Quand Vénus rencontrait le Soleil

Au IIIème siècle avant notre ère, Aristarque de Samos calcule la distance Terre-Soleil à partir des phases de la lune. Son estimation souffre de nombreuses simplifications, et elle est assez loin de la réalité. Elle est cependant conservée jusqu’aux calculs de Cassini.

Il est vrai que cette donnée ne présente un intérêt considérable que pour les seuls astronomes. Elle est aujourd’hui estimée à 149 597 870 700 ± 3 mètres et j’imagine que si nous apprenions demain qu’elle est à réévaluer de quelques kilomètres de plus ou de moins, la nouvelle nous passionnerait moins qu’une hausse de 2% du Smic ou de nos retraites.

En 1672 les astronautes Picard, Cassini et Richer calculent cette distance par la méthode de la parallaxe : l’observation de Mars au même moment, à partir de deux points éloignés : Cassini à Paris, et Richer en Guyane.

En juin 1761, on espère le passage de Vénus sur le disque solaire, ce qui ne s’est pas produit depuis 1639. C’est l’occasion de refaire le calcul en utilisant Vénus à la place de Mars, et d’obtenir un résultat plus précis. Cent soixante seize observateurs de tous pays coopèrent à l’étude et, malgré la guerre de sept ans qui oppose alors la France à l’Angleterre de 1756 à 1763, Louis XV envoie plusieurs expéditions pour observer le phénomène sous différentes latitudes.

Ces observations conduisent à de premiers résultats que d’autres expéditions permettront de préciser quand le transit de Vénus se reproduira, en juin 1769. 

Sur cette mappemonde, Mr. De L’Isle, de l’Académie Royale des Sciences, a reporté les heures et les minutes du « temps vrai » de l’entrée et de la sortie du centre de Vénus sur le disque du soleil, le 7 juin 1761, pour l’offrir au Roi.

C’est un cadeau que Louis XV a du apprécier tout particulièrement car le roi se passionne pour ces travaux d’astronomie. On sait qu’à Rambouillet, lors de ses séjours au château, un escalier discret lui permettait de monter sur la terrasse pour observer les astres (et de s’arrêter discrètement chez sa maîtresse en redescendant).

Dans un article, en ligne sur le site HMPY, Michel Mazet et Patrick Beguin nous apprennent que le roi est venu spécialement dans son château de Saint-Hubert, pour observer le phénomène en 1761 et 1769, et ils nous racontent le déroulement de ces visites. Je le publie ici.


Quand Vénus rencontrait le Soleil

Michel Mazet et Patrick Beguin
juillet 2010
Un article à retrouver sur le site de l’association Histoire et Mémoire du Perray-en-Yvelines HMPY), https://hmpy.fr/

L’affaire se passant au Perray, au Château de Saint-Hubert, d’aucuns pourraient penser à un rendez-vous galant entre la séduisante Marquise de Pompadour et l’arrière petit-fils du Roi Soleil, Louis XV, le Bien-aimé.

En fait, il s’agit bel et bien d’astronomie.

Louis XV, conscient d’importuner trop souvent son cousin le Duc De Penthièvre, en lui demandant l’hospitalité à Rambouillet chaque fois qu’il vient chasser, fit construire, par l’architecte Gabriel, sur les berges de l’Étang de Saint-Hubert, un pavillon qui devint en 1758 un véritable château pour accueillir les hôtes des plaisirs cynégétiques royaux.

le Château de Saint-Hubert

En ce début juin 1761, un événement astronomique, prévu de longue date, se prépare au Château. On espère le passage de Vénus sur le disque solaire, ce qui ne s’est pas produit depuis 1639. C’est l’astronome allemand Kepler(1571-1630) qui l’annonça en 1629 et son confrère anglais Halley (1656-1742) confirma ce calcul et ajouta les dates de1769, 1874, 1996, 2004, 2109, 2117.

Le passage de la célèbre comète ayant bien eu lieu en 1759, comme il l’avait prévu, un engouement pour l’astronomie agite tout Paris.

Le Roi est curieux de sciences, l’astronomie, la cartographie et la géodésie l’intéressent particulièrement, et il souhaite observer le phénomène prévu pour le 6 juin en son domaine de Saint-Hubert, loin de la Cour de Versailles.

Le 6 juin 1761

le Monnier par Nicolas Bernard

L’organisation en incombe à Pierre Charles Le Monnier(1715-1799), astronome du Roi, membre de l’Académie des Sciences qui avait participé en 1736 à l’expédition en Laponie de Maupertuis (1698-1759), chargée de vérifier la théorie de l’aplatissement du globe terrestre aux pôles.

