Le musée du jeu de l'oie
Cet article s’adresse aux ocaludophiles que nous avons tous été dans notre jeunesse. Vous l’ignoriez ? Les latinistes comprendront facilement : oca- (« oie »), ludo- (« jeu »), et -phile (« qui aime »). Il s’agit tout simplement des joueurs du jeu de l’oie !
Rambouillet a possédé de 2001 à 2011 un Musée du jeu de l’oie, place du Gouvernement, dans l’aile du Palais du Roi de Rome, et comme il est plus facile de publier sur internet que d’effacer un contenu, des dizaines de sites nous invitent toujours à le visiter treize ans après sa fermeture.
C’est donc à une visite virtuelle que je vous invite aujourd’hui.
A l’origine du jeu de l’oie
C’est sous le nom de « Le jeu d’oye, renouvelé des Grecs » qu’il apparait en France au XVIIème siècle. Il est prouvé que les Grecs n’y ont jamais joué, mais cette appellation permettait sans doute de profiter de la mode hellénique et de donner à ce jeu une valeur historique.
Certains lui ont de même cherché une origine indienne, inspirée de la samsara, la “roue de la naissance et de la mort” dans l’indouisme. Cependant son parcours en spirale qui tend vers un but précis est bien loin du symbole de la roue sans fin…
Nous nous contenterons donc de ce qui est connu : sa mention en 1617 dans l’ouvrage que l’Italien Pietro Carrera consacre au jeu d’échecs. Il indique que le jeu aurait été inventé à Florence à la génération précédente. François de Médicis l’aurait apprécié et fait connaître à Philippe II d’Espagne. Le jeu se serait ensuite rapidement répandu dans les cours d’Europe, avant de se démocratiser.
Dans son salon de l’hôtel de Rambouillet, Catherine de Vivonne, la belle Arthénice, et sa fille Julie d’Angennes « prenaient la boëte aux dés » entre deux quatrains et « retardaient par ce moyen les somnolences de leurs adorateurs d’âge ».
Le jeu prend vite sa forme définitive, et conserve depuis cinq siècles les mêmes règles, avec une richesse infinie dans les thèmes et les illustrations.
Une charge symbolique
Guidé par le hasard du jet de dés, ce jeu constituerait une métaphore de la vie, avec son alternance de chances et de malchances. Certains s’accordent à voir dans ses symboles un caractère universel qui expliquerait son succès.
On peut cependant se contenter d’une explication plus simple : le jeu est d’une telle simplicité que même les plus jeunes enfants peuvent y jouer sans apprentissage. Le lancer des dés les familiarise à la lecture des chiffres, leur enseigne des additions jusqu’à 12, et les illustrations des cases leur donnent des connaissances basiques en géographie, histoire ou autres matières, qu’ils absorbent de façon ludique par la répétition du jeu.
Résumons cependant quelques uns de ses symboles :
- le jeu comporte 63 cases plus deux : le zéro (la case de la naissance, d’où l’on part, et où l’on retourne en arrivant sur la case de la mort) et la case d’arrivée, dite « porte du jardin de l’oie » (à laquelle on accède en arrivant exactement sur la case 63).
- Toutes les 9 cases, une oie bienveillante double le déplacement. Pourquoi 9 ? C’est le dernier des chiffres de la série d’une dizaine : celui qui en annonce la fin, en même temps que le début de la série suivante.
- Quelques cases ont une signification et un rôle particuliers dans le jeu. La plus crainte est celle de la mort (en 58). Elle a plus de risques que d’autres d’être atteinte : à l’aller mais aussi au retour, quand les points nous font dépasser la case 63. Elle n’est cependant pas définitive, renvoyant à la naissance et à une nouvelle chance !
Pourquoi des oies, plutôt que des petits chevaux (qui ont leur jeu) ou toute autre figurine ?
L’oie était un animal domestique connu des Egyptiens, des Romains et des Grecs. Son seul titre de gloire, reste cependant d’avoir empêché la prise du Capitole de Rome par les Gaulois vers 390 avant JC. Sans elles, à la place de la Gaule gallo-romaine l’Italie aurait été romano-gauloise !
