La Caisse d'épargne
Officiellement, la première Caisse d’Épargne et de Prévoyance a été créée le 22 mai 1818 à Paris.
Celle de Rambouillet remonte à 1844, et ses locaux actuels, construits en 1879 à l’entrée de la rue principale, ont bénéficié récemment d’un très beau ravalement de façade.
Cet article n’aborde que les débuts de la banque la plus connue des Français, qui gère en 2022 plus de 200 milliards de dépôts, et continue à évoluer de façon importante.
A l’origine
Le 19 mars 1793, la Convention s’attaque à la mendicité, et prévoit notamment :
« Pour aider aux vues prévoyantes des citoyens, qui voudraient se préparer des ressources à quelqu’époque que ce soit, il sera fait un établissement public sous le nom de « Caisse nationale de prévoyance » (article 13).
Malheureusement, ce projet n’est pas mis en oeuvre. Cependant, lorsque le crédit commence à s’améliorer, la Banque de France, dans ses statuts du 24 pluviôse an VIII (17 février 1800) en reprend l’idée. Elle prévoit notamment la création « d’une caisse de placements et d’épargne, dans laquelle toute somme au dessus de 50 fr. serait reçue, pour être remboursée aux époques convenues ».
Il est facile de comprendre qu’un épargnant ne disposant que de ressources très faibles intéresse peu les banques traditionnelles, et que son épargne ne peut pas être rémunérée, en raison de frais fixes trop élevés.
Le principe de la Caisse, c’est celui des petits ruisseaux qui font de grandes rivières… En collectant un très grand nombre de petits dépôts, il est possible de concevoir un placement sans risque, qui garantisse un intérêt à chacun des épargnants.
En pratique, la mise en oeuvre de ce principe est cependant complexe.
Il faut attendre le 25 juin 1817, pour que la Caisse de prévoyance de Rive-en-Gier soit créée dans ce cadre réglementaire pour venir en aide aux mineurs et à leurs familles.
Et le 28 mai 1818, les administrateurs de la Compagnie Royale d’Assurances Maritimes ouvrent à Paris un établissement similaire ayant pour objet
- de recevoir les économies journalières que les particuliers voudront y verser,
- et de les placer immédiatement en fonds publics, de manière à augmenter de façon régulière le capital déposé par les intérêts acquis.
Autorisé par une ordonnance royale du 15 juillet 1818, le premier établissement ouvre le 15 novembre suivant à Paris, au 104 rue de Richelieu.
Le Ministère de l’Intérieur, conscient de l’intérêt que cette banque présente « sur le sort et les moeurs de la classe ouvrière » invite les préfets à en assurer la promotion. « Le livret de Caisse d’Epargne est un certificat d’ordre, de bonne conduite pour celui qui le possède. »
Il s’agit alors d’offrir une alternative vertueuse aux deux dépenses concurrentes que sont pour le monde ouvrier les cabarets, et les loteries. Celles-ci finissent par être interdites (elles drainaient au début de la Restauration l’équivalent de 18 tonnes d’or/an !).
La monarchie de juillet poursuit la promotion de cette institution et en 1834 la France dispose déjà de 75 caisses.
La loi du 5 juin 1835 reconnaît les Caisses d’Épargne comme établissements privés d’utilité publique. L’Etat apporte sa garantie pour les fonds versés, dans la limite d’un plafond de dépôt.
Les instituteurs se font les prescripteurs zélés des Caisses. En même temps qu’ils assurent le secrétariat de la mairie, beaucoup gèrent des Caisses d’épargne scolaire (il s’en ouvre plus de 15000 en quelques années, rattachées aux Caisses locale).
« Dans l’école l’épargne n’est rien, la bonne habitude est tout (…). Si un enfant qui a reçu de ses parents quelques sous les verse à la Caisse d’épargne de son propre mouvement, c’est là un acte méritoire qui portera ses fruits s’il devient une habitude. » (Manuel d’éducation morale à l’usage des jeunes filles de Juranville 1898).
Un livret est ouvert au nom de chaque enfant, alimenté souvent par un don de la mairie à sa naissance, et par des versements lors d’événements particuliers : réussite à un examen, mariage…
Les Caisses sont 1300 en 1900. Le plafond est alors de 1500 fr et le taux d’intérêt annuel de 2.5%.
La Caisse d’Epargne de Rambouillet
La date de sa création est gravée sur son fronton : 22 décembre 1844.
En 1900 la caisse de Rambouillet dispose de succursales à Chevreuse, Ablis, Montfort, Limours et Neauphle.
Chaque semaine, dans un souci de transparence, et d’exemplarité, les variations de dépôts, de retraits, et du nombre de clients de chacune des caisses sont publiées dans le journal local.
L’immeuble de la rue du Gal de Gaulle
En 1879, la Caisse de Rambouillet est assez riche pour investir dans un luxueux immeuble, à l’entrée de la rue principale, et à proximité de la sous-préfecture.
Pour un établissement financier il est important d’étaler son faste, afin de donner confiance à ses clients.
Des établissements comme celui de Rambouillet se multiplient, dans des immeubles luxueux, toujours situés en centre ville.
