Le chalet Nivière

Nous connaissons ce « chalet » par deux cartes postales, dont les oblitérations les plus anciennes semblent dater de 1905.

(Christian Painvin me signale depuis qu’il a dans sa collection deux autres vues peu courantes du Chalet sur des cartes à dos non divisé de 1901 et 1902, avec au verso l’adresse de la destinataire, Mademoiselle H. Nivière, 18 Avenue de la Bourdonnais,Paris.)

Situé rue Sadi-Carnot, c’est un des rares bâtiments de Rambouillet dont l’extérieur n’a absolument pas changé en plus d’un siècle, à part la disparition de ses grandes cheminées.
Il a toutefois connu bien des aventures !

Dans les recensements de 1891 et 1896, on relève la présence, au 5 de la rue des Boeufs (qui devient 32 rue Sadi-Carnot en 1898) du baron Henri Jules Nivière, officier, célibataire. On ne connait pas son grade, mais il semble qu’il finira sa carrière comme capitaine du 10ème hussards.

Son père, le baron Nivière, lieutenant colonel, est maire de Villebon-sur-Yvette.

On pourrait penser que le chalet porte son nom. Or curieusement c’est son frère cadet, le baron Fernand Marie Ernest Nivière qui achète dans cette même rue, à la famille Maillard,  un premier terrain, sans doute après son mariage en juillet 1895, avec Olga Laurens de Waru (fille d’un général). Quelques temps après, il l’agrandit par l’achat de plusieurs parcelles mitoyennes.

Il était jusqu’à son mariage lieutenant au 3ème régiment de chasseurs d’Afrique, en poste à Sétif. A-t-il chargé son frère de lui trouver un point de chute, pour son retour en France ? Ce serait une explication plausible. Le 10 septembre 1895 il est affecté au 10ème régiment de hussards et c’est sans doute à ce moment que le couple devient rambolitain et fait construire sa maison  sans que l’on en connaisse, ni la date exacte, ni l’architecte. C’est alors l’une des seules maisons de ce quartier.

Difficile, en tous cas, de nier la ressemblance avec des constructions de cette époque, comme le Vieux moulin, ou la maison Behague –certes plus ambitieuses. Les colombages restent d’ailleurs la caractéristique de ce quartier de Rambouillet, où le motif est même repris dans les constructions de 2021 ! Il s’agit, ici comme dans ces autres constructions de fausses poutres, peintes sur des supports en ciment aux seules fins décoratives, d’inspiration balnéaire normande.

les toits de la maison Behague et du Vieux moulin

Je découvre d’ailleurs que le terme de chalet est utilisé pour des maisons de plaisance, et pas seulement en montagne, comme je l’imaginais. C’est ainsi que Gide évoque en 1924 dans « Si le grain ne meurt » « Une habitation prétentieuse et cossue qui tenait du chalet de bains de mer et de la maison normande… »

Le chalet se compose, « en sous-sol d’une cuisine, réfectoire des gens de service, chambre de calorifère, deux caves, galerie et water-closets; en rez-de-chaussée surélevé, d’un vestibule, escalier, office, water-closets, salle à manger, fumoir et salon. Le premier étage est composé d’un palier et dégagement, de grandes chambres dont trois à feu, d’un cabinet de toilette, d’une salle de bains avec water-closets. Le deuxième étage comprend quatre chambres dont une à feu, petit cabinet et lingerie; grenier au dessus du tout dans lequel se trouvent deux chambres mansardées. 

Un second bâtiment comprend sellerie, remise, laverie, water-closet, écuries et boxes. A l’étage au dessus trois chambres mansardées et un grenier ».

Le terrain a une surface d’environ 6.535 mètres

le personnel du baron Nivière (collection Christian&Mireille Painvin)

En 1921, le baron Nivière, devenu colonel de cavalerie, vend sa propriété pour aller s’installer en Normandie, où l’attire sans doute sa passion des chevaux de course. Mais il semble qu’il n’habitait déjà plus à Rambouillet depuis plusieurs années, car le couple n’y a été recensé, ni en 1910, ni en 1921.

C’est un industriel, Gaston René Crucq, installé précédemment rue du Hasard (Maurice-Dechy) qui achète sa propriété pour 142 800 francs. Je n’ai pas trouvé de précisions quant à son activité exacte. Quoi qu’il en soit, il fait de mauvaises affaires, puisque sa propriété est mise en vente par adjudication le 6 juin 1925 afin de payer 110 000 francs de dettes hypothécaires.

