La maison de Raymond Devos

Quel rapport y a-t-il entre les maisons de Maurice Ravel à Montfort l’Amaury, de  Jean Monnet à Bazoches-sur-Guyonne, d’Elsa Triolet et d’Aragon à Saint-Arnoult-en-Yvelines et de Raymond Devos à Saint-Rémy-lès-Chevreuse ?
Ce sont les quatre demeures situées dans le Parc Naturel Régional de la Haute Vallée de Chevreuse, qui ont reçu le label « Maisons des Illustres ».

Je vous propose de visiter aujourd’hui la maison de Raymond Devos.

Les « Maisons des Illustres »

Ce label a été créé le 13 septembre 2011 par le  ministère de la Culture.

Il souhaite valoriser « les lieux dont la vocation est de conserver et transmettre la mémoire des femmes et des hommes qui se sont illustrés dans l’histoire politique, scientifique, sociale et culturelle de la France ».

A ce jour 254 maisons ont reçu ce label, en métropole et en outre-mer, dont 37 en Ile-de-France. Vous pouvez en télécharger le guide complet   sur le site du ministère.

Raymond Devos

Il doit quitter l’école très jeune, en 1936, à la suite de la faillite de son père, et alterne les petits boulots avec des cours de musique et de théâtre.

Après la parenthèse de la guerre (un service rural en France, puis deux ans de STO en Allemagne), il revient à Paris et continue à se former au théâtre, à la musique, au chant et au mime en enchaînant les petits rôles dans des troupes désargentées. 

Devos dans la troupe de Jacques Fabbri

Les débuts ne sont pas faciles. Il en dira simplement « j’ai commencé par la  faim » !

En 1953 il est pris dans la troupe de Jacques Fabbri, et la suit en tournées dans toute la France. Les étapes, en car, sont longues. Raymond cherche à les égayer en amusant ses compagnons.

Un soir, dans un restaurant de Biarritz, il demande au garçon comment voir la mer et s’attire la réponse : « monsieur, la mer est démontée ». Raymond a le réflexe de demander : « vous la remontez quand ? » et le garçon, pris au dépourvu lui répond : « c’est une question de temps » .

Le lendemain, à partir de ces deux répliques, le jeune comédien régale dans le car ses compagnons de ce qui deviendra son premier sketch –et son premier succès- : « la mer démontée ».

Son second succès « le pied » est né de même d’une improvisation pour ses amis. La télévision venue filmer la troupe, avait imaginé une scène burlesque dans laquelle Fabbri utilisait… le pied de Devos en guise de téléphone. Ce dernier était donc sur les mains, la tête en bas, et par conséquent tout à fait impossible à reconnaître.

Le soir, au dîner, Raymond avait affirmé que son pied avait eu un tel succès, qu’on lui avait proposé des rôles. « Venez au studio, et amenez votre pied. » « Lequel ? » « Le pied gauche ! Le droit ne nous intéresse pas. » « Moi j’ai dit, c’est les deux ou rien » etc.

A partir de 1956 il interprète ses sketchs dans des cabarets parisiens : le Cheval d’or, L’Ecluse et surtout Les 3 Baudets. En septembre il passe en première partie dans le spectacle de Maurice Chevalier, et il enregistre son premier disque.

son premier disque

Son succès ne s’arrête plus. Il va collectionner durant cinquante ans les récompenses et ses tournées l’emmèneront autour du monde.

Raymond et Simone

En 1959 il épouse la comédienne Simone Beguin, de son nom de scène Simone Cendry. Comédienne confirmée, elle choisit pourtant d’abandonner sa carrière pour se consacrer à celle de son mari, et reste à ses côtés jusqu’à sa mort en 1999.

Le couple n’a pas d’enfants.

A son décès, en 2006, Raymond Devos lègue tous ses biens à la commune de Saint-Rémy-Lès-Chevreuse, où le couple s’est installé en 1963.

Un clown de génie

Raymond Devos sait comme personne utiliser toutes les subtilités de la langue française. Il a le sens de la formule. Il adore jouer sur les différents sens d’un mot, faisant basculer la phrase la plus banale dans les délires de l’absurde.

Et, à la différence de tant d’humoristes d’aujourd’hui, il peut faire rire de tout, de tous -et bien sûr de lui-même– sans jamais être méchant. Il sait montrer le ridicule d’une phrase, d’une situation, mais sans ridiculiser son auteur. Ecouter Devos c’est vivre un moment de bonheur dont l’écho nous accompagne pendant longtemps.

Voici quelques unes de ses maximes (parmi des milliers ) :

  • “Ne rien faire, ça peut se dire. Ca ne peut pas se faire !”
  • “Quand les Verts voient rouge, ils votent blanc.”
  • “Un jardinier qui sabote une pelouse est un assassin en herbe.”
  • “Quand un homme ne dit rien alors que tout le monde parle, on n’entend plus que lui !”
  • “Si ma femme doit être veuve un jour, j’aimerais mieux que ce soit de mon vivant.”

C’est ce talent qui l’a fait connaître à une époque où la télévision existait à peine, et où on pouvait seulement l’entendre à la radio, ou en disque, si on n’avait pas la chance d’assister à l’un de ses spectacles.

Mais la télévision nous a permis ensuite de découvrir à quel point il maîtrisait aussi l’art de la scène. Ses spectacles combinaient paroles, chants, musique avec tous les instruments possibles, mime, et même acrobatie, malgré une silhouette… qui n’avait rien de sportive.

