Le ginkgo
Au printemps les glycines illuminent nos rues. En octobre, les arbres de Groussay, à la sortie de la ville, sont les premiers à rougir, quand la forêt n’a pas encore pris ses belles teintes d’automne.
Mais les plus beaux arbres de Rambouillet sont pour moi les ginkgos.
Je n’ai malheureusement aucune connaissance en botanique, mais je voudrais essayer de partager ici mon enthousiasme pour ces arbres, hélas trop rares dans notre région.
Combien sont-ils ?
Sans compter celui de la résidence du Grand Veneur, qui n’est pas visible de la rue, il me semble qu’il n’y en a que 4 en ville, dont deux dans l’espace public (rue Pasteur, rue du Gal Humbert, impasse du Dr Bergonnier et jardin de Mme Duchet). N’hésitez pas à en signaler d’autres.
L’arbre aux quarante écus
C’est le surnom donné en France au ginkgo.
Pour certains c’est en raison de la couleur or que prennent ses feuilles en automne, et qui viennent tapisser le sol quand elles se mettent à tomber.
Mais l’explication la plus sérieuse est liée à son introduction en France.
C’est en 1780 qu’un amateur parisien, nommé Pétigny, aurait fait un voyage à Londres et y aurait découvert cet arbre dont un pépiniériste prétendait avoir reçu les graines du Japon, et être le seul à en posséder 5 exemplaires.
L’Anglais refusait de les vendre, mais après un bon repas, très arrosé, Pétigny serait parvenu à le décider à les lui céder pour le prix considérable de 25 guinées, soit 40 écus pièce.
Le prix frappa l’imagination et le ginkgo y gagna son surnom.
On l’appelle aussi « l’arbre aux abricots d’argent » en traduction approximative de son nom chinois.
Il est dit ginkgo biloba, parce que ses feuilles, dont la forme est unique parmi les arbres, sont composés de deux lobes en forme de palmes. Elles ne présentant pas de nervure centrale comme en ont la quasi-totalité des plantes modernes.
Un survivant de la préhistoire
Notre Ginkgo est un fossile vivant. C’est le seul survivant d’une famille d’arbres apparus sur terre il y a plus de 270 millions d’années, qui ont prospéré dans le monde entier jusqu’au Jurassique, mais qui n’ont pas résisté aux glaciations quaternaires. Seul de son groupe, le Ginkgo biloba a pu survivre au Sud de la Chine, dans quelques rares refuges au climat plus doux.
Il n’existe plus de ginkgo à l’état sauvage. Ces derniers milliers d’années, le ginkgo a été cultivé pour son intérêt ornemental. Le Japon, puis la Corée l’ont importé au XIIème siècle, avant que l’Europe ne le découvre au XVIIIème siècle en l’important aux Pays-Bas, en Angleterre puis en France (voir ci-dessus).
Une reproduction particulière
La reproduction des arbres à fleurs comme le chêne (Quercus) et le hêtre (Fagus) repose sur la pollinisation et la formation de graines. Ces arbres appartiennent à la famille des angiospermes, un groupe de plantes à fleurs dont les graines sont protégées dans un fruit. Chez le chêne, par exemple, les fleurs mâles produisent du pollen transporté par le vent jusqu’aux fleurs femelles, qui se transforment en glands une fois fécondées. Le hêtre suit un processus similaire, produisant des faînes, dispersées ensuite par gravité ou transportées par des animaux.
Le ginkgo biloba, quant à lui, appartient aux gymnospermes, un groupe de plantes correspondant à une évolution bien plus ancienne. Contrairement aux angiospermes, ses graines sont exposées et non protégées dans un fruit. Le ginkgo est dioïque: les arbres mâles produisent du pollen, dispersé par le vent jusqu’aux ovules des arbres femelles. Une fois fécondées, les ovules se développent en graines charnues qui tombent au sol, dégageant une odeur forte pour attirer des dispersants. Ce mode de reproduction rappelle celui des conifères et offre un aperçu des premières stratégies reproductrices des plantes ligneuses.
Sa reproduction est restée longtemps un mystère car tous les arbres importés en Europe étaient des mâles qui ne pouvaient donc pas se reproduire. Cependant, en 1835, les premières fécondations, purent avoir lieu dans les jardins botaniques de Genève et de Montpellier, grâce à l’importation d’un arbre femelle. Les ginkgos femelles ne sont pas utilisés en ornementation en raison de l’odeur forte et désagréable de leurs ovules.
Un arbre à légendes
Dans le bouddhisme, le ginkgo est vénéré comme un arbre sacré, souvent associé à Bouddha lui-même.
Ses feuilles en forme de cœur bilobé sont vues comme un symbole d’harmonie entre les contraires, en écho au concept du yin et du yang.
Une légende chinoise raconte qu’il y a environ 2 000 ans, un empereur a entouré de ginkgos son palais pour garantir la prospérité et la paix à son règne et à sa descendance. Cependant l’histoire ne dit pas si cette mesure fut efficace !
On dit aussi que les ginkgos étaient plantés autour des temples pour les protéger contre les incendies, car ces arbres ont une résistance naturelle au feu, ce qui leur confère une aura de survie et de protection.
Cette symbolique de résilience a été renforcée plus récemment : le 6 août 1945, un ginkgo, situé à 1km du point d’explosion de la bombe atomique a été le seul arbre à survivre à Hiroshima. Il est toujours vivant aujourd’hui, orné d’une plaque qui raconte son histoire et en fait un lieu de mémoire.
Accessoirement, son fruit (il s’agit en fait de la partie centrale de l’ovule du ginkgo femelle) a été beaucoup utilisé dans la médecine traditionnelle chinoise, avec des applications aussi variées que des troubles pulmonaires, l’incontinence urinaire, ou l’impuissance sexuelle…
Aujourd’hui ce sont les feuilles qui font l’objet d’études pharmaceutiques, avec des résultats dans le traitement des maladies artérielles et des syndromes cérébraux des personnes âgées.
Mais vous l’avez compris, ce qui m’attire personnellement dans le ginkgo, c’est la splendeur de son feuillage.
Il semble que cet arbre pousse bien dans notre région. Il n’a pas besoin d’un sol particulièrement riche; il n’est pas affecté par la pollution; on ne lui connaît ni maladies, ni prédateurs. Sa croissance est lente. L’arbre adulte peut atteindre une hauteur de 20 à 30 mètres (voire 40m en Chine), et s’étaler sur 8 à 10m.
Sauf erreur, la ville n’en a planté qu’un, au rond-point de l’impasse du docteur Bergonnier (qui donne dans la rue Maurice Dechy, tout près de chez moi). Ne risque-t-il pas un jour d’être trop important pour son emplacement ?
Nous n’en sommes pas là, et l’espérance de vie du ginkgo étant de plusieurs milliers d’années, le quartier disparaîtra sans doute bien avant lui ! …
Pas loin de celui-ci, dans le jardin de madame Duchet (jardin public qui communique avec la rue Lachaux) il y en a également un, plus jeune, dont les feuilles prennent leur couleur or un peu plus tard, sans doute parce qu’il a moins de lumière ? ). J’espère que nous en planterons beaucoup d’autres…
« La feuille de cet arbre, qui, de l’Orient,
Est venue se confier à mon jardin,
Nous invite à savourer un sens secret
Qui charme l’initié… »
—Johann Wolfgang von Goethe
(Le Divan oriental-occidental, ginkgo biloba)
Christian Rouet
novembre 2024
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Merci pour cette innovation, l’approche botanique de Rambouillet est aussi intéressante que celle usuelle sur le patrimoine bâti. Bravo !