En suivant la Vesgre...
On a coutume de dire que l’Yveline est un château d’eau, et c’est du reste le sens du mot « yvel », qui avec son suffixe diminutif « ina » décrit l’Yveline comme une région de petits cours d’eau.
Voici une carte parfaitement incompréhensible, qui présente le réseau principal qui irrigue notre région. Impressionnant, non ?
Parmi toutes ces rivières, nous allons parler aujourd’hui de la Vesgre, en nous limitant à la partie de son cours qui coule en Pays d’Yveline, depuis sa source jusqu’à Gambais, et qui en constitue la limite au nord-ouest.
Au préalable, il est nécessaire de comprendre l’hydrographie de notre région,
Le relief
Pour que la carte ci-dessus ait un sens, il faut lui ajouter le relief – la charpente de nos paysages. On dit aujourd’hui passer de la 2D à la 3D !
L’immense plateau de Beauce avance sans interruption jusqu’au Pays d’Yveline. Après quoi, progressant vers le nord, il est entaillé de multiples vallées, qui isolent des petits plateaux, et des buttes. Ici, les couches géologiques du Bassin Parisien sont plissées en légères ondulations dans un axe ouest-nord-ouest / est-sud-est que les géologues appellent la « direction armoricaine ».
Les couches de sables alternent avec des couches de marnes et d’argile. Les rivières déposent leurs alluvions, dans les zones inondables qui les bordent.
Tombant sur les premières, les eaux s’infiltrent jusqu’à trouver une couche imperméable. L’eau chemine alors en sous-sol jusqu’à ressortir en une source, dont le ru va être alimenté également par les eaux de pluie qui tombent dans des zones imperméables, y stagnent en étangs ou marécages, ou y ruissellent en creusant leur lit.
La carte ci-dessus montre en jaune les sols situés entre 100 et 200m d’altitude. Les zones bleues et vertes, ceux qui sont entre 10 et 100m. L’eau coule des premiers vers les seconds.
En marron sur la carte, les deux lignes principales de partage des eaux :
- – la ligne des étangs de Hollande (qui suit la direction armoricaine) : leur emplacement a été décidé précisément pour que leurs eaux s’écoulent vers la Seine. Elles sont canalisées pour alimenter les bassins de Versailles. (lire l’article « Histoire d’eaux »)
- – la ligne de partage est/ouest qui correspond en gros au tracé de la RN10. A l’est, les eaux rejoignent l’Orge, pour finir dans la Seine, en amont de Paris. A l’ouest, elles rejoignent l’Eure.
et en rose, une ligne de partage des eaux secondaire divise le bassin sud-ouest en deux sous-bassins :
- – celui de Rambouillet, où la Guesle, la Guéville et la Drouette se rejoignent à Epernon, et retrouvent l’Eure à Villiers-le-Morhier,
- – celui de Saint-Léger, où la Vesgre reçoit le Grapelin à Gambais, le Sauseron et l’Opton à Houdan, et rejoint l’Eure à la Chaussée-d’Ivry.
L’Eure rejoignant la Seine en aval de Paris, toutes les eaux du Pays d’Yveline finissent donc par se rejoindre dans la Seine.
La source de la Vesgre
Ingres n’a pas eu de mal à me convaincre d’aller à la découverte de sa source. J’ai toutefois le regret d’affirmer ici qu’Ingres est un escroc, ou qu’il n’a jamais vu de véritable source !
Au demeurant, celle de la Vesgre ne ressemble à rien !
Officiellement elle se trouve précisément à 48°42′30″ Nord, 1°46′40″ Est, et à 170 mètres d’altitude. Cette géolocalisation correspond en fait à un point situé non loin de la Croix-Vilpert, dans une zone sillonnée en tous sens, tant par des rus naturels que par des fossés, creusés à diverses époques.
La carte IGN, pour sa part, baptise « Vesgre » le fossé qui nait à la station d’épuration des Bréviaires, à 1 km de là, à quelques mètres de la ligne de partage des eaux, qui les dirige vers les Bréviaires, et Rambouillet.
La seule certitude est donc que lorsque la Vesgre pénètre à Saint-Léger-en-Yvelines, au niveau de la mare Gautier, elle a reçu :
- venant du sud, quatre rus principaux qui naissent le long de la route forestière de la Billette (cote 175m) se regroupent pour alimenter les deux mares de Vilpert et coulent jusqu’à l’entrée de Saint-Léger ( cote 135m),
- et venant du nord, le « fossé 01 de la commune de Saint-Léger », trop plein du Grand-Etang de Hollande (cote 175m), grossi par le « fossé 02 de la commune Saint-Léger » qui vient de la station d’épuration des Bréviaires (cote 175m), un fossé descendant du Clos Renard, au nord, (cote 172m) et quelques rus secondaires.
L’été (par exemple en juillet 2022) rus et fossés sont difficiles à trouver, parce qu’ils sont à sec. L’hiver chaque ru déborde largement de son lit, et la source correspond, non à un point précis, mais à une zone entière !
