Le Musée International d'art naïf de Vicq
Repris par la commune de Vicq, le MIDAN (Musée International D’Art Naïf) a rouvert ses portes en octobre 2023, après neuf années de fermeture.
Un musée qui espère couvrir ses charges de fonctionnement dans une commune d’environ 400 habitants ? Est-ce naïf de l’espérer, ou ce musée a-t-il des atouts sur lesquels compter ? En tous cas son histoire est intéressante, et l’endroit, restauré avec talent mérite bien une visite.
Voici quelques indications, d’abord sur Vicq, puis sur le couple Max Fourny-Françoise Adnet, créateurs de ce musée, et enfin sur l’art naïf.
Vicq
La commune de Vicq -dont le nom dérive du bas-latin vicus :petit village, bourg – est située au nord de l’arrondissement de Rambouillet, à quelques kilomètres à l’ouest de Neauphle-le-vieux.
Son habitat s’est réparti le long du Lieutel, un petit affluent de la Mauldre, formant le village de Vicq et, un peu à l’ouest, le hameau de Bardelle.
Au milieu des terrains agricoles, Vicq ressemble à une oasis, tout en longueur.
A côté de l’église, un petit cimetière en limite du village, et autour, un ensemble de très belles propriétés, dont beaucoup de bâtiments anciens, joliment restaurés, qui se font discrets à l’ombre de leurs grands arbres.
Si le nom de Vicq vous est familier, c’est sans doute parce qu’a été découverte ici, au XIXème siècle, la plus grande nécropole mérovingienne connue à ce jour : probablement plus de 5000 sépultures, sur plus de deux hectares.
Max Fourny
Né en 1904, Max Fourny se distingue tout d’abord comme pilote de course automobile. Dans les années 1920 il conduit des cycle-cars (ces voiturettes légères de moins de 350kg et de 1100 cm3 maximum), puis vers 1930, des Bugatti, et notamment en 1934 et 1935 une Bugatti T55 aux 24 Heures du Mans.
Il arrête les courses, en juin 1947, après sa participation au Grand prix d’Albi, sur une Deutsch-Bonnet-Citroën.
En 1909 Eugène Corbin avait créé la revue « Art et Industrie » pour faire la promotion des articles de décoration qu’il vendait dans ses « Magasins réunis ». Sa revue était vite devenue une référence en matière d’art décoratif, et avait notamment contribué au succès de l’Art nouveau de l’école de Nancy. Sa publication avait été arrêtée en 1914 à cause de la guerre.
En 1925, l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes se tient à Paris, et à cette occasion un éditeur relance la revue pour « promouvoir l’excellence française ».
Le 2 juin 1934, Max Fourny et trois associés rachètent le titre « Art et industrie » pour assurer la promotion de leur agence publicitaire, qui « étudie pour sa clientèle les questions de lancement et de publicité en général (…) présente d’excellentes maquettes de catalogues, de dépliants (…) et offre les meilleurs prix d’édition ». Mais l’agence est mise en faillite en août 1937.
En novembre 1945 Max Fourny décide de relancer la revue « Art et Industrie ». Il en est le directeur, et son ami Georges Waldemar, le rédacteur en chef. La revue, bimensuelle, est de grande qualité, avec des rédacteurs et des illustrateurs de talent, comme Jean Cocteau, Henry Clouzeau, Paul Valéry…
En janvier 1953 Waldemar est victime d’un grave accident de voiture, et au milieu de l’année 1955 la revue, dont la parution a toujours été irrégulière, est définitivement arrêtée.
L’année suivante, Fourny et Waldemar fondent une nouvelle revue « Prisme des arts » et de 1961 à 1975 Max Fourny publie en outre un « Annuaire de l’art international ».
Les voyages et les rencontres qu’il fait dans le cadre de cette publication lui font découvrir l’art naïf, auquel il consacre plusieurs livres, à partir de 1970, jusqu’à son « Atlas mondial de la peinture naïve » qui parait en 1990, un an avant sa mort.
Durant ces vingt ans il constitue une collection de plus de 1500 oeuvres d’art naïf.
Françoise Adnet
Son père est Jacques Adnet, un architecte, décorateur et designer célèbre, qui a dirigé la Compagnie des Arts français, et le Salon des Artistes décorateurs.
Pianiste de grand talent, elle donne son premier récital à Berlin, à l’âge de 12 ans, et se produit sur les scènes internationales jusqu’à son mariage avec Max Fourny, en 1951.
Elle abandonne alors sa carrière musicale pour se consacrer au dessin et à la peinture, une passion qu’elle a toujours eue.
Son style est bien éloigné de l’art naïf ! On l’a rapprochée de Bernard Buffet à propos de qui on parle d’art miserabiliste parce que ses sujets cernés de noir « traduisent une désolation décharnée et un goût du malheur fortement prononcé ».
Personnellement je ne ressens pas chez elle une telle désolation : plutôt de la mélancolie et dans ses paysages un sentiment de solitude. Une forme de réalisme figuratif, mais souvent interprété de manière subjective et poétique.
Elle réalise des décors, de nombreuses couvertures de roman (Troyat, Sagan, Gide, Bazin) et des peintures qui sont exposées dans de nombreux musées et galeries.
L’art naïf
C’est un art bien difficile à définir, tant il recouvre de réalités différentes. Ce style artistique se caractérise par une simplicité apparente, des formes souvent dépouillées et des couleurs vives.
Peut-on dire que les peintres naïfs sont restés de grands enfants qui continuent à peindre comme ils l’ont toujours fait, n’ayant pas reçu d’éducation artistique formative, ou ayant choisi de ne pas s’y conformer ?
Ce sont le plus souvent des artistes autodidactes et l’absence de règles de technique classique, et notamment de perspective donne à leurs œuvres une spontanéité, une fraîcheur et une innocence particulières.
