La sous-préfecture de Rambouillet
Henri-Alexis Levasseur, maire de Rambouillet, a obtenu de Napoléon que notre ville devienne chef-lieu d’arrondissement. Elle a donc possédé sa sous-préfecture, à partir de 1811.
Toutefois, avant d’aborder l’histoire de ce bâtiment, il est intéressant de parler de l’endroit où elle a été construite : le fief de la Motte, qu’il ne faut pas confondre avec la rue de la Motte (entre la rue Raymond Poincaré et la rue de Groussay), baptisée ainsi en mémoire de Félix de la Motte, maire de 1853 à 1878.
Le fief de la Motte
Quand nous pensons aujourd’hui à la naissance de Rambouillet, nous imaginons que, dès son origine, notre ville formait un tout.
Or elle était composée de plusieurs fiefs, dépendant de suzerains différents, civils ou religieux, de Chartres, Montfort, Elancourt, Rochefort ou autres. Leur fusion ne s’est effectuée qu’au fil des siècles, dans un mouvement de regroupement dont Rambouillet Territoires constitue aujourd’hui une nouvelle étape, qui connaîtra encore bien des évolutions.
Parmi ces fiefs, celui de la Motte est indiqué pour la première fois, dans l’acte par lequel Jean Bernier achète, le 6 mai 1368, à Gérard de Tournebu, la seigneurie de Rambouillet « item les hôtels du sire de la Motte et de Colin de Grossay. »
En 1384 Jean Bernier revend le domaine de Rambouillet à Renaud d’Angennes, seigneur de la Loupe. Il a dû céder entretemps son fief de la Motte à Thévenin le Baveux-de-Savonnières, puisque c’est de celui-ci que Renaud d’Angennes déclare tenir en 1398« un arpent de terre et un pré appelé de la Motte ».
Toutefois, dans un hommage de 1559, c’est Jehan Allego de Sobremont, seigneur de la Motte et de Breteau, qui rend hommage au baron de Rochefort pour « son fief de la Motte, assis à Rambouillet; c’est à savoir : son aistre à faire manoir, granges, estables, cour, jardin, fossés, rivière contenant un arpent et demi, tenant par devant à la grand-rue et chemin de Rambouillet à Orléans, et derrière aux marais dudit Rambouillet… »
En 1582, les héritiers de Jehan Allego cèdent le fief de la Motte à Me Jean Morineau, avocat et prévôt de Montfort-l’Amaury. Il s’agit alors d’un arpent de terre « proche la barrière dudict Rambouillet, allant vers le cymetière ». Il n’est plus question de manoir, sans que l’on sache par qui, et quand il a été démoli.
Le plan ci-dessus, publié par J.Blecon dans son ouvrage sur le Palais du Roi de Rome, permet de situer le domaine de la Motte vers 1670.
Fleuriau d’Armenonville acquiert le domaine de Rambouillet le 4 septembre 1699, et le 2 avril 1705, les héritiers à la 4ème génération de Jehan Allego, lui cèdent le fief de la Motte. Il s’agit alors d’un terrain nu « où estoit anciennement le manoir seigneurial dud fief sciz en la grande rue dud lieu ».
Fleuriau d’Armenonville décide de créer là un jardin d’agrément. Il entreprend l’aménagement d’une pièce d’eau (aujourd’hui le Rondeau) et déplace le tracé du grand chemin pavé de Paris à Chartres, vers l’Est afin qu’il contourne son fief, au lieu de le traverser.
Et finalement, le 8 mai 1708, le comte de Toulouse devenant à la fois propriétaire du domaine de Rambouillet et du fief de la Motte, ce dernier ne sera plus mentionné par la suite.
On notera accessoirement que la toponymie du lieu n’est pas évidente : la motte désignait autrefois une butte, et à partir du 12ème siècle, par extension, la maison seigneuriale construite sur cette butte. Or, si le manoir de la Motte se trouvait bien dans la partie supérieure de son terrain, le fief était tout de même en un point bas de Rambouillet !
La maison du bailli
Entre 1708 et 1712, le comte de Toulouse procède à d’autres achats et échanges de terrains, pour devenir mitoyen de la maison du Cheval Rouge (qui existe toujours, et n’a jamais changé d’enseigne depuis 1651 !).
Sur ce terrain ainsi remembré il fait construire une maison destinée à son bailli.
Le bailliage de Rambouillet était un bailliage seigneurial, et non un bailliage royal comme ceux de Montfort-l’Amaury ou d’Etampes. Les baillis avaient joué un rôle très important, dans l’organisation administrative du pays, mais leur compétence avait été réduite par l’ordonnance de Blois de 1579 au seul pouvoir judiciaire. Selon certaines sources (F. Lorin, SHARY 1894 ou Jacques Gandouin, « la Sous-préfecture de Rambouillet »), il s’agissait du bailliage lui-même (donc du tribunal), et Lorin précise que « pendant tout le XVIIIème siècle, les baillis de Rambouillet rendirent justice dans l’hôtel que le comte de Toulouse y avait fait construire ». Le tribunal se déplaça ensuite dans le nouveau bailliage construit par Louis XVI (notre actuelle mairie).