Selon toute vraisemblance, cette remarque ne vaut pas seulement pour la Vesgre, mais pour n’importe laquelle des rivières de notre région.
Saint-Léger-en-Yvelines (cote 135m)
Le relief explique la convergence de nombreuses voies anciennes qui mènent à Saint-Léger. Ensuite, la pente qui mène au château et à l’église, en direction de Montfort, était trop forte. La route la contourne donc vers l’ouest, en direction de Houdan, en suivant la Vesgre dans une vallée large au dénivelé faible.
Le premier habitat de Saint-Léger s’est groupé autour de l’église. Son premier château construit par Robert le Pieux au XIème siècle avait un rôle défensif, maillon de la ligne de défense de la marche sud-ouest du royaume de France.
Son intérêt stratégique disparaît lorsque Saint-Léger est rattaché au domaine des Montfort, puis des ducs de Bretagne. Le bourg s’étend le long de la Vesgre, et les haras de Saint-Léger, profitant de ses herbages humides sont alors parmi les plus réputés de France.
C’est au bord de la Vesgre que le duc d’Anjou, futur Henri III, et grand amateur de chevaux, construit un nouveau château au XVIème siècle. Le rôle de Saint-Léger aurait alors pu être considérable car tous les rois y séjournent. Cependant, Louis XV choisit de construire un nouveau château à Saint-Hubert, au bord des étangs de Hollande, et Louis XVI préfère racheter le domaine de Rambouillet. Le destin de ces villes s’en trouve modifié.
Aujourd’hui la Vesgre passe devant le lavoir puis sous la Grande-rue ( la D138). Elle longe le parking, passe sous la rue de la Croix Blanche, et coule le long du restaurant du Chêne Pendragon, anciennement le Gros Billot (il semble qu’Arthur Pendragon ait confondu la forêt de Brocéliande avec celle de Rambouillet, mais l’essentiel n’est-il pas que sa cuisine soit bonne ? Elle l’est !).
La rivière bifurque ensuite plein ouest, et échappe à notre vue en passant derrière les maisons anciennes du bourg, puis derrière celles d’un nouveau lotissement. Seuls deux piles d’un appareillage de pierres et de briques, le long de la route, nous indiquent aujourd’hui l’emplacement de l’ancien château.
Pour voir la rivière, il faut marcher sur sa rive nord, en allant chercher la sente Magonnet qui la longe.
Saint-Léger-en-Yvelines mérite amplement les différents articles détaillés, que je lui consacrerai en d’autres occasions.
De Saint-Léger à Condé-sur-Vesgre
Où se cache la Vesgre sur ce parcours ? Elle coule à gauche de la D936 sans jamais se laisser apercevoir. La carte IGN relève une multitude de bras, de rus, de mares, cachés dans les futaies de chênes et de pins.
Le GR1 la coupe en au moins 2 endroits. La promenade, entre deux grillages de propriétés privées est agréable, et, effectivement, elle révèle deux fossés, dont l’eau se devine sous les feuilles.
Se montrera-t-elle davantage un peu plus loin, si nous empruntons l’allée des meuniers qui longe les écuries du Planet, et conduit au Château du Planet ?
A travers les taillis et les buissons de rhododendrons nous apercevons le château, son pavillon de gardien, et plus loin, à ses pieds on devine l’étang Poulain. Nous sommes à la cote 119m.
Le château a été construit à la fin du XVIIIème siècle sur l’emplacement d’un monastère du XIIème siècle. Le comte de Montfort l’a remplacé par un manoir, qui n’a pas tardé à tomber en ruines.
Il y a eu aussi, sous le second-Empire, une distillerie au Planet.
En 2016 la Vesgre rappelle sa présence, après 30 ans de sagesse, et les chevaux des écuries ont les sabots dans l’eau.
La Colonie
Passé la forêt domaniale du Planet, la Vesgre, toujours aussi difficile à trouver, traverse une région de propriétés superbes, cachées dans les arbres. Sur 36 hectares la Colonie y a exploité de nombreux bâtiments dont beaucoup font actuellement l’objet de programmes de rénovation.
La Colonie : une belle aventure, aux nombreux rebondissements, qui se poursuit aujourd’hui !
Au début du XIXème siècle, à la recherche d’une harmonie universelle, Charles Fourier, en qui Karl Marx voyait un «socialiste critico utopiste » théorise l’organisation de « phalanstères » où vivraient des communautés en libre association, partageant de façon égalitaire un travail choisi par tous, en rupture avec les règles du capitalisme.
- En 1832 un groupe de ses disciples décide d’appliquer ses théories, et crée ici «la Colonie sociétaire». 60 colons et 200 journaliers tentent de mettre en valeur 360 hectares peu propices aux cultures, construisent ou remettent en état plusieurs bâtiments, un moulin, une briqueterie, des logements… En 1836 la faillite de l’entreprise est consommée.