Les façades de cette époque sont chargées de balcons, corbeaux, colonnes, chapiteaux, frontons, bas-reliefs, statues… Les plafonds sont hauts, les ouvertures larges… Les murs sont en pierre de taille. Architecte et sculpteurs sont choisis en fonction de leur aptitude à respecter le cahier des charges souhaité par les administrateurs.
A Rambouillet c’est l’architecte Léon Marie Isabey qui est retenu. Entre 1848 et 1870 il est inspecteur des Bâtiments de la Couronne, successivement en charge des travaux du Louvre, du château de Compiègne, du Palais Royal et de la Manufacture des Gobelins. Il intervient au château de Rambouillet, pour la rénovation de ses boiseries, et c’est sans doute à cette occasion qu’il a noué les relations qui vont le faire choisir pour cette commande.
En 1855 Isabey rencontre le peintre Gustave Courbet qui peine alors à faire accepter ses tableaux réalistes. Il construit pour lui un pavillon pour l’exposition universelle de 1855, puis successivement deux ateliers à Ornans.
Un troisième projet, combinant « maison de campagne et atelier » ne sera finalement pas retenu, Courbet le jugeant trop ambitieux. Un tel bâtiment était pourtant bien dans le goût de l’époque, et finalement, par comparaison, nous pouvons considérer que son immeuble de Rambouillet est d’une grande sobriété !
Isabey reste également connu pour d’autres bâtiments publics ou privés, dans Paris, et pour ses traités d’architecture.
Voici quelques planches tirées de son ouvrage publié en 1864 « Villas, maisons de ville et de campagne, composées sur les motifs des habitations de Paris moderne, dans les styles des XVI, XVII, XVIII et XIXème siècles. »
Pour la Caisse d’Epargne de Rambouillet, Isabey réalise un hôtel particulier de trois niveaux, dont le troisième est intégré dans un toit à la Mansart.
Les grandes fenêtres rectangulaires des étages s’opposent à l’arrondi de la porte et des baies du rez-de-chaussée. Bourgeois, riche, sérieux sont des qualificatifs qui viennent vite à l’esprit.
Trois médaillons décorent la façade, déjà surchargée par de nombreux éléments décoratifs :
A gauche, Benjamin Delessert.
Fils de banquier, il est avant tout un botaniste. Son travail sur les procédés d’extraction du sucre de la betterave lui valent d’être anobli par Napoléon. Très impliqué dans la Société Philanthropique il crée des soupes populaires, et participe en 1818 à la création des Caisses d’épargne et de prévoyance en vue de secourir les plus démunis. Il en reste le Directeur durant près de vingt ans et il y fonde le livret A.
A droite, François Liancourt, duc de La Rochefoucauld. Philosophe, économiste, il s’intéresse à l’éducation (il crée l’école des Arts et Métiers), et s’associe pour raisons philanthropiques au projet de création des Caisses d’épargne, dont il devient le premier Président.
Delessert et Liancourt ne sont pas les seuls fondateurs des Caisses d’Epargne, mais ils en ont été les acteurs principaux, et leur choix pour décorer l’immeuble de Rambouillet se justifie donc pleinement.
Au centre du fronton, entre les riches corniches : les armes de la ville de Rambouillet, telles que les a imaginées en 1887 l’archiviste Fournier. Elles sont surmontées d’une couronne de remparts, composée de 5 tours (soit 2 de trop, par rapport aux normes alors en vigueur !). C’est l’un des très rares édifices rambolitains à arborer ce blason (avec la gare et la Poste).
L’immeuble de la Caisse d’Epargne marque la limite entre les commerces de la Place Félix-Faure (pendant longtemps, la charcuterie Mornas, et aujourd’hui un commerce « dans le vent » : le West Rider ) et la Sous-préfecture.
Entre les deux, a pu seulement se glisser un antiquaire, dans la boutique minuscule occupée autrefois par un cordonnier. C’est le seul espace commercial du trottoir gauche dans cette portion de rue, car l’emplacement de l’hôtel de la Belle-Image, plus tard étude de notaire, qui le jouxte à droite a malheureusement perdu son caractère professionnel : dommage pour l’entrée de la rue principale de Rambouillet !
Aujourd’hui
Les Caisses d’épargne ont connu d’importantes évolutions que je ne détaillerai pas ici.
En résumé : à l’origine les dépôts collectés devaient être obligatoirement placés en fonds d’Etat.
En 1895 les Caisses sont autorisées à investir une partie de leur collecte dans des projets locaux : création de logements sociaux, de bains-douches, de jardins ouvriers…
En 1950, la loi Minjoz, les autorise à consentir des prêts aux organismes publics et aux collectivités locales, à des taux plus faibles que celui des banques traditionnelles.
Au terme de 15 ans de réformes, la loi du 1er juillet 1983 reconnaît aux Caisses d’épargne le statut d’établissement de crédit.
Cette restructuration des caisses, puis la libéralisation des livrets d’épargne, entament considérablement l’image d’établissement à vocation sociale, qu’elles avaient jusque dans les années 80. Les réorganisations, fusions et regroupements qui se sont multipliés depuis 1984, n’ont pas toujours été bien compris du public, qui continue toutefois à privilégier un placement réputé sans risque, et d’une disponibilité immédiate.
Comme son logo, la Caisse d’Epargne a ainsi énormément évolué, et cette évolution est loin d’être terminée.
Christian Rouet
mai 2023