Le loup

Souvenez-vous ! Le 11 novembre 2021 un chasseur a vu, et photographié un loup dans les Yvelines. Quelques jours après, sur FaceBook, un habitant de la région de Montfort l’Amaury a signalé qu’une de ses chèvres et une brebis ont « peut-être été tuées par un loup ». L’Office Français de la Biodiversité  a jugé la chose possible, et l’Observatoire du loup, un collectif qui rassemble des spécialistes de la faune et de la flore, nous a expliqué très sérieusement que « pour éviter que les animaux domestiques se fassent tuer si un loup se trouve dans les environs, il faut juste les rentrer » ( Jean-Luc Valérie, France-Bleue 27 nov 2021).

Et puis, après quelques titres anxiogènes : « La présence d’un loup confirmée dans les Yvelines », « La rumeur du retour du loup en forêt de Rambouillet relancée »,« Retour du loup en Ile-de-France : mais où est passé l’animal aperçu dans les Yvelines ? », « Le loup aux portes de Paris »… le loup a quitté la Une, et sans doute aussi le pays d’Yveline.

L’intérêt suscité par cette information rappelle cependant l’importance du loup dans notre culture, et dans notre imaginaire.

Un animal nuisible

Il y a des animaux « nuisibles » comme il y a de « mauvaises herbes » et, selon les époques, leur liste s’allonge ou se réduit.

Par exemple les tableaux publiés sous le Second Empire attestent la présence en Yveline des nuisibles suivants :

« loups (jeunes, vieux), louves, renards (jeunes, vieux), blaireaux, fouines, putois, chats, belettes, martres, hermines, hérissons, rats, loirs, chiens », suivent plusieurs espèces d’oiseaux, et des « vipères et couleuvres ».

Livre de chasse, Gaston Phoebus XIVème siècle

Le terme de nuisible est naturellement anthropocentriste. Pour le chasseur et l’agriculteur qui vivent de leur activité, il existe deux catégories de prédateurs : ceux qui dévorent le bétail ou le gibier, et le bétail ou le gibier qui dévore les récoltes.

« Le terme de nuisible se révèle être, non pas une incompréhension totale du socio-écosystème mais une compréhension partielle des relations du vivant. Si les paysans ou le chasseur éliminent les animaux des différents espaces, c’est pour protéger récoltes, gibier ou régénérations forestières. Le chasseur de loup est préoccupé par la conservation des cerfs ou des faisans et comprend qu’en supprimant les dits nuisibles il supprime les prédateurs et protège le gibier. » (Raphaël Devred « Le domaine de chasse de Rambouillet et le gouvernement de la nature : monarchie, empire, république (1783-1995) » ).

Le roi des nuisibles, le pire de tous les animaux, en pays d’Yveline, comme ailleurs en France, c’est le loup. La forêt lui offre un gibier abondant, et des abris sûrs. C’est un prédateur de gibier, capable à l’occasion de s’attaquer aux troupeaux, et c’est le seul animal qui présente un véritable danger pour l’homme. Ses attaques, plus souvent dirigées contre des femmes ou des enfants, sont beaucoup moins nombreuses qu’on ne le dit, mais elles sont bien réelles.

Il tient donc une part toute particulière dans notre culture, et on ne compte pas les récits, les fables, les romans, les contes, les oeuvres musicales qui mettent en scène un loup et expriment la fascination que nous avons toujours eue pour lui.

Notons que l’on chasse le loup pour le tuer, mais pour des raisons symboliques, religieuses ou magiques, en France on ne mange jamais aucun animal « nuisible ».

La chasse au loup

Le gibier qui pullule dans les forêts reste, sous l’Ancien Régime propriété exclusive du seigneur. Comme le fait remarquer Taine (Origine de la France contemporaine) « le seigneur garde pour lui la lande, la rivière, la forêt, toute la chasse. Le mal n’est pas grand puisque le pays est à demi-désert, et qu’il emploie tout son loisir à détruire les grandes bêtes fauves ».

Dans l’ouvrage que Jean de Chamorgan offre au roi Charles IX en 1566 (« La chasse du loup, nécessaire à la maison rustique ») « est contenue la nature des loups et la manière de les prendre tant par chiens, filets, pièges, qu’autres instruments. »

On comprend à le lire que le loup doit être anéanti et que, pour cela, tous les moyens sont bons. Ci-dessous : illustrations de l’ouvrage de Chamorgan.