Cependant J. Blecon (une conférence PARR de 2012) affirme quant à lui que « la salle d’auditoire se trouvait à l’étage des halles, situées à peu près à l’emplacement de l’Hôtel de ville actuel » et que cet hôtel n’aurait donc servi que de logement au bailli.
Sans doute la partie administrative du bailliage se tenait-elle au même endroit que le logement du bailli, tandis que les audiences publiques se tenaient au dessus des halles,
Me Claude Thourette, conseiller avocat du roi au bailliage et siège de Montfort-l’Amaury est le premier occupant de cet hôtel. C’est là qu’il reçoit, le 12 février 1712 les lettres d’érection du marquisat de Rambouillet en duché-pairie, et les archives de la ville permettent de juger de son action dans bien des domaines. Il est remplacé en 1737 par Louis Olivier, puis par Edmond-René de la Mustière de 1739 à 1788.
Durant cette période, une aile est rajoutée à l’Est de la construction existante, lui donnant la forme d’un U, et son jardin est alors amputé pour permettre l’aménagement du Verger, le jardin de l’Hôtel du Gouvernement qui s’étend jusqu’à la place Félix Faure.
En 1780 René-Denis de la Mustière succède à son père.
Malgré les réformes entreprises par la Révolution, il conserve la jouissance de son logement jusqu’à sa vente en 1796.
Henri Levasseur
Louis XVI a acheté au duc de Penthièvre le domaine de Rambouillet le 29 décembre 1783. Et, bien qu’il ait été acquis sur la cassette personnelle du roi, l’hôtel du Bailliage est classé bien national, et mis aux enchères pour la somme de 14 000 francs.
Le 30 juillet 1796 Henri-Alexis Levasseur, adjudant général, en devient propriétaire pour 18 570 francs et s’y installe trois ans après. Il est alors commissaire au directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Rambouillet.
Joseph-Yvon Paulian, qui s’est rendu acquéreur de l’Hôtel du Gouvernement, le morcelle et le revend en lots séparés. Levasseur se rend alors acquéreur d’une partie du jardin du Verger. L’Hôtel du bailliage est ainsi prolongé d’un superbe terrain de 40 ares 24 centiares, qui va jusqu’au Rondeau.
De septembre 1800 à juin 1803, Henri Levasseur accomplit un premier mandat de maire de Rambouillet. En application de la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799)
il n’a pas été élu, mais choisi par le préfet.
Lorsque la Révolution avait créé les départements et les districts (qui deviennent les arrondissements), le département de Seine-et-Oise ne comprenait que 5 arrondissements et Rambouillet n’avait pas été choisi comme chef-lieu. Napoléon avait créé en l’an VIII le corps des préfets pour diriger les départements, et celui des sous-préfets, pour les arrondissements, et Rambouillet dépendait donc de celui de Versailles.
Curieusement, à la fin de ce premier mandat, Levasseur part avec sa famille, créer un élevage de mérinos en Indre-et-Loire. Ses projets tournent mal et il revient à Rambouillet en 1808.
Le préfet le nomme alors maire pour un second mandat, en remplacement de Louis Boullé, le maire qui a démissionné pour devenir notaire.
A cette époque Napoléon séjourne souvent à Rambouillet : on a calculé qu’il y a passé 60 jours dans un règne de 11 ans. Cela peut sembler peu, mais c’est beaucoup si l’on pense qu’éloigné par ses campagnes, il n’a passé que 955 jours à Paris.
Il y rencontre régulièrement Levasseur, qu’il apprécie, et celui-ci ne manque jamais de relancer l’empereur pour que Rambouillet devienne chef-lieu d’arrondissement. Sa situation géographique est un atout auquel l’empereur est sensible, de même que l’intérêt qu’il porte à la ville.
Visitant l’hôtel de ville, en mai 1811, l’empereur admet que ce bâtiment conviendrait parfaitement pour loger la mairie et un tribunal d’arrondissement.
« Mais où placera-t-on la sous-préfecture, demanda-t-il ? « Chez moi, Sire, si vous le voulez-bien », répondit Levasseur. Napoléon sourit et n’insista pas. En rentrant au château, Napoléon se fit représenter une carte et traça définitivement l’arrondissement de Rambouillet. »
L’anecdote, ainsi rapportée par Delorme (« Rambouillet devenu chef-lieu »), n’a pas eu de témoin. Elle est fidèlement rapportée depuis, dans ces mêmes termes, par tous les auteurs : il nous faut donc la supposer exacte, et admirer la réactivité de Levasseur !
