Nos lavoirs
Les plus de 60 (?) ans se souviennent obligatoirement de la chanson « Les lavandières du Portugal», que chantaient Luis Mariano et Jacqueline François. Sans doute n’est-elle plus beaucoup jouée dans les boîtes de nuit branchées : quelle perte pour notre patrimoine musical ! Je rappelle toutefois qu’il s’agit de la première chanson à avoir été enregistrée sur un 45 tours, ce qui lui avait valu un succès énorme.
Quand il ne désigne pas le champ planté de lavande, la lavandière est la laveuse, encore appelée blanchisseuse ou buandière. Il semble que dans notre région ce soit le terme de laveuse qui ait été le plus souvent utilisé.
C’est à la recherche des lavoirs de Rambouillet que je vous propose de m’accompagner aujourd’hui.
Les lavoirs
Un lavoir est un bassin d’eau, alimenté de façon naturelle. Certains étaient privés, et d’autres, publics, ouverts aux femmes de la commune.
Que fait-on dans les lavoirs ? Il est tentant de répondre que l’on y lave le linge. Or c’est faux !
Jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, chaque famille faisait deux fois par an la grande lessive, ou buée. Avec les progrès de l’hygiène, la buée devint mensuelle vers 1900, puis hebdomadaire vers 1930.
Une buée durait en moyenne 3 jours. Le premier jour, le linge était immergé dans d’énormes baquets de bois, pour être pré-décrassé, Durant le deuxième jour, le linge était lessivé dans ces mêmes baquets ou dans d’autres cuves. L’eau bouillante y était versée à l’aide d’un récipient à long manche sur une épaisse couche de cendres, car le carbonate de potasse constitue un excellent agent nettoyant.
Laver le linge ne demandant que quelques seaux d’eau, il était souvent possible de le faire chez soi, ou dans une buanderie partagée entre plusieurs laveuses sous la surveillance du buandier (ou de la buandière).
Enfin, le troisième jour, la laveuse mettait son linge dans une brouette, et l’amenait au lavoir, pour y être rincé et essoré, avant d’être séché. En effet c’est cette troisième étape qui justifiait l’utilisation d’un lavoir car elle demandait beaucoup d’eau, et si possible un certain courant. Le terme de rinçoir aurait donc été plus exact !
Le bord du lavoir comportait une pierre plate, inclinée. Les femmes se mettaient à genoux dans leur « garde genoux », sorte de bac en bois et jetaient le linge, plié, dans l’eau, avant de le ramener sur la pierre, pour le battre au battoir de bois, afin de l’essorer.
Après plusieurs alternances de trempages et de battages énergiques, le linge pouvait être emporté sur son lieu de séchage, ou séché à l’air libre dans un champ voisin.
Il n’était pas rare qu’une source ou un ru alimente successivement plusieurs bassins, dont l’un servait au rinçage, et un autre d’abreuvoir.
Pour limiter les épidémies récurrentes, l’Assemblée Nationale encourage l’hygiène, et le 3 février 1851 une première loi décide la prise en charge de 30 % des nouvelles constructions de lavoirs couverts. De nombreuses communes choisissent alors de rénover ou de construire de nouveaux lavoirs, ou de rénover les installations existantes.
Ajoutons que le progrès, avec l’apparition des lessiveuses, puis des machines à laver, et aujourd’hui des laveries automatiques amène l’abandon des lavoirs, à partir des années 1950 mettant fin à une corvée physiquement pénible pour les femmes.
C’est aussi la disparition d’un lieu de rencontre où s’échangeaient les informations avec autant d’efficacité, et sans doute plus de convivialité que sur nos réseaux sociaux -même si le fait de « laver son linge sale en famille» s’accompagnait parfois de quelques mémorables volées de battoir ! (relire le combat de Gervaise et de Virginie dans l’Assommoir !)
Enfin, notons accessoirement que si les hommes n’étaient pas admis au lavoir, ils ont supporté cette discrimination injuste, sans jamais protester, ne souhaitant pas priver leur épouse des joies du ménage.
Pour notre plaisir, on trouve encore de nombreux lavoirs dans notre région, comme ceux de Bullion, de Gazeran, de Maincourt et beaucoup d’autres, abandonnés, mais heureusement conservés à titre patrimonial.
Les lavoirs de Rambouillet
« Un bourg dont le château dispose d’un plan d’eau sensationnel et qui n’a ni lavoir, ni abreuvoir, il fallait la placidité des Rambolitains pour tolérer un tel état de choses »
remarque avec humour Pierre de Janti dans ses « Propos sur l’ancien Rambouillet. »
Il y a eu quelques exceptions, mais il est vrai que la construction de lavoirs n’a pas souvent été la priorité des seigneurs de Rambouillet !