A Rambouillet, dans le Petit Parc, on élève le gibier, et principalement les reproducteurs et leurs petits, à l’abri des loups, en multipliant pièges, panneaux (filets), trous, collets, assommoirs, fusils et même poison.

Tous les traités de vénerie présentent la chasse au loup comme l’une des plus belles et bonnes de toutes les chasses. Pour le chasser à courre, il faut des chevaux spécialement endurants car le loup, dès l’âge de deux ans est quasiment infatigable.

Pierre de Janti, dans son « Forêt, chasse et château de Rambouillet » s’intéresse essentiellement au cerf, mais cite toutefois de nombreuses chasses au loup. Ses récits montrent tous la résistance de ces bêtes, et les distances parcourues pour échapper aux chasseurs sont impressionnantes. En voici quelques exemples :

  • « De 1678 à 1683, les loups avaient sévi dans toute la région, et notamment à Saint-Hilarion ils avaient dévoré deux femmes et neuf enfants. Le 20 mai 1681 à Rambouillet, Mathieu Amory, 14 ans, est « dévoré par la bête dans les landes de la Villeneuve ». Le 21 février 1680, à Orcemont, on avait inhumé deux habitants tués par cette Grosse Bête –probablement un loup de grande taille- « qui avait dévoré près de soixante-dix personnes ».

Du 12 juillet 1684 au 16 janvier 1711, on enregistre 1 027 chasses au loup ! Le Grand Dauphin (fils de Louis XIV) affectionne tout particulièrement cette chasse. « Laissant de côté les lévriers et les panneaux, le Grand Dauphin chassait le loup franchement à courre » (Noirmont).
De son équipage on garde le souvenir du piqueur « la jeunesse » qui, à 90 ans, poursuite un loup de Versailles à Anet.

  • « Le 15 janvier 1807, par deux pouces de neige, on détourne trois loups aux Ventes d’Epernon, venant de la forêt de Saint-Léger. Quand on veut les lancer, on s’aperçoit qu’ils ont débuché à Vilpert, traversé la plaine de Vieille-Eglise et on les trouve au Chêne Quinquet où deux sont tués et le troisième est abandonné faisant tête vers le bois des Faures, près d’Ablis.
  • Le 10 mars 1807 on attaque un couple de loups dans le bois de Sonchamp qui prennent le débuché jusqu’au bois de Saint-Benoit. Le garde Huard tire le loup et lui casse une patte. Il traverse le Pavé de Rochefort, la Rémarde et il est finalement tué près du Plessis-Mornay.
  • Le 22 janvier 1810 on cerne trois loups dans le parc d’en Haut. Une louve passe la ligne, est tirée, boite et se relève sanglante. On la perd à la nuit. Le lendemain on la relance à Hollande et on l’abandonne à la nuit au Parc d’en Bas. Le surlendemain on l’attaque à nouveau, elle ne parait pas et on la trouve morte dans l’enceinte. »

Cinq loups ont été tués en 1821, onze en 1822, huit en 1823.

  • « Le 27 janvier 1825 le Conservateur Bourdon tue un loup et une louve au Bois de la Marche. Ces animaux avaient été détournés à Gazeran. Le loup fut suivi et tué à la Boissière, et la louve, blessée par le garde à cheval Dumont, fut détournée le lendemain dans les Rabières et tuée par l’élève-inspecteur Champeaux. »

Notre région garde de nombreuses traces de ces chasses, et notamment dans sa toponymie. On relève ainsi, autour de Rambouillet, la Roche-aux-loups, Pinceloup, la Fosse-du-loup-mort, le Bois-du-loup-pendu, Chanteloup, le Chêne-au-loup, le Clos-au-loup, la Vallée-aux-loups, la Mare-aux- loups, la Queue-du-Loup (dans le parc du château), le Carrefour-aux-loups, le Poteau-aux-loups, la Brèche-au-loup, le Fond-du-loup, la Fosse-aux-loups, le Trou-au-loup… Sans oublier la Louvière à Rambouillet.