Le 19 juillet 1811 la Seine-et-Oise reçoit donc un 6ème arrondissement, créé avec les cantons de Rambouillet, de Chevreuse, de Limours et de Montfort, pris sur l’arrondissement de Versailles, et par les deux cantons de Dourdan pris sur celui d’Etampes. Rambouillet en devient le chef-lieu, Levasseur, le premier sous-préfet, et son hôtel personnel, la première sous-préfecture.
Une délégation de Dourdan, venue briguer le statut de chef-lieu se heurte à un refus de Napoléon : « Vous désirez que la sous-préfecture ou le tribunal d’arrondissement soient établis à Dourdan, mais c’est impossible : Rambouillet est le point central et l’intérêt public exige que les administrations soient réunies dans une même ville ».
Dourdan obtient du moins que les liaisons routières avec Rambouillet soient améliorées.
Levasseur laisse aux rambolitains le souvenir d’un sous-préfet intègre et dévoué à son arrondissement. Une rue porte son nom, à la Clairière. C’est lui qui décide de rebaptiser les principales rues de Rambouillet du nom de victoires de l’empereur en Russie. Cependant, son attachement à Napoléon lui vaut d’être limogé sous la Restauration, et remplacé par le comte de Nugent. Cette révocation l’accable au point de tomber malade, et de décéder le 31 juillet 1814 à 59 ans.
Or, s’il avait été un excellent sous-préfet, Levasseur n’avait pas été un habile gestionnaire de ses biens, et sa succession entraîna une liquidation judiciaire, au cours de laquelle l’hôtel fut vendu aux enchères à Pierre-André Laslier, chef de la garde nationale, l’un des principaux créanciers du défunt.
La sous-préfecture moderne
Laslier souhaite revendre l’hôtel qu’il n’a acquis que pour récupérer une partie de ses créances, et pour lequel la ville lui verse un loyer annuel de 1000 francs. Mais la transaction prend plusieurs années parce que Rambouillet a été saignée à blanc par les réquisitions qu’elle a subies à la chute de l’empire. En outre, poussé par les représentants de Dourdan et d’Etampes, qui s’étaient sentis lésés par les choix de Napoléon en faveur de Rambouillet, le conseil général de Seine-et-Oise refuse d’acheter l’immeuble de la sous-préfecture, et demande même à Louis XVIII de supprimer l’arrondissement de Rambouillet.
L’intervention du duc d’Angoulème écarte finalement cette menace, et par ordonnance royale du 1er juillet 1818, le maire est autorisé à « acquérir, au nom de la ville, une maison et ses dépendances, pour loger le sous-préfet et y placer ses bureaux. »
Dix sous-préfets se succèdent alors, de 1818 à 1860, au rythme des changements de régime de cette période compliquée. La vétusté et l’étroitesse du bâtiment, dénoncées durant des années, conduisent finalement à son rachat par le département, le 26 décembre 1861.
Divers projets de l’architecte Blondel sont étudiés pour sa rénovation, et finalement, en 1862, l’ancien bâtiment est démoli et la nouvelle sous-préfecture est construite, un peu plus à l’ouest, comme le montre ce plan de J. Blecon (conférence PARR 2012).
Pendant les deux années que durent les travaux, la sous-préfecture s’installe rue du Belvédère (rue Lachaux) dans la maison de l’ancien maire et sous-préfet Delorme (aujourd’hui école Sainte-Thérése).
Bien qu’une grille ait été prévue dès 1862, c’est un long mur austère qui borde le bâtiment, le long de la rue principale, jusqu’au milieu du XXeme siècle.
En 1958, quand Jacques Gandouin est nommé sous-préfet à Rambouillet, les locaux de la sous-préfecture sont à nouveau trop exigus, car le décret de 1944 a considérablement élargi les pouvoirs du sous-préfet en lui donnant d’importantes délégations de pouvoir et de signatures.
La délivrance des permis de conduire et cartes grises, ou des compétences en matière d’urbanisme nécessitent l’accueil d’un public de plus en plus nombreux.
A partir des propositions de J. Gandouin, les architectes Baranton et Kurtz agrandissent le bâtiment sur l’emplacement de l’ancien potager (il s’agit des parties hachurées sur le plan ci-dessous).
Outre de nouveaux bureaux, et son grand hall d’accueil, la sous-préfecture reçoit ainsi une très belle salle de réunion de 150 places, dont les baies donnent sur son jardin.
Sans doute s’y est-il tenu bien des assemblées de la SARRAF, la Société des Amis de la Région de Rambouillet et de sa Forêt, créée par Jacques Gandouin en 1959, et toujours aussi active aujourd’hui.
Trop petite lorsque le public devait s’y déplacer pour effectuer des formalités, la sous-préfecture sera-t-elle trop grande, demain, avec la dématérialisation des documents, et l’usage d’internet ?
Le fief de la Motte connaîtra sans doute, alors, une nouvelle transformation.
Christian Rouet
octobre 2022
Merci pour cette très passionnante chronologie
Très intéressant comme toujours