Les ressorts Montandon
Retour sur une entreprise qui a fonctionné à Rambouillet de 1847 à 1905, a employé jusqu’à 130 salariés, et a été le numéro un mondial dans sa partie… Elle n’a pourtant laissé aucun souvenir à Rambouillet, alors que la ville a honoré plusieurs de ses élus ou des donateurs pour des services tellement moindres. Mais on le sait, en France le mérite de l’entrepreneur est rarement reconnu !

Il s’agit d’une fabrique de ressorts d’horlogerie : l’entreprise Montandon Frères.
Un ressort d’horlogerie ? Un résonateur horloger fixe une fréquence d’oscillation, et fournit ainsi un moyen de mesurer le temps.
Dans une horloge on utilisait généralement le pendule – de sorte qu’elle finit par s’appeler la pendule. Dans la montre on utilise un ressort, et en souvenir des poids des horloges qu’il fallait effectivement remonter, au sens propre, nous continuons à « remonter » nos montres.
Enfin… avant les mécanismes électriques.
Les débuts de l’entreprise
En 1818, il existait deux petits fabricants de ressorts d’horlogerie à Paris, et trois à Besançon. En Suisse, une multitude de petites usines au pied des montagnes, profitant d’une main-d’œuvre à bas coût, dominait le marché, avec des productions artisanales.
Cette année-là, les deux frères Louis-François, et Abram-Henri Montandon-Blaiselion, originaires de la Brévine, canton de Neuchâtel, créent l’atelier Montandon Frères, au 8 de la rue François Miron dans le 8ème arrondissement de Paris.
De 1818 à 1844 l’atelier se développe avec une fabrication essentiellement manuelle.

Durant l’année 1844, l’atelier convertit 90 000 kilos d’acier styrien et 2 000 kilos d’acier fondu en 4 0000 ressorts de pendules, et 6 000 douzaines de ressorts de montre. Les frères Montandon reçoivent la médaille d’argent à l’Exposition de Paris.
Mais la main-d’œuvre parisienne est trop chère pour concurrencer les ateliers suisses. Les Montandon décident donc, à la fois de se délocaliser à Rambouillet où les salaires sont plus faibles, mais aussi de mécaniser au maximum leur production.
Quand Rambouillet avait du ressort !…
Les frères Montandon réalisent leur projet en 1847, en venant s’installer au 8 rue du Hasard à Rambouillet ( l’actuelle rue Maurice Dechy).
Deux ans après, ils y produisent 70 000 ressorts de pendule et 20 000 douzaines de ressorts de montre, et en 1866, 800 000 ressorts de pendule et 180 000 douzaines de ressorts de montre.
La distribution de leurs produits est maintenant assurée à partir de Rambouillet, mais aussi de leurs bureaux de Londres et de New York, et ils sont devenus en quelques années le plus gros producteur de ressorts horlogers du monde.
L’entreprise doit cette progression à diverses inventions techniques qui leur permettent de fabriquer grâce à des outils de leur conception, et notamment, « une machine propre à donner aux ressorts et à toutes espèces de bandes d’acier, le recuit, ou revenu, ou bleuissage, d’une façon toujours régulière et à les enrouler d’une manière entièrement automatique au fur et à mesure que ce recuit s’opère. » (le Génie Industriel, revue des inventions françaises et étrangères, tome 33)

Leur consommation d’acier passe de 25 000kg en 1862 à 58 000kg en 1866 (dont 22 000kg importés d’Angleterre). Rappelons qu’un ressort ne pèse que quelques grammes ! Les 3/4 de leur production sont exportés vers l’Angleterre, l’Amérique et l’Allemagne, et 1/4 est vendu sur les marchés français, espagnol, italien et hollandais. Bien peu d’entreprises françaises ont une telle réussite à l’exportation.
Le développement de l’entreprise est tel, que dès 1863, l’usine de la rue du Hasard s’avère trop petite. Tandis que Louis-François conserve sa maison d’habitation rue du Hasard, les frères Montandon achètent donc un terrain boulevard Voirin, dans le quartier de la Pierrefite (actuellement 49-55 Bd du Général Leclerc).