Avant de parler du lavoir de Groussay, le plus important de la ville, citons quelques lavoirs secondaires.
Le lavoir de la Pierre Fite
Sur le fief de la Motte, à l’emplacement de l’actuel Rondeau, les eaux de la fontaine Gohier alimentaient un lavoir public et un abreuvoir.
Or, lorsque le comte de Toulouse achète le château, il fait creuser « la Motte » pour y créer une nouvelle pièce d’eau baptisée Rondeau, en raison de la forme de son extrémité Est. Le lavoir est alors détruit, et l’accès au Rondeau désormais interdit aux laveuses. Cette situation perdure jusqu’à la Révolution, même si Louis XVI, lorsqu’il n’est pas à Rambouillet, autorise les laveuses à utiliser le lavoir de la ferme de Mocquesouris, dans le parc (à la grille de Gazeran).
A l’emplacement actuel du parking du Lycée, un abreuvoir et un lavoir répondent aux besoins de l’hôtel de la Vénerie (actuelle Banque Populaire) puis à ceux de la Poste à Chevaux, lorsque celle-ci quitte l’emplacement du Relays du Chateau pour venir à l’entrée du boulevard Voirin (av du général Leclerc). Toutefois ce lavoir est privé .
A la Révolution, le Rondeau est ouvert au public à la fois comme lavoir et comme abreuvoir, mais dès la Restauration il est réintégré au parc, et son accès est à nouveau interdit aux laveuses.
Quant au lavoir privé il est racheté au Domaine en 1886, et vers 1960 (?) -alors qu’il n’est plus utilisé depuis plusieurs années – il est démoli pour l’aménagement de ce quartier.
D’autres lavoirs privés
A l’autre extrémité de la ville, nous pouvons également signaler l’existence du lavoir de la Vénerie, mais construit dans la cour du Quartier Estienne il s’agit, ici aussi, d’un lavoir privé.
Tiens ! Contrairement à ce que j’écrivais, celui-ci n’était utilisé que par des hommes !
Au 26 rue de la Motte, en voulant prendre en photo un autre lavoir privé dont je garde bien le souvenir, à l’emplacement de l’ancienne station service, et maintenant d’une halte pour bus, je découvre qu’il a été détruit, sans pouvoir dire quand ni pourquoi. Dommage !
Le lavoir de Groussay
C’était le lavoir principal de Rambouillet.
A la fin du XVIIème siècle, Groussay est une plaine marécageuse, traversée par plusieurs rus, et séparée du parc du château par le « grand chemin de Rambouillet à Chartres » (la rue de Groussay). Un étang occupe le centre de la prairie, de la taille du bassin du Rondeau, dont la rue du Quai de l’Etang perpétue seule le souvenir.
Cet étang (147m d’altitude) est alimenté de façon irrégulière par des rus qui descendent des étangs de Coupe-Gorge (169m), en passant par celui de Gruyer (159m), et de l’étang du Moulinet (167m) à l’entrée nord de Rambouillet, qui recueille les eaux de la Grenouillère. (168m)
C’est dans cet étang de Groussay que les laveuses venaient rincer leur linge, sans doute depuis la construction des premières maisons de ce hameau qui ne compte que 320 habitants en 1763.
Vers 1730, le comte de Toulouse finance l’installation d’un lavoir, doublé d’un abreuvoir à bestiaux, accessibles depuis la route qui est enfin pavée. Louis XVI participe probablement à son entretien.
Je n’ai pas trouvé d’indications sur ce premier lavoir, mais sans doute était-il en mauvais état en 1812, puisque la municipalité profite de l’intérêt que porte Napoléon à Rambouillet, pour solliciter un don afin d’en construire un nouveau.
L’Empereur accède à cette demande, et verse 15 000 francs, de sa cassette personnelle. Le lavoir est un petit bassin d’environ 30m de long, creusé notamment par des prisonniers de guerre, sous la direction de l’architecte Mariaval. En fait il s’agit surtout de canaliser l’étang, et les documents d’époque parlent d’ailleurs de l’étang-lavoir ou du canal-lavoir.
Mariaval, le premier, souligne alors le risque d’inondation couru par le quartier de Groussay en cas de crue des étangs. Il est alors prévu que l’écoulement des eaux devra se faire par un réseau d’égouts, dits « Egouts Napoléon » , toutefois ceux-ci ne seront jamais utilisés.