Les sujets traités sont souvent des scènes de la vie quotidienne, des paysages ou des représentations fantaisistes, avec un rendu qui exprime une vision personnelle et authentique du monde.
A Paris, quand Henri Rousseau (dit « le douanier ») présente ses premières oeuvres au Salon de 1885, les critiques se déchainent contre « l’oeuvre d’un enfant de dix ans qui a voulu dessiner des bonhommes ». Cependant de nombreux artistes prennent sa défense, et en 1928, la première exposition majeure dédiée à l’art naïf a lieu à Paris, organisée par Wilhelm Uhde, critique d’art et marchand influent. Cette exposition, intitulée « Les peintres du Cœur sacré », présente les œuvres de Rousseau, mais aussi d’autres artistes comme Louis Vivin, Camille Bombois, Séraphine de Senlis et André Bauchant. Elle contribue grandement à la légitimation de l’art naïf en France, mais la guerre interrompt cette reconnaissance.
En 1947 le Palais de Tokyo, à Paris, aménage une salle consacrée aux peintres naïfs, et en 1967, un musée d’art naïf ouvre à Laval, ville natale du douanier Rousseau. L’art naïf est à la mode, et Max Fourny en devient l’un des collectionneurs reconnus.
Le musée de Vicq
En 1973, pour exposer une partie de sa collection, et pour légitimer les publications qu’il a entreprises sur l’art naïf, Max Fourny transforme une partie de la résidence secondaire que le couple possède à Vicq, en musée. Il s’agit d’un des anciens bâtiments de ferme attenant au moulin de Vicq, qui date probablement du début du XVIIIème siècle.
On peut imaginer que le choix de Vicq n’est, dans l’esprit du collectionneur, qu’un pis-aller, en attendant l’obtention d’un espace parisien.
En 1982 s’ouvre à Nice le musée international d’art naïf Anatole-Jakovsky, qui contribue à la reconnaissance de l’art naïf, et son succès aide Fourny à obtenir en 1986 l’ouverture d’un espace « Musée d’art naïf Max Fourny » pour abriter une partie de sa collection à la Halle Saint-Pierre, à Paris (18ème).
En 1991, Max Fourny décède, et en 1997 son épouse fait don de la maison de Vicq à la commune. La collection Fourny est répartie entre les musées de Vicq et de Paris.
La gestion du musée de Vicq est confiée par la commune à une association, mais celle-ci ne parvient pas à le rentabiliser, et en 2014, année du décès de Françoise Adnet, le musée de Vicq ferme ses portes.
Neuf années sont nécessaires pour le rénover, et mettre les bâtiments en conformité.
Il rouvre en octobre 2023, exploité de façon directe par la commune.
Les bâtiments sont superbes ! De grandes baies vitrées donnent à la fois sur une cour intérieure, qui a l’équilibre harmonieux d’un cloître, et sur le verger qui touche le musée.
Les grandes pièces intérieures, en rez-de-chaussée, sont lumineuses. Les pierres anciennes sont mises en valeur par des murs blancs et des sols clairs.
C’est vraiment un cadre superbe que je vous invite vivement à visiter.
Des raisons d’être optimiste ?
Je me demandais en introduction s’il n’est pas naïf de parier sur la réussite d’un tel musée… à Vicq.
La véritable réussite de cette rénovation ne répond pas pleinement à mes doutes :
– d’une part, faire venir le public dans une petite commune n’est jamais chose aisée. A fortiori quand son emplacement résulte, comme ici, d’un simple concours de circonstances, sans lien solide avec son terroir. Le leg par un artiste de ses oeuvres à sa commune est un cadeau empoisonné qui ne peut s’accepter qu’assorti d’un don immobilier qui pourra toujours être reconverti.
A Rambouillet, par exemple, le musée consacré à la très belle collection de jeux de l’oie offerte à la ville par le collectionneur Pierre-Dietsch a dû fermer, et la ville, bénéficiaire des oeuvres du peintre Gustave Hervigo, ne les exploite pratiquement pas.
-d’autre part, l’art naïf est très particulier ! Sans dire qu’il est passé de mode, j’ose écrire qu’il n’a pas, actuellement, la côte qui a été espérée à plusieurs époques, et il est difficile de prévoir s’il pourra bénéficier un jour d’un véritable retour en grâce.
Il est aujourd’hui concurrencé par des tendances artistiques variées, qui explorent de nouvelles idées, de nouvelles technologies et des formes d’expression plus complexes. On peut citer ainsi l’art conceptuel, qui privilégie l’intellectualisation de l’œuvre plutôt que son exécution; le street-art, avec ses messages percutants et son accessibilité au grand public; l’art brut, plus instinctif que l’art naïf et souvent excentrique ou obsessionnel; et tant de formes d’art contemporain, abstrait, surréaliste, qui explorent toutes les possibilités techniques et imaginatives de l’art.
Mais peut-être la qualité de la collection Fourny suffira-t-elle à déplacer assez d’amateurs éclairés… et de curieux, pour me donner tort. C’est naturellement le voeu que je forme, en vous invitant à venir vous rendre compte par vous-mêmes du charme réel de cet endroit.
Et en tous cas, le musée a compris la nécessité de présenter une offre complète et attrayante. Outre ses expositions il offre donc aux visiteurs sa bibliothèque, des visites guidées, des ateliers artistiques, des balades paysagères : une animation complète, telle qu’on l’attend aujourd’hui d’un musée.
Christian Rouet
septembre 2024
PS : l’exposition « Bêtes et naïfs, le lien de l’homme à l’animal dans l’art naïf » se termine le 8 octobre 2024.
Elle sera suivie par l’exposition « Naïfs des villes et des champs ».