Les derniers des Penthièvre
Le nom du comte de Toulouse nous est familier : fils de Louis XIV et de madame de Montespan, il a acquis de Fleuriau d’Armenonville en 1704 le château de Rambouillet.
Nous connaissons de même son fils, le duc de Penthièvre, qui a hérité du domaine à la mort de son père, en 1737, et a dû le céder à Louis XVI en 1783.
Dans la génération suivante, nous connaissons peu son fils, le prince de Lamballe, mais un peu mieux son épouse Marie-Thérèse-Louise de Savoie-Carignan. C’est pour elle que le duc de Penthièvre a fait construire l’étonnante chaumière aux coquillages dans le jardin anglais. Sa fin particulièrement tragique a fait d’elle une martyre de la Révolution.
C’est au prince et à la princesse de Lamballe que nous nous intéressons aujourd’hui.
La famille du duc de Penthièvre
Quand son père, le comte de Toulouse, décède, Louis-Jean-Marie de Bourbon a 12 ans. Il est duc de Penthièvre. C’est l’un des hommes les plus riches d’Europe.
Le Penthièvre (Pentevr en breton) est un pays traditionnel de la Bretagne, situé à l’Est et au Sud de Saint-Brieuc, dans l’Est des Côtes-d’Armor actuelles. Il avait joué un rôle important dans la lutte entre l’Angleterre et la France, et avait été élevé au rang de comté en 1035, puis de duché-pairie en 1569. En 1697 Louis XIV avait réquisitionné le titre -et la fortune considérable qui y était attachée- pour son fils naturel, le comte de Toulouse. C’est ainsi que Louis-Jean-Marie de Bourbon avait hérité du titre de duc de Penthièvre, et que son fils sera prince de Lamballe (la capitale du duché de Penthièvre).
Le duc de Penthièvre épouse le 29 décembre 1744 Marie-Thérèse-Félicité d’Este, princesse de Modène. A cette époque de tels mariages étaient organisés uniquement en tenant compte de l’intérêt des familles, mais cela n’empêche pas celui-ci de se transformer très vite en mariage d’inclination.
Les deux époux sont proches parents, car le père du duc est le frère de la grand-mère de la duchesse (vous suivez ?). Une telle consanguinité n’a rien de rare à cette époque. Cependant, elle explique sans doute pourquoi cinq des sept enfants qu’ils ont durant leurs dix années de mariage, sont morts dans leur première enfance.
En 1754, Marie-Thérèse meurt en couche à la naissance de son septième enfant qui ne lui survit pas.
Ne restent que Louis-Alexandre (le second enfant) et Marie-Adélaïde (la sixième).
Nous ne parlerons pas ici de Marie-Adélaïde de Bourbon, dite « Mademoiselle de Penthièvre ». Elle épousera en 1769, à seize ans, Louis-Philippe d’Orléans, futur « Philippe-Egalité ». Ensemble ils auront 6 enfants, mais leur union ne sera pas heureuse. Après avoir, l’un comme l’autre, multiplié les adultères durant 20 ans, ils se sépareront en 1790. Emprisonnée sous la Révolution, Marie-Adélaïde sera ensuite exilée en Espagne, et reviendra en France après l’Empire. Décédée en 1821, elle ne verra pas son fils aîné monter sur le trône en 1830, et régner sous le nom de Louis-Philippe, premier « roi des Français ».
Louis-Alexandre-Joseph-Stanislas de Bourbon
Il reçoit à sa naissance le titre de prince de Lamballe (capitale du duché de Penthièvre). Il a sept ans au décès de sa mère. Son père, très affecté par cette mort ne se remarie pas, et se retire de la cour, alternant les séjours dans ses différents domaines, dont celui de Rambouillet.
Tous les chroniqueurs font l’éloge de la vie pieuse et méritante du duc de Penthièvre, citant notamment la charité qu’il exerce au profit des pauvres… On raconte ainsi qu’un soir le roi Louis XV et ses amis, arrivés trop tard à Saint-Hubert pour y dîner, viennent lui demander l’hospitalité. Ils le trouvent occupé à préparer en personne une soupe pour les indigents de Rambouillet et ce soir là c’est le roi et ses amis qui la mangent à leur place !
Mais si une telle conduite fait l’admiration de ses contemporains, elle n’est pas de nature à satisfaire un jeune homme qui attend bien d’autres plaisirs de la vie. Louis-Alexandre reçoit une éducation à la fois trop sévère et trop confiante. On raconte que, s’étant aperçu qu’un domestique était chargé de le suivre pour rendre compte de sa conduite à son père, il l’avait soudoyé pour qu’il le prétende à l’église, ou visitant des pauvres pour faire discrètement acte de charité, tandis qu’il courait les lieux de débauche.
En 1767, le duc de Penthièvre a perdu toutes illusions quant à la conduite de son fils. Accablé par un nouveau drame familial (le décès de sa mère, la comtesse de Toulouse), il choisit de le marier, espérant lui faire abandonner ainsi sa vie de débauche. Louis-Alexandre a vingt ans et il épouse Marie-Louise-Thérèse de Savoie-Carignan, issue d’une branche cadette de la maison de Savoie, qui en a dix-huit.