Proposée au prix de 275 000 francs, elle ne trouve pas preneur, et finalement Crucq la vend le 8  juillet 1925, pour un prix de 200 000 francs.

Le 26 juillet le mobilier est vendu aux enchères.

Ajoutons qu’en juin 1927, la propriété que les Crucq possèdent à Merville dans le Calvados est saisie et vendue de même par voie judiciaire à la demande des créanciers.

Les acquéreurs indivis du chalet Nivière sont Joseph Richier et François Jeunson de Paris. Ont-ils acheté seulement pour faire un placement, voire récupérer des sommes que leur doit Crucq ? Il est possible qu’ils aient autorisé les Crucq à rester dans les lieux, car ceux-ci y sont toujours domiciliés en 1927, lors de la procédure de saisie de Merville.

Le 31 mai 1930, Richier et Jeunsen revendent la propriété pour le prix de 290 000 francs à André de La Forgue de Bellegarde, colonel du 6ème régiment de cuirassiers.

Au recensement de 1936, André de Bellegarde habite rue Sadi-Carnot, avec son épouse et leurs trois enfants, dont l’ainé est lui-même officier au 4ème hussards.

Cette maison aura décidemment connu bien des officiers !

La famille de Bellegarde quitte Rambouillet peu après ce recensement, puisque la maison est achetée le 25 mars 1936 par Daniel Holvoet-Vermaut pour le prix de 425 000 francs. Celui-ci a épousé trois ans plus tôt Jacqueline Degois, fille d’un vétérinaire bien connu à Rambouillet, puisqu’il en a été maire de 1935 à 1944, à une époque particulièrement délicate, et qu’il a su la gérer de façon remarquable.

Est-ce lui, ou le colonel de Bellegarde qui a repeint les boiseries en rouge ? Le chalet Nivière est en tous cas devenu « la maison rouge »

photo tirée du bulletin « Parr…chemin n°8 » , un article de madame Catherine Comas

En 1940, dans le cadre de la défense passive, un poste de secours est installé dans les dépendances du chalet. Le 11 juin 1940, elles sont détruites lors d’un bombardement italien, qui ne fait heureusement pas de victimes. En 40 et 44 une compagnie de la Wehrmacht allemande occupe la maison pendant que la famille Holvoet-Vermaut loge à la cave (détails fournis par Mme Comas, article de Parr…chemin n°8).

photo du bulletin « Parr…chemin n°8 » , un article de madame Catherine Comas

Et nous faisons maintenant un saut de cinquante ans !

Initialement, la propriété a une forme curieuse.

En 2002 Baudoin, dernier fils de la famille Holvoet-Vermaut à résider à Rambouillet, en détache le lot (A) pour proposer un lotissement de 5 lots, distribués par l’allée du chêne qui a un accès direct sur la rue Sadi-Carnot.

Quant au lot (B), de forme rectangulaire, avec façade sur la rue Sadi-Carnot, sur lequel est construit le chalet Nivière,  il est vendu le 3 avril 2002 à l’association Confiance, dont Baudoin Holvoet-Vermaut est  administrateur.

L’association  transfère son siège social dans le chalet Nivière, qui devient à cette occasion « la maison bleue » puisque ses boiseries changent une nouvelle fois de couleur – d’une façon que je trouve personnellement plus heureuse. On l’appelle aussi la « maison Carnot ».

la « maison bleue » 2020

APEI (Association de Parents d’Enfants Inadaptés), créée par des parents d’enfants en situation de handicap mental, l’association, devenue « Confiance – Pierre Boulanger », accueille et accompagne les personnes en situation de handicap mental dans leur projet de vie, en veillant à leur épanouissement et à leur intégration sociale. Elle est membre de l’UNAPEI, reconnue d’utilité publique.

le foyer de l’association Confiance

Dans le foyer qu’elle a ouvert en 2004 derrière le chalet Nivière, et qui est quasiment invisible de la rue, elle offre un hébergement de 40 places, avec tous les services d’accompagnement nécessaires. Une très belle réussite d’intégration, compte tenu de l’importance du bâtiment.

cliché Géoportail

C’est ainsi qu’un chalet original, après être passé entre les mains de plusieurs familles d’officiers, et avoir été occupé par la Wehrmacht, a trouvé en ce XXIème siècle un rôle social, en plein coeur de la ville.

Christian Rouet
mars 2023

Cet article a 3 commentaires

  1. Anonyme

    Un grand merci pour cet article passionnant, bien illustré et bien documenté.

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