nation à tous les citoyens, chaque jour à partir de 10 heures, pour des activités non religieuses.

Elu curé de Rambouillet par les notables de la ville, il prête de bonne grâce le serment à la Constitution civile du clergé.

En avril 1793, la municipalité lui accorde un brevet de civisme. Mais durant l’été la vague antireligieuse atteint Rambouillet. L’église Saint-Lubin est pillée. Les cercueils des seigneurs d’Angennes sont profanés, pour en récupérer le plomb « plus utile aux vivants qu’aux morts ». L’autel est détruit. En dépit de son activité pro-révolutionnaire, Hébert est suspecté d’incivisme, emprisonné à Rambouillet, puis transféré à la prison de Versailles le 27 octobre 1793.

Le 18 novembre, pour être libéré, il renonce à ses fonctions ecclésiastiques et quitte alors Rambouillet.

Cependant, lorsque la Terreur prend fin, il se repend devant les autorités diocésaines de Chartres de ses choix révolutionnaires et de sa démission, et revient occuper sa charge à Rambouillet à la satisfaction de ses paroissiens.

Il y décède le 20 mars 1796, désigné dans son acte de décès comme « ancien curé de Rambouillet ».

L’Abbé Rabourdin

Au début 1789 Nicolas Rabourdin est désigné par l’évêque de Chartres comme châtelain de l’Hôpital Royal de Rambouillet.

En 1791, il est élu au conseil général de la commune et il y siège régulièrement, prenant une part active aux délibérations. Sur sa proposition l’hôpital accueille désormais tous les malades de la commune (et non seulement ceux du Domaine).

Le 8 novembre il est nommé commissaire et chargé d’apporter tous les objets précieux de l’église à Dourdan. Il obtient leur remplacement par des objets de cuivre.

Le 14 septembre 1792 il prête serment à la Constitution civile du clergé.

Le 16 décembre, sous une nouvelle municipalité il devient procureur de la commune, et Rambouillet ne connaît à cette époque, ni troubles, ni arrestations.

Pourtant, jugeant la municipalité trop réservée, deux commissaires de l’Assemblée Nationale viennent la dissoudre, et mettent en cause le patriotisme de Rabourdin.

Le 9 novembre 1793, ne se sentant plus soutenu, il se démet de ses fonctions d’aumônier et renonce à son état de prêtre. Il reçoit son certificat de civisme et quitte Rambouillet.

Profitant de la loi de juillet 1795 qui rétablit la liberté de culte, il revient prendre son poste à l’hôpital de Rambouillet et le conserve jusqu’à l’Empire.

Il décède le 13 juin 1823, après s’être rétracté de tous les serments révolutionnaires qu’il avait prononcés, et avoir affirmé qu’il voulait vivre et mourir dans la religion catholique.

Les prêtres de Mayenne

A Laval, l’ensemble du clergé refuse d’adhérer à la Convention du clergé civil. Beaucoup sont arrêtés, et plus de 400, déportés. Le 22 octobre 1873, 88 d’entre eux (presque tous des vieillards) sont envoyés à Rambouillet. 14 restent à Laval et seront guillotinés.

Leur voyage est particulièrement éprouvant, en butte à l’hostilité des foules traversées et à la cruauté de leurs gardiens. Un second groupe de prêtres, déportés de Chartres, les rejoint, portant le nombre de prisonniers à plus de 200.

Le 26 novembre, les Rambolitains, prévenus de l’arrivée d’un groupe de « prêtres rebelles de Vendée » les accueillent par des huées et des coups. Ils sont enfermés dans l’église, obligés d’y dormir et d’y faire leurs besoins naturels. Le lendemain un détenu fait transmettre au procureur de Rambouillet une requête pour améliorer leurs conditions de détention, et contre tout espoir, le procureur vient en personne leur dire que les Rambolitains avaient été mal renseignés sur leur compte, et qu’il allait immédiatement réparer cette erreur.

Apprenant qu’il ne s’agit pas de rebelles mais seulement de prêtres réfractaires, les Rambolitains leur témoignent alors de la compassion. Un prêtre qui avait eu la jambe brisée durant le voyage est conduit à l’hôpital, et les prisonniers sont transférés au Corridor (il s’agit de l’actuelle caserne des gardes, dans le parc du château).

Là, le sort de ceux dont les familles peuvent payer une pension s’adoucit, et, la solidarité jouant, les plus nécessiteux reçoivent aussi un minimum. Le vicaire Huard vend un meuble qui lui appartient pour verser personnellement 110 livres aux prisonniers nécessiteux.

En mai 1794, afin d’utiliser le Corridor comme hôpital militaire, les prisonniers sont transférés à la Vénerie de Groussay. Ils sont victimes d’une épidémie de dysenterie. De ce convoi de 88, 1 prêtre a été guillotiné et 26 sont morts de misère ou de maladie durant leur captivité. En avril 1795, les 61 prêtres encore en vie sont enfin rendus à leurs familles.

Nicolas Huard

Nicolas Huard a acquis comme vicaire, dans deux paroisses précédentes, une réputation de grande charité. Le maire des Mesnuls, lui a délivré un certificat élogieux : « S’est bien occupé des pauvres, leur a procuré des secours et de l’ouvrage à ceux qui pouvaient travailler. »

Il a également servi l’église de Davron et son maire a attesté : « il s’est acquitté de son devoir à la satisfaction de tous, a montré beaucoup de patriotisme, a commandé la garde nationale et a bien fait son service militaire ».

A fin 1789, il est nommé vicaire à Rambouillet.

En 1793, il tente d’adoucir la situation des prêtres emprisonnés à Rambouillet, agissant par charité et non pour motif politique. Cependant, on l’accuse alors de quêter publiquement pour « les brigands de la Vendée ».

Devant l’hostilité grandissante des révolutionnaires les plus radicaux de Rambouillet, il quitte la ville et part travailler à la Chapelle-Guillaume, commettant la faute de partir sans avoir sollicité de permis de déplacement.

Il est alors arrêté, amené devant le tribunal révolutionnaire de Paris, et jugé le 29 juin 1794 pour « avoir quitté furtivement Rambouillet sans passeport, être connu pour son incivisme et avoir aidé et soutenu des rebelles de la Vendée ».

En dépit de ses certificats de civisme, il est reconnu coupable de ces charges, et il est guillotiné le jour même à la Barrière du Trône.

Ces quelques exemples sont intéressants, parce qu’ils se situent à Rambouillet, c’est-à-dire dans une commune particulièrement modérée, acquise aux idées révolutionnaires et religieuses sans excès. Rien d’étonnant dans ces conditions que dans les départements révoltés, la répression républicaine ait atteint le niveau qu’elle a connu, avec ce que nous appellerions aujourd’hui de véritables « crimes de guerre » (dont la république n’eut pas le monopole).

En fait, et même si la loi de 1905 a fini par créer un cadre laïc apaisant, pour définir clairement la séparation entre l’Etat et les organisations religieuses, la communauté catholique de France n’a pas oublié ses martyrs de la Révolution, dont plus de 8000 prêtres.

Christian Rouet
décembre 2023

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