L’union
Leur mariage est célébré par procuration à Turin le 17 janvier 1767, et ratifié à Nangis-en-Brie le 31 janvier. Le jeune couple s’installe à l’hôtel de Toulouse, tandis que le duc de Penthièvre se retire dans son château de Louveciennes. Le jeune marié semble sincèrement épris de sa belle et pure épouse, et, comme l’espérait son père, il abandonne sa vie de débauche… durant quelques semaines ! Il la reprend très vite avec encore plus d’excès et sans même chercher à s’en cacher de son épouse.
« Il portait sa luxure comme un panache de bon ton. Il avait la vanité que l’on parlât de ses maîtresses. Il les choisissait, d’ordinaire, plus expertes que belles, cherchant, dans les piments du vice, une ivresse qui le fuyait » ( Raoul Arnaud « La princesse de Lamballe »).
Dépensant sans compter, il simule un jour le vol des bijoux de son épouse, pour les offrir à une prostituée. Inquiète des conséquences d’un tel geste, celle-ci vient les rendre au duc de Penthièvre qui lui en offre la valeur, pour qu’elle quitte la France.
En avril 1768, Louis-Alexandre fait une grave chute de cheval, et atteint d’une syphilis dont il a cherché à se faire soigner en cachette par des charlatans, il est retrouvé à l’article de la mort dans un hôtel borgne, où il s’est réfugié, n’osant revenir dans cet état auprès de son épouse. Ramené au château de Louveciennes, il y meurt quelques jours plus tard le 6 mai 1768.
Le 9 mai, un cortège funéraire « composé de cent pauvres et d’une vingtaine de valets de pieds » ramène son corps à Rambouillet, pour y être enterré dans le caveau familial de l’église.
Très affecté par ce nouveau décès, le duc de Penthièvre demande au roi de lui racheter Louveciennes, où il ne veut plus revenir (en juillet 1769, le roi en fera don à sa favorite, la comtesse du Barry).
La princesse de Lamballe est veuve à 19 ans d’un époux qu’elle a sincèrement aimé malgré sa débauche. Son mariage n’a duré qu’un an. Elle part cacher sa douleur à l’Abbaye de Saint-Antoine-des-Champs.
Le deuil
« Douloureusement meurtrie, mais à un âge où larmes se tarissent vite, la princesse s’était réfugiée dans un couvent, plus par bienséance que par conviction .»( Raoul Arnaud).
Quand le duc de Penthièvre, qui souhaite se retirer à Rambouillet avec sa fille Marie-Adélaïde, lui propose de venir partager son deuil, elle accepte volontiers de les rejoindre.
Le parc s’agrémente de nouveaux canaux et de nouvelles îles qui accueillent de nombreuses fêtes, mais aussi d’un jardin à l’anglaise où le duc fait bâtir diverses fabriques.
En 1779 il fait construire pour sa belle-fille une chaumière en moellons de meulière et au toit de chaume. Une construction dont l’extérieur modeste cache une décoration d’un luxe inouï. Des millions de coquillages du monde entier recouvrent murs et plafonds, dessinant colonnes, guirlandes et médaillons. Un mobilier conçu spécialement pour la chaumière complète ce décor de rêve.
Madame de Lamballe, surnommée « l’ange de Penthièvre » ne quitte pas son beau-père. Tous deux ne se rendent à Versailles que lorsque la présence du duc y est absolument nécessaire. Présentée au roi Louis XV, Marie-Thérèse le séduit par sa beauté et sa jeunesse, et il semble même que le roi songe à l’épouser, lorsque la reine décède en 1768. Cependant madame de Lamballe ne l’encourage pas et le roi, renonçant à se remarier, se console dans les bras de Jeanne du Barry.
Le 16 mai 1770 le dauphin Louis-Auguste épouse l’archiduchesse Marie-Antoinette d’Autriche. Celle-ci rencontre à cette occasion la princesse de Lamballe.
L’amitié d’une reine
La dauphine a 15 ans, et la jeune veuve en a 21. Elles sympathisent et entre 1770 et 1774, la princesse de Lamballe alterne des séjours entre Rambouillet et Versailles.
A la mort du roi, le 10 mai 1774, le dauphin Louis monte sur le trône, et Marie-Antoinette devient reine de France.
Parmi toutes les courtisanes qui intriguent pour obtenir les faveurs du roi, la reine apprécie de plus en plus la compagnie de Marie-Thérèse, qui n’a aucune ambition, et dont l’amitié lui semble sincère. « Elle est belle et charmante. C’est un modèle de toutes les vertus, surtout de la piété filiale envers le père de son malheureux mari, et d’affection dévouée envers la Reine » dit d’elle, la baronne d’Oberkirch, résumant l’opinion de tous.