A l’approche de Noël il faut lui reconnaître un intérêt gastronomique incontestable, et pas seulement dû à l’hypertrophie infligée artificiellement à son foie. Elle a toujours constitué un repas de fête, sans doute aussi pour sa taille, et des rôtisseurs étaient spécialisés dans sa préparation. A Paris, s’il existe une rue aux Ours qui n’a jamais connu de grizzlis, c’est parce qu’il s’agissait de la rue aux oûes.
Certaines sources indiquent même qu’une oie était souvent l’enjeu de la partie, que sur de nombreux jeux, la dernière case montre une oie en train de rôtir, et que c’est de là que viendrait le choix de l’oie en guise de pion. Pourquoi pas ?
La richesse des thèmes
Les précepteurs ont tout de suite vu l’intérêt pédagogique du jeu, et les thèmes éducatifs se sont multipliés. Sous la Révolution le jeu devient un outil de propagande politique. Imprimer un jeu ne coûte pas cher. Ils sont gravés sur bois en province, sur cuivre à Paris, et racontent sous forme ludique les épisodes de la Révolution. Malheureusement pour leurs créateurs, les événements vont tellement vite que les jeux sont vite retirés de la vente.
Le tourisme naissant offre de nouveaux thèmes : les monuments de Paris, les villes de France, les cathédrales, les enseignes des boutiques, les acteurs à la mode…
A partir du XIXème siècle les publicitaires s’emparent de ce support bon marché assuré d’une utilisation plus longue que les almanachs ou la presse. Les partis politiques y brocardent leurs adversaires. Les journaux satiriques en publient régulièrement en double page centrale. On imprime des jeux de l’oie religieux, d’autres érotiques… La guerre est source d’inspiration. Le sport aussi, avec des parcours cyclistes ou automobiles.
N’oublions pas les jeux de plein air, créés dans des parc, des châteaux, où des laquais remplacent les oies, et se déplacent au gré des lanceurs de dés. Chamarande a conservé le sien.
Et les enfants peuvent y jouer sur un parcours peint au sol, comme devant le magasin Cultura de Rambouillet…
La grande diversité de leur inspiration multiplie les jeux, et ce faisant elle nous propose un nombre illimité de détails amusants ou instructifs qui nous renseignent sur leur époque.
Le musée de Rambouillet
Faire la collection de ces jeux est d’autant plus tentant qu’il s’agit d’objets peu volumineux, faciles à empiler et à conserver. Enfin… quand on n’en possède que quelques dizaines !
Pierre Dietsch (1940-1999) en avait acquis plus de 2500, assemblant ainsi la plus grande collection connue.
En dehors du fait qu’il était « polytechnicien d’origine alsacienne » et qu’il aurait « constitué cette collection trente ans durant, au fil de ses voyages en Europe » (Wikipedia) je n’ai trouvé aucune information quant à ses liens avec Rambouillet.
C’est cependant dans notre ville qu’il a déposé sa collection, permettant en 2001 l’ouverture d’un musée, dans l’aile du palais du Roi de Rome.
En 2008 la ville a acheté la collection, mais le musée a fermé définitivement en 2011, le nombre de visiteurs n’étant pas suffisant pour couvrir ses frais de fonctionnement.
La collection est donc aujourd’hui dans les réserves du Roi de Rome. Quelques jeux sont exposés en permanence dans la salle principale du rez-de-chaussée, et, à intervalle régulier, ils sont remplacés, notamment pour illustrer un thème en rapport avec une exposition temporaire du musée.
Ajoutons toutefois que l’exploitation d’un jeu de l’oie n’est pas chose aisée ! Autant il serait intéressant de pouvoir s’en saisir, l’observer de près en le faisant tourner… autant le voir figé, encadré sur un mur, en limite l’observation et donc l’intérêt.
Les outils modernes : tablettes, ou autres écrans orientables permettront certainement de mieux exploiter ces jeux.
Christian Rouet
décembre 2024