C’était un vrai clown, qui multipliait les accessoires, les effets spéciaux dans des numéros où chaque détail avait été calculé et testé. Son pianiste jouait discrètement à ses côtés le rôle dévolu autrefois au clown blanc.

L’émotion pouvait à tout moment remplacer le rire, mais une pirouette le ramenait bien vite.

La villa Heria

Elle a été construite vers 1870, comme maison de vacances, entre la rue de Paris et le lit de l’Yvette, dans la partie Est de Saint-Rémy-lès-Chevreuse. La ville ne compte alors qu’environ 700 habitants.

Raymond Devos dans sa villa

Simone et Raymond Devos l’achètent en 1962, avec un terrain d’un hectare qu’ils laisseront en l’état naturel. La maison comprend alors une partie centrale, avec un étage et des combles sous le toit à la Mansard, et de chaque côté, une aile en rez-de-chaussée.

Ils l’aménagent, après de premiers travaux pour la rendre habitable, et s’y installent l’année suivante. Par la suite les deux ailes recevront des combles aménagés.

la villa Heria

La maison n’a pas changé depuis le décès de Raymond Devos en 2006. Le parc, par contre, a été modifié par les travaux d’aménagement du lit de l’Yvette, en 2019.

travaux de l’Yvette en 2019

Ajoutons toutefois qu’en dépit de ces travaux, l’Yvette a inondé le quartier en novembre 2024, et l’eau a pénétré dans le rez-de-chaussée de la maison –ce qui semble incroyable quand on voit la différence de niveau qu’il y a « en temps normal » entre le lit de la rivière et la maison !

La visite

Puisqu’il vous le dit !

Raymond Devos avait prévu dans son testament la création de sa fondation, dont l’une des missions est de faire vivre un musée dans la maison qu’il a léguée à la ville.

Ce projet lui était cher et il en a lui-même établi les plans, indiqué les documents et objets à présenter, et réalisé l’essentiel de la scénographie.

Ceci donne une valeur particulière à cette maison-musée. L’homme était modeste, mais l’artiste était conscient de ses multiples talents et il a décidé lui-même de la façon dont il nous les fait découvrir ici, comme un spectacle posthume qu’il aurait créé pour nous.

Ajoutons que la Fondation organise chaque année une dizaine d’événements littéraires ou musicaux dont le programme est ici : une occasion supplémentaire pour visiter cette « Maison des Illustres ».

La maison se visite presque dans sa totalité.

La « grande salle » du rez-de-chaussée, la « salle de musique » et la « salle de spectacle » de l’étage proposent de nombreuses vidéos que le visiteur déclenche lui-même selon ses goûts et ses curiosités.

Dans la Grande salle, outre la biographie de Devos, on peut aussi écouter le témoignage de plusieurs de ses amis ou relations. Hélène Carrère-d’Encausse, par exemple, raconte combien elle aurait aimé que Devos accepte d’entrer à l’Académie Française, mais qu’elle n’a pas réussi à le convaincre…

Des petites séquences musicales, montrent que Devos jouait d’un nombre considérable d’instruments, dans la pure tradition des clowns de cirque. On les commande en tapant sur les touches du piano, dans une salle où sont exposés ses instruments.

Cependant, les deux pièces les plus authentiques, sont le bureau, qui est resté tel qu’il l’était de son vivant, avec ses livres dans la bibliothèque, quelques tableaux ou photographies qu’il aimait regarder…

le bureau de Raymond Devos

…et le grenier dans lequel il aimait aussi travailler, notamment en imaginant, et en réalisant lui-même les accessoires de ses spectacles. « Univers de création, de rêverie,  jardin secret et atelier de l’artiste qu’il ne dévoilait que rarement » (guide de la maison-musée). C’est Raymond Devos lui-même qui nous en fait les honneurs, avec un texte qu’il a enregistré à cet effet.

Au dos du ticket d’entrée, est imprimée cette citation de Raymond Devos :

“Lorsqu’on a la prétention, comme moi, d’entraîner les gens dans l’imaginaire, il faut pouvoir les ramener dans le réel, ensuite… et sans dommage !”

Mission accomplie, car si vous venez placer vos mains dans celles de Raymond Devos, je sais que vous quitterez sa maison… avec le sourire.

Christian Rouet
mars 2025

Je hais les haies

Je hais les haies
Qui sont des murs.
Je hais les haies
Et les mûriers
Qui font la haie
Le long des murs.
Je hais les haies
Qui sont de houx.
Je hais les haies
Qu’elles soient de mûres
Qu’elles soient de houx !
Je hais les murs
Qu’ils soient en dur
Qu’ils soient en mou !
Je hais les haies
Qui nous emmurent.
Je hais les murs
Qui sont en nou
s.

Raymond Devos

 

 

 

 

 

Cette publication a un commentaire

  1. Claudette Guillaume

    Rappelez-vous le numéro d’Apostrophes où Devos et Claude Hagège ont joué un duo assez éblouissant. Et une classe d’élèves de cinquième qui avaient appris par cœur le texte sur le verbe ouïr (belle performance!) et ont rivalisé de talent pour le dire. Ils ont eu presque tous 20 sur 20, mais on a surtout collectivement vécu un grand moment.

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