Une nouvelle usine y est construite en dix-huit mois. C’est un grand rectangle de 20 m par 100 m, soit 2000 m2 de superficie, sur un terrain de 3 ha.
La force motrice est fournie par une machine à vapeur, système à détente variable et à condensation de 30 chevaux. Cette puissance motrice alimente 75 machines-outils et appareils destinés à la fabrication des ressorts, dont beaucoup ont été créés ou adaptés spécialement pour l’usine.
En 1867, il faut 45 opérations différentes pour réaliser un ressort de pendule d’un diamètre de 8 cm dont le prix de vente moyen est de 0,30Fr et 60 opérations pour un ressort de montre qui ne se vend que 0,20Fr. On mesure bien l’intérêt qu’il y a à mécaniser au maximum cette production.
Pour résumer les étapes de la fabrication, des barres d’acier sont laminées à chaud puis à froid jusqu’à en faire des bandes de 40 ou 50 mètres, d’une épaisseur du 1/20ème ou 1/30ème de millimètre.
Le trempage dans un bain de colza et de suif leur confère leur solidité par un changement brutal de température.
Il reste encore à les calibrer en longueur et largeur (il y a plus de 3000 tailles différentes au catalogue !), puis chaque pièce est montée en spirale autour d’une estrapade et après avoir été testé le ressort est prêt à être vendu.
Il y a ainsi, une succession d’opérations mécanisées et manuelles, dont certaines nécessitent un personnel qualifié. Les frères Montandon accomplissent eux-mêmes certaines des tâches les plus délicates.
En 1867, l’usine emploie 130 personnes, hommes, femmes et enfants, souvent d’une même famille. C’est le plus gros employeur de Rambouillet.
Un ouvrier gagne de 3,50Fr à 4Fr par jour, et quelques-uns jusqu’à 5,25Fr. Une femme gagne en moyenne 2Fr. Les apprentis sont payés dès leur entrée dans l’usine.
La durée du travail, initialement de 15h par jour, est ramenée à 12h, 6 jours sur 7. Dans une France où l’espérance de vie est de 41 ans en 1850, la question de la retraite ne soulève pas de grands débats, cependant l’entreprise Montandon met en place un système innovant.
En effet, selon les usages de l’époque, des amendes sont collectées sur les ouvriers en cas de non respect d’un règlement, retard, travail de mauvaise qualité… Mais ici, elles sont versées sur un fonds de soutien, abondé par les dons des dirigeants. Le capital ainsi constitué sert à donner aux ouvriers les plus méritants des livrets de Caisse d’Epargne.
Par ailleurs, tous les ouvriers sont inscrits à la Caisse de Secours Mutuel de Rambouillet, dont Louis Montandon est vice-président. Ils sont incités à suivre des cours du soir, et à faire partie de l’orphéon. La place est bonne : en 1867 de nombreux ouvriers ont plus de vingt ans d’ancienneté.
En récompense de leur réussite économique, et d’une politique sociale en avance pour son époque, les deux frères ont été faits chevaliers de la Légion d’Honneur.
La fin de l’usine

Louis-François décède le 2 janvier 1875. Il a 73 ans, mais il est resté jusqu’au bout impliqué dans la marche de l’entreprise. Il est enterré avec son fils (décédé en 1864), et son épouse (1886) au cimetière de Rambouillet.
Son frère Abram-Henri a alors 71 ans. Il a confié la gestion de l’entreprise à son fils Alfred, et il est retourné vivre à Paris. Il y décède en 1887, âgé de 83 ans.
L’entreprise doit se battre contre une concurrence étrangère de plus en plus forte. L’écart de salaires entre Paris et Rambouillet, et sa mécanisation avaient avantagé l’entreprise à l’origine. Quarante ans après, les salaires de Rambouillet sont nettement plus élevés que ceux de pays émergents, et des usines plus récentes ont des machines plus performantes. La concurrence est trop rude.
Après plusieurs années difficiles, l’entreprise est mise en faillite le 1er février 1905.
Comme on l’imagine, l’émotion est grande à Rambouillet, tant en raison de la personnalité d’Alfred Montandon (il a été adjoint au maire durant plusieurs mandats) et de la renommée de l’entreprise, que de la détresse des salariés privés d’emploi.
Un bal est organisé, dans une salle prêtée gratuitement par la mairie pour compléter un peu les faibles subsides de la Caisse de Secours Mutuel de Rambouillet.
Un concordat est finalement accepté par les créanciers et l’entreprise aurait ainsi pu reprendre son activité, mais Alfred Montandon réalise qu’il ne pourra pas redresser l’entreprise, et respecter le plan d’apurement du passif qui a été négocié avec les fournisseurs. Il se résout donc à chercher un repreneur. Le 1er mai 1905 le fonds de commerce des Ressorts Montandon est cédé à un industriel parisien, Charles-Auguste Bertin.
Confronté aux mêmes problèmes de coûts que son prédécesseur, Bertin transfère l’activité à Paris où il dispose déjà d’une entreprise. Le personnel n’est pas repris : il faudra encore un siècle pour que la reprise des contrats de travail soit obligatoire en cas de vente.
Les locaux de Rambouillet restent vides. Ils seront repris quinze ans après par « les Verreries d’Arleux et Rambouillet » : une autre aventure économique commencera alors. Je l’ai racontée ici.

Le 28 février 1919, c’est par une annonce nécrologique publiée dans « la Presse Rambolitaine » que les Rambolitains apprendront le décès d’Alfred Montandon. En fait ce décès remonte au 18 septembre 1918, quelques jours après un bombardement de la capitale, mais c’était la guerre, et personne n’avait cru bon d’en informer la ville dans laquelle Montandon n’avait pas conservé d’attaches.
2025 : « les ressorts de montre Montandon, qu’est-ce que c’est ? »
2035 : « des ressorts de montre, qu’est ce que c’est ? »
2055 : « une montre, qu’est-ce que c’est ? »
Christian Rouet
décembre 2025
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Que voilà un texte qui est bien du ressort de son auteur !
(Je ressors)
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