Le dernier loup d’Yveline

C’est en 1869, près du poteau de Pecqueuse, en battue, que le dernier loup a été tué dans notre région.
Pierre de Janti apporte la précision suivante : « Officiellement ce fut le garde Farce qui le tua et qui toucha la prime, mais la vérité vraie c’est  que ce fut le garde champêtre de Poigny qui eut le coup de fusil heureux. L’inspecteur Fillon –dont un carrefour porte le nom– garda la peau de ce dernier loup. »

La nomination de la duchesse d’Uzés au titre de Lieutenant de Louveterie, en 1923, est donc purement honorifique. (Elle reste la seule femme a avoir obtenu ce titre : une façon pour la République de se réconcilier avec celle qui avait soutenu le général Boulanger.)

llustration de Jessie Willcox Smith, 1911.

Depuis, lorsque le Petit Chaperon Rouge apporte à sa mère-grand une galette bio et un petit pot de beurre allégé, elle peut donc tirer sur la chevillette pour faire cherrer la bobinette, sans crainte de se jeter dans la gueule du loup.

Raconté par un vieux loup de mer, connu comme le loup blanc, ce récit conduit à hurler avec les loups.
Par un froid de loup, un jeune loup solitaire, qui avait une faim de loup, vient à pas de loup, entre chien et loup, se régaler d’une fillette qui rêvait de voir le loup et danser le branle du loup avec lui. Quand on parle du loup on en voit la queue, or, au lieu de la saisir, la fillette crie au loup.
Il n’y a plus d’enfants !

Christian Rouet
septembre 2022

HMPY

 

Patrick Beguin me signale deux articles publiés par la HMPY (Histoire et Mémoire du Perray-en-Yvelines) et consultables sur le site de l’association.
Le premier est consacré à la Mare au loup.
Le second conte une histoire de loup à la ferme du Petit-Port-Royal (sur la rive nord de l’étang de Saint-Hubert).

 
 

Cet article a 4 commentaires

  1. Vincent Struxiano

    Bonjour, merci pour tous vos articles, toujours aussi intéressants et plaisants à lire, emplis de curiosité, de curiositéS, et d’érudition !
    2 petites remarques ici :
    – dans les lieux de Rambouillet où l’on parle du loup, il me semble qu’il y a aussi « le saut de loup », qui si je ne me trompe pas désigne (désignait) cette petite prairie dans le parc derrière les deux statues de cerfs, et depuis laquelle on a une perspective sur le château et les bassins ;
    – « pour faire cherrer la bobinette »… J’avoue que s’il y a un jeu de mots, il m’échappe. En tout cas quand il est question dans le conte de Perrault de la bobinette qui cherra, c’est le futur du verbe choir, la bobinette (le loquet qui maintient la porte fermée) cherra, c’est à dire qu’elle va tomber si on retire la chevillette, et la porte en conséquence s’ouvrira. Le verbe cherrer, lui, n’a aucun rapport avec tout ça, il signifie rendre plus cher, ou exagérer.

    Cordialement,

    1. christian Rouet

      – J’avais effectivement le saut de loup dans ma liste, et je l’ai oublié. Merci de votre observation.
      – Mon emploi de « cherrer » est effectivement un jeu. Je m’amusais à « coller » aux termes de Perrault… La formule « tire la chevillette et la bobinette cherra » a naturellement le sens que vous expliquez, mais je pense que personne n’a jamais imaginé l’utiliser dans un contexte autre que ce conte. Elle a pour nous le sens d’une formule magique : le « Sésame ouvre-toi » d’Ali Baba. Si un « entre, c’est ouvert ! » aurait eu le même sens, il n’aurait eu aucun intérêt ! La version des Frères Grimm est moins appréciée, peut-être précisément parce que son « Appuie sur la clenche  » n’a pas la même dimension magique.

  2. GUILLOT Patrick

    Bravo pour vos articles.
    Juste une petite remarque. Vous dites: » en France on ne mange jamais aucun animal « nuisible » ».
    Sauf erreur de ma part, le ragondin est considéré comme nuisible mais comme c’est un herbivore, il est préparé en pâté dans certaines régions de France. Il parait que c’est délicieux(?)
    Cordialement

    1. christian Rouet

      En France, le ragondin est inscrit officiellement sur la liste des animaux « susceptibles d’être classés nuisibles » c’est à dire qu’il est protégé lorsque sa population est faible, et nuisible quand il est trop nombreux.Ma réflexion concernait les véritables nuisibles. Mais en période de famine, ou de siège il est sûr que des chats, des chiens ou des rats passaient à la casserole.

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