- En 1837, une seconde association voit le jour, sous le nom de «société des cartonniers». Il s’agit cette fois de faire vivre une usine de cartonnages industriels. Elle ferme en 1848, ne réussissant pas à atteindre une productivité suffisante.
- En 1860 c’est le troisième projet, dit «société du Ménage sociétaire», qui voit le jour. Elle existe encore aujourd’hui. Plus de travail en commun, mais seulement une société civile immobilière attirant en résidences secondaires des sociétaires qui disposent d’un espace privé, et partagent de nombreux espaces collectifs.
La Colonie fera, elle aussi, l’objet d’un article détaillé.
La Vesgre pénètre maintenant dans Condé-sur-Vesgre, à la cote 114m.
Nous sommes ici en limite du massif forestier de Rambouillet. La plaine de Beauce y rejoint le Pays Houdanais.
Au XVIIIème siècle la ville est désignée sous le nom de « Condé la poterie » car le lit de la Vesgre, fait de sables et de limon, est prolongé de part et d’autre par des marnes et de l’argile. En 1900, des sociétaires de la Colonie ont d’ailleurs tenté sans succès de relancer l’activité de céramique.
Le mot gaulois « condate » signifiait « confluent » et on le retrouve dans de nombreuses appellations d’Ile-de-France. Toutefois la Vesgre n’a pas de confluent avec une autre rivière en cet endroit. Y en avait-il un autrefois ? Quoi qu’il en soit, aujourd’hui six rus alimentent la Vesgre à proximité immédiate de Condé. De plus, en arrivant à Condé, la Vesgre se divise en deux bras qui coulent de façon parallèle : celui de droite prenant le nom de « fausse rivière ».
A partir de Condé, la Vesgre change d’orientation, et coule maintenant en direction du nord.
Que voit-on ? Rien de la route, d’où l’on devine seulement, en voyant un rideau d’arbres au creux des champs qu’il doit y avoir de l’eau à leur pied. Quelques petits chemins permettent de s’en approcher, et de vérifier la présence de ce qui est, la plupart du temps, un simple ruisseau. Les vues aériennes sont plus explicites.
De Condé-sur-Vesgre à Gambais
A Bourdonné, la cote est de 110m. Pas d’affluent. Pas non plus d’étang, mais trois ou quatre petites sources peu abondantes viennent rejoindre la Vesgre sur le territoire de la commune.
La région, autrefois marécageuse a été assainie au XVIIIème siècle, et les étangs, asséchés, ont été transformés en pâturages. La pente de la rivière y est faible.
Plus loin, à la hauteur de Gambais, la Vesgre et la fausse rivière se rejoignent et reçoivent les eaux du Grapelin.
Il s’agit d’un trop plein de l’Etang de Hollande, à 15km à l’est, qui passe au nord de Saint-Léger-en-Yvelines, reçoit à l’étang Rompu les eaux du versant sud de Montfort-L’Amaury, contourne par le nord Gambaiseuil, alimente l’Etang-Neuf, longe Gambais par le nord avant de trouver la Vesgre à la cote 100m.
De sa source, à son confluent avec la Vesgre, le Grapelin a sensiblement la même longueur qu’elle, et le même dénivelé.
Alors pourquoi en a-t-on fait un affluent et non le cours principal ? Parce qu’il s’agit pour une grande partie, de fossés creusés par l’homme.
Ce même cours s’appelle d’ailleurs ruisseau des Ponts Quentin dans sa première partie. Il devient ruisseau de l’Etang Neuf lorsqu’il arrive à la hauteur de l’Etang Neuf, qu’il alimente. Ce n’est que sa dernière partie qui prend le nom de Grapelin, le « ruisseau qui charrie du sable » (ce qui le décrit bien !).
Nous quittons ici le Pays d’Yveline, l’économie de Gambais étant clairement tournée, depuis des siècles, vers la capitale et non vers le massif forestier.
Et après ?
Il reste un chemin bien intéressant à parcourir avec la Vesgre avant son embouchure.
Elle traverse :
- en Yvelines : Maulette, Houdan,
- en Eure-et-Loir : Goussainville, Saint-Lubin-de-la-Haye, Berchères-sur-Vesgre, Saint-Ouen-Marchefroy, Rouvres, Boncourt, Oulins, et La Chaussée-d’Ivry, à proximité du château d’Anet, où elle se jette dans l’Eure, à 57m d’altitude.
A l’entrée de Dourdan elle grossit du Sausseron, long de 4,6km, qui vient de Richebourg en rive nord et de l’Opton, en rive sud, long de 16km qui descend de la Hauteville, près d’Adainville.
De sa source à son embouchure la Vesgre parcourt ainsi 45 km, dont un tiers en Pays d’Yveline, avec un dénivelé global de 113m.
Et elle offre bien des idées de randonnées, et bien des sujets que je m’engage à traiter sur ce site …
Christian Rouet
Juillet 2022