Soucieux du confort des laveuses, Mariaval a prévu des hangars pour les protéger du soleil ou de la pluie, la pose de tablettes de pierre, et même « un petit mur d’appui, à effet de prévenir le danger que courraient les laveuses si elles étaient obligées de travailler sur un bord presqu’à fleur d’eau. »
Les travaux sont terminés en septembre 1912, mais les ouvriers, de même que les peintres qui ont construit les hangars doivent attendre plusieurs mois avant d’être payés, après plusieurs suppliques et l’intervention du Sous-Prefet Levasseur auprès du Ministère payeur . Déjà à cette époque …!
Durant vingt ans les riverains ne cessent de se plaindre de l’envasement des canaux, de la pollution des eaux, de l’inondation de leurs caves. Le curage est mis à la charge des riverains, puis confié à un adjudicataire.
Le 17 mai 1832 le conseil décide la suppression de l’ancien lavoir avec la vente de ses matériaux, l’aménagement de la prairie située entre le chemin de la commune (rue de la Providence) et l’ancien lavoir, et le creusement d’un canal ou réservoir pouvant servir de lavoir découvert, complété par un séchoir.
Les événements de 1830 retardent le projet, qui est finalement exécuté en plusieurs phases de curage et de construction, étalées entre 1842 et 1886.
Le nouveau lavoir est maintenant un grand bassin de 96m de long et 26m de large.
En 1886 on réalise que les laveuses n’ont pas d’abri. L’architecte Trubert construit donc un lavoir en L dans un angle du bassin et le lavoir ainsi équipé, et bordé de peupliers, reste en activité jusqu’à la seconde guerre mondiale.
Il nécessite toutefois des travaux fréquents, comme en témoigne cette requête adressée le 10 décembre 1889 au commissaire de police Humbert, par un collectif des laveuses:
« Nous venons aujourd’hui, nous autres laveuses à Rambouillet, nous plaindre à vous, Monsieur, au sujet du mauvais état et de la malpropreté des eaux du lavoir.
D’un bout à l’autre de l’année, soit par les pluies torrentielles causées par les orages, ou l’hiver par la fonte des neiges et aussi par toutes les eaux sales du Quartier provenant des cuisines militaires, tout cela se joint à l’eau de l’étang et finit de la rendre infecte et incapable de servir. Il faut faire 4 kilomètres pour aller laver son linge avec la brouette et la charge dessus, pensez si c’est pénible et surtout ce qu’il y a de plus intrigant c’est d’avoir fait la dépense d’un lavoir couvert et en continuant à quoi servira-t-il ? Je l’ignore.
Maintenant ce n’est pas tout, vient s’ajouter l’eau du fumier des porcs de monsieur Chicot situé non loin de l’abreuvoir et tout correspond ensemble. Voyez Monsieur comme c’est agréable et veuillez avoir la bonté de présenter ma feuille à qui de droit, et vous en rendre compte par vous-même que le fait ci-dessus prononcé par moi au nom de toutes les laveuses de Rambouillet est exact. »
Les laveuses auront finalement satisfaction, et dans les comptes de la ville, on relève régulièrement des travaux d’entretien, et notamment en 1906, 1907 et 1939.
Devenu inutile à la suite du progrès ménager, le lavoir est finalement démoli en 1951, et dans la prairie définitivement asséchée on construit alors les immeubles sociaux de Groussay.
On sait que les canalisations posées en remplacement des anciens rus, pour recueillir le trop plein des étangs en amont n’empêchent pas des inondations importantes. La nature n’aime pas être trop contrariée !
Le 1er juin 1982, c’est la rupture d’une digue qui est la cause d’une brusque montée des eaux.
Le 31 mai 2016 et le 10 juin 2018 ce sont les fortes pluies qui noient Groussay sous près de deux mètres d’eau, heureusement sans faire de victimes.
Christian Rouet
3 décembre 2021
Une idée de promenade : les lavoirs d’Yvelines
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Dans le garde-genoux les femmes mettaient de la paille c’était plus chaud et plus confortable
Article intéressant et complet, bienvenu pour les passionnés per l’histoire de notre ville.
N’y a-t-il pas aussi un lavoir à Sonchamps ? à une extrémité du jardin public aménagé autour d’un étang.
Oui, et il y en a quantité d’autres que je n’ai pas mentionnés, mais que vous trouvez sous le lien « une idée de promenade » (en pied d’article)
c’est comme toujours très riche d’informations et très intéressant. Merci beaucoup Christian Rouet.
Le boulevard Voirin n’était-il pas plutôt l’actuelle avenue Leclerc ?
Oui, naturellement ! Je ne sais pas pourquoi j’ai parlé de la rue G.Lenotre ! C’est rectifié, merci Jocelyne