La meute de l'équipage de Bonnelles

La visite du chenil était proposée lors des Journées du Patrimoine de septembre 2023, et nous avons été nombreux à le découvrir. Personnellement, je le situais « au bruit » dans la ferme de Mocquesouris, mais je n’en connaissais même pas l’emplacement exact.

Il est donc à droite de la route de Guéville, entre la Laiterie de la Reine et le Centre Equestre de la Bergerie Nationale, avec un corps de ferme à gauche de l’entrée, en face un bâtiment avec des box de chevaux côté gauche, et les enclos du chenil en enfilade sur la droite, avec le terrain d’entraînement des chiens, comme le montre cette vue aérienne de Géoportail.

Il s’agit d’une meute d’une centaine de grands anglo-français tricolores, sélectionnés et entraînés pour une activité unique : la chasse à courre dont l’équipage de Bonnelles, anciennement dirigé par la duchesse d’Uzés, perpétue la tradition.

Les meutes se spécialisent selon le gibier qu’elles chassent, et selon les caractéristiques du terrain sur lequel elles évoluent.

Au XVIIème siècle le chenil de la grande meute est à Saint-Léger, et celui de la petite meute à Rambouillet. Le duc de Penthièvre les regroupe à Rambouillet. Au XVIIIème siècle Rambouillet a son petit chenil, dans l’actuelle rue de Gaulle, à peu près à l’emplacement de la cour du Roi de Rome et son grand chenil à l’emplacement de l’actuelle Banque Populaire, à l’angle de la Place Félix-Faure.

La meute du grand chenil s’entraîne alors dans la garenne située entre les rues G.Lenotre et Raymond Patenôtre (d’où le nom de rue de la Garenne donné alors à cette dernière), à l’emplacement du cimetière. Et, pour les muscler on les fait courir dans l’ébat, les terrains situés à l’emplacement actuel de la rue du Général Humbert, (d’où son nom de sente, puis de rue, de l’Ebat qu’elle reçoit alors), parce que leur pente est favorable à la musculation des chiens.

La duchesse d’Uzès chassait avec des bâtards vendéens, dénommés ensuite anglo-poitevins pour lesquels elle avait transformé son manoir de la Celle-les-Bordes en chenil. Le baron Otto qui a repris ensuite l’équipage, préférait des black and tan coonhound.

On voit, d’après ces différentes appellations que toutes ces races sont d’origine anglaise. La raison en est simple : on sait que sous la Révolution, la guillotine a raccourci un nombre certain de nobles, mais on omet de préciser que les meutes de chiens ont été purement et simplement exterminées (souvent, symboliquement, avec la tête tranchée !).

Les chiens ont payé naturellement pour l’impopularité de ces chasses réservées aux nobles, et dont les dégâts aux cultures étaient importants, et mal dédommagés.

A la Restauration, c’est donc vers l’Angleterre que se sont tournés les équipages français pour reconstituer leurs meutes, avec, par la suite, des croisements qui ont modifié certaines caractéristiques de l’espèce.
C’est ainsi que le Grand Anglo-Français Tricolore est né de croisements entre poitevin, gascon saintongeois et foxhound anglais, ce dernier étant, comme son nom l’indique, le chien de la chasse au renard.

Et puisque je parle de nos amis Anglais, j’ouvre une parenthèse pour rappeler que depuis 2004 la chasse au renard y est interdite. Tony Blair, avait pris cette mesure, non pour protéger les renards en surnombre, mais pour briser le symbole du gentleman-farmer conservateur. C’est donc en toute illégalité que plus de 200 équipages, à commencer par les membres de la famille royale, la pratiquent au moins quatre fois par semaine.

Le Grand Anglo-Français Tricolore

Ce sont des chiens qui mesurent 60 à 70 cm de hauteur.

Ils sont rapides, résistants, et la finesse de leur flair leur permet « d’assurer le change », c’est-à-dire, dans une région où les animaux chassables sont nombreux, de ne pas perdre la piste de celui qui a été choisi pour la chasse, et cherche à brouiller sa piste, en la croisant avec celle de ses congénères.

Les saillies ont lieu au printemps, et les portées d’une moyenne de six chiots naissent après 62 à 64 jours. Ils sont en principe sevrés au bout de quatre mois, et rejoignent la meute après un an. Un chiot « se déclare »(son instinct de chasse se révèle) entre deux mois et un an.