En 1775 la reine lui octroie le titre de « surintendante de la Maison de la Reine ». Elle a donc pour charge d’organiser les plaisirs de celle-ci. Mais Marie-Antoinette ne lui trouve pas assez d’imagination pour la divertir, et se détache d’elle.
La princesse de Lamballe peut alors se consacrer à d’autres activités : la Grande Loge Maçonnique Ecossaise dont elle devient grande-maîtresse, certains travaux de l’Encyclopédie, des mouvements consacrés à l’amitié féminine, qui lui valent une réputation saphique sans doute infondée.
En 1783 Louis XVI rachète Rambouillet au duc de Penthièvre, et celui-ci emporte avec lui les cercueils des neuf membres de sa famille, qu’il a vu disparaître : ses parents, son épouse et ses 6 enfants (dont celui du prince de Lamballe).
Ni le duc, ni sa belle-fille ne reviendront à Rambouillet.
La Révolution
En 1789, lorsqu’éclate la Révolution, Marie-Antoinette prend conscience que ses plaisirs dispendieux l’ont rendue impopulaire, et elle décide d’y renoncer. Elle se rapproche alors de son amie et, en octobre, lorsque la famille royale est emmenée aux Tuileries, la princesse de Lamballe demeure auprès de la reine.
En 1791, le roi décide de fuir. Marie-Thérèse gagne l’Angleterre, via Dieppe, tandis que la famille royale cherche à gagner l’Autriche. Leur fuite s’arrête à Varennes, et le roi est ramené aux Tuileries. La reine implore alors la princesse de Lamballe de rester en Angleterre, mais celle-ci, soit pour éviter que ses biens ne soient saisis, soit par amitié sincère pour Marie-Antoinette, revient la retrouver à Paris.
Le 10 août 1792 la foule envahit les Tuileries. Le roi est destitué. La famille royale est emprisonnée au Temple avec quelques membres de leur suite, dont la princesse de Lamballe.
Le 19 août, les conditions de détention sont aggravées et seul un valet est autorisé à rester auprès du roi. Les suivantes de la reine sont transférées à la Petite-Force (un hôtel particulier transformé en prison pour les « femmes de mauvaise vie » en 1780).
Le 3 septembre 1792 les 212 femmes emprisonnées à la Petite-Force sont libérées, à l’exception de la princesse de Lamballe, qui est traduite devant le tribunal populaire. Depuis la veille on y juge sans discontinuer, de façon expéditive : la mort ou la libération.
On juge Marie-Thérèse trop proche de la reine pour ne pas avoir cherché à l’influencer dans ses dépenses inconsidérées, voire dans sa tentative de fuite. Elle s’en défend, et le tribunal, qui n’a rien de concret à lui reprocher décide son élargissement. Le terme est (volontairement ?) ambigu : signifie-t-il la libération, ou la mort ? Les chroniqueurs n’ont pas de certitude. Quoi qu’il en soit, elle est alors jetée hors du greffe, sans aucune protection… La foule qui entoure le tribunal rend alors son propre verdict, en la mettant à mort de façon horrible.
Après des heures de supplice, elle a la tête tranchée et placée au bout d’une pique. Les révolutionnaires viennent la présenter sous la fenêtre de la reine, qui perd connaissance en reconnaissant son amie.
Son corps mutilé est probablement jeté dans une fosse commune du cimetière de l’hôpital des Enfants-Trouvés.
Le 4 mars 1793, terrassé par ce dernier décès, le duc de Penthièvre meurt en son château de Bizy. Il est enterré auprès des siens à Dreux, mais le 1er Frimaire an II les dix cercueils sont déterrés pour en récupérer plomb, cuivre et fer, et les corps jetés dans une fosse commune.
Post-Mortem
En 1934 l’Eglise, en considération de sa vie exemplaire, et de sa mort horrible, la déclare martyr et vénérable.
Un article de Wikipedia indique que la mort de la princesse de Lamballe a fait l’objet, dès l’époque révolutionnaire, d’une très abondante littérature, tant parmi les milieux révolutionnaires que royalistes et contre-révolutionnaires.
« Pour l’historien Antoine de Baecque, la description morbide de la mise à mort et des outrages qui sont fait à la princesse vise à « exprimer l’anéantissement du complot aristocratique ». De même, il considère qu’ils servaient alors à « punir la femme de cour, ainsi que le supposé complot féminin et lesbien – menaçant la prééminence masculine – de « la Sappho de Trianon », vilipendée par les chroniqueurs et les gazetiers sous l’Ancien Régime.
Les royalistes ont repris à leur compte ces récits « en retournant leur sens pour montrer la régression du révolutionnaire à l’état de barbare et la monstruosité de la Révolution, opposée à la délicatesse du corps de la victime » (Wikipedia).
Je note que les récits (notamment celui de M. de Lescure, 1864) donnent tous, sur la mort de la princesse de Lamballe, des détails d’une précision, et d’une horreur que j’ai évité de reprendre dans cet article !
Sans doute vaut-il mieux associer au souvenir de la princesse de Lamballe, la grâce du décor de la chaumière aux coquillages !
Christian Rouet
novembre 2024