Une carrière de chien de meute ne dure pas très longtemps ! Leur première année est celle de l’élevage et la seconde celle du dressage : ce n’est qu’à la troisième saison qu’ils seront prêts à participer efficacement à la chasse.

Durant leur courte carrière de chasseurs, les chiens s’entraînent à partir du 15 août, pour être en forme à la saison de la chasse, dans la seconde quinzaine de septembre. Il s’agit notamment de durcir leur plante de pied.

A partir de sept ou huit ans, les meilleurs chiens pourront devenir « limiers » et « faire le bois » en compagnie d’un valet limier. Leur rôle est de repérer les endroits où vivent les animaux, et d’en faire un rapport aux chasseurs.
Les autres chiens vivront une retraite paisible, mais courte (2 à 3 ans) au chenil et mourront de vieillesse vers l’âge de 10 ans.

Vous n’avez aucune chance d’en adopter un pour en faire un chien de compagnie ou un chien de garde : son instinct grégaire particulièrement développé lui impose de rester dans la meute, raison pour laquelle, du reste, il est très rare qu’un chien s’éloigne au risque de se perdre durant une chasse !

En plus du tatouage qui accompagne dès l’âge de 4 mois leur inscription sur les registres de la Société centrale canine, les chiens de l’équipage de Bonnelles sont « décorés » du U de la duchesse d’Uzès.

Il s’agit seulement d’une découpe au ciseau, dans un poil qui repousse vite. Nous avons pu assister à l’opération le jour de la visite : à l’évidence le chien était moins traumatisé que moi, quand je vais chez mon coiffeur.

Et pour répondre à la question entendue cent fois au cours de ces journées, un chien mange une moyenne de 2kg par jour : carcasses de poulets, riz cuit à l’eau et quelques granulés les lendemains de chasse pour une récupération plus rapide. En saison de chasse il reçoit également des quartiers de boeuf. La « soupe » est servie une fois par jour, à 17h (19h l’été). Si le temps est froid, la nourriture doit fournir plus de protéines et de graisse pour permettre au chien de résister sans puiser dans ses réserves, et les rations peuvent être doublées.

Durant la journée, les chiens restent ensemble, et s’ébattent en extérieur. Mais la nuit ils sont rentrés dans le chenil, et dorment sur des bat-flancs qui les protègent de l’humidité du sol en ciment.

J’ajoute que les membres de l’équipage de Bonnelles, qui organisaient cette journée portes ouvertes, et régalaient en même temps leurs visiteurs d’une aubade de trompes de chasse, exposaient également avec fierté les nombreux prix remportés par leurs chiens.

Quelques statistiques

Sans entrer dans le détail de l’organisation des chasses à courre (qui fera sans doute l’objet d’un futur article) je relève quelques chiffres présentés lors de ces Journées du Patrimoine :
Il semble qu’il y a actuellement 390 équipages de vénerie. Le terme désigne la poursuite du gibier par des chiens courants encadrés par les chasseurs. En fait il serait plus exact de dire que dans ce type de chasse, ce sont les chiens qui sont les véritables chasseurs !

218 équipages chassent à pied le lièvre, le lapin ou le renard. 172 chassent à cheval le chevreuil, le cerf ou le sanglier. D’après le site venerie.org, ils regrouperaient 10 000 pratiquants, 7 000 chevaux et 30 000 chiens dans 70 départements.

Si ces statistiques sont exactes, la vénerie n’aurait jamais eu autant d’adhérents, alors qu’elle n’a jamais été si décriée (et souvent combattue de façon violente).
Ce site annonce en outre que 100 000 sympathisants soutiennent la chasse à courre –ce qui est bien difficile à vérifier. Des sondages montrent régulièrement, au contraire, que près de 80% des Français sont hostiles à la chasse à courre.

Selon une étude de la Fondation Bardot, la cruauté dont sont victimes les animaux ainsi chassés serait la première raison pour laquelle la chasse à courre devrait être interdite, ce qui se comprend aisément. Mais curieusement 85% de ces mêmes sondés sont favorables à la réintroduction des loups, dont on sait qu’ils sont rarement végans.

On peut donc penser que, comme ce fut le cas en Angleterre pour la chasse au renard, il s’agit surtout de mettre fin à une tradition perçue comme un symbole d’inégalité.
Cruel dilemme pour nos hommes politiques qui doivent trancher en sachant qu’ils perdront des voix, quelle que soit leur décision.

Christian Rouet
octobre 2023