Le 3 juin, il fait transporter au château les instruments nécessaires : deux lunettes de réfraction, une grande pendule à secondes et un quart de cercle mobile. Le 4 juin, la pendule est mise en marche et étalonnée sur différentes hauteurs du soleil. Le 6 juin au matin, le ciel est légèrement voilé, et sur la terrasse dominant l’étang, les lunettes sont orientées vers le levant, dans une direction entre l’Artoire et le clocher de l’église Saint-Eloi. Sur la rive opposée, le fermier du fief de Pourras, propriété de l’Abbaye de Port-Royal, regarde étonné ces préparatifs.

Le Monnier est accompagné de son confrère Charles Marie de La Condamine -qui prit part en 1735 à l’expédition du Pérou, avec le même but que celle de la Laponie (1701-1774).

Le Roi est là, en compagnie de Madame de Pompadour. On leur a remis des verres enfumés, pour atténuer la lumière solaire. Il est un peu moins de 8h30 quand l’assistance voit Vénus effleurer le Soleil…

Le passage dure environ vingt minutes pendant lesquelles les circonférences des deux disques apparaissent bien terminées. A plusieurs reprises, le souverain, puis la marquise, regardent Vénus dans les lunettes. Par respect les invités font silence lorsque les savants effectuent les mesures scientifiques destinées à mieux connaître cette planète et la parallaxe du soleil (qui permet de calculer la distance de la Terre au Soleil). Toutefois, Le Monnier est chagrin parce que sa propre montre à secondes est en décalage avec la pendule qui se trouve à 50 pas de lui, alors que La Condamine et le Roi, près de la pendule, utilisent tour à tour un excellent télescope à réflexion.

Dans le même temps, de nombreuses observations s’effectuent en France et à l’étranger. Les astronomes Maraldi (1709-1788) et Delisle (1688-1768) sont à l’Observatoire royal, De Lalande (1732-1807) au Palais du Luxembourg, Grandjean de Fouchy (1707-1788) au cabinet de physique de La Muette. Cassini de Thury (1714-1807), le célèbre cartographe, est à Vienne auprès de l’archiduc Joseph. Afin de tirer le meilleur profit du rare phénomène, l’Académie des Sciences a décidé d’envoyer au bout du monde deux de ses membres : l’Abbé Jean Chappe d’Auteroche (1722-1769), oncle de l’inventeur du télégraphe, se rend à Tobolsk en Sibérie, au terme d’un voyage mouvementé de plus de six mois et Guy Pingré (1711-1796) dans une île perdue et quasi-déserte de l’Océan Indien, l’île de Rodrigues, à 850 kilomètres à l’Est de l’Île de la Réunion. En ces deux points pourtant si éloignés, le ciel nuageux ne permet qu’une observation partielle et les relevés effectués seront peu pertinents.

Le 3 juin 1769

Comme prévu par Halley, la conjonction de Vénus et du Soleil se produit encore le 3 juin 1769.

Le Roi demande à nouveau à Le Monnier d’en faire l’observation, en sa présence, au Château de Saint-Hubert. Il a perdu sa «meilleure amie», mais il vient désormais à Saint-Hubert avec sa favorite, la Comtesse Du Barry.

L’astronome s’est équipé d’une nouvelle lunette et d’une autre pendule à secondes. Il est accompagné d’un confrère, Joseph-Bernard De Chabert(1724-1805) qui se sert de la lunette de 1761 et d’un quart-de-cercle. La conjonction est prévue en fin de journée, les lunettes sont donc tournées au couchant vers Les Bréviaires. Le temps est à l’orage, pourtant, le ciel s’éclaircit vers 19h30 au moment-même du transit (terme désormais employé), puis, bas sur l’horizon, passant juste au-dessus des jeunes arbres plantés depuis peu par les religieuses de Port-Royal, le Soleil se couvre de nuages.

Le résultat n’est guère satisfaisant, tout comme pour les autres astronomes installés dans les divers points d’observation de Paris. En compensation, le souverain aura le privilège d’assister le lendemain matin à une éclipse partielle du Soleil et Le Monnier en a profité pour vérifier la latitude exacte du Château de Saint-Hubert (48° 43’00, ce qui correspond à la demi-lune devant la grille du château).

Comme en 1761, l’Académie des Sciences a dépêché fort loin, cette fois vers l’occident, ses astronomes aventuriers : Pingré est à Saint-Domingue – le temps est magnifique et les observations excellentes. L’Abbé Chappe d’Auteroche est au Mexique, à l’extrémité méridionale de la Californie, d’où il ne reviendra pas, victime, comme les autres membres de l’expédition, d’un mal épidémique. Le seul survivant, Pauly, rapporta ses carnets d’observation à Cassini.

Ainsi l’astronomie du Siècle des Lumières paya son tribut à la planète nommée improprement Etoile du Berger.

Michel Mazet et Patrick Beguin
à retrouver sur le site de l’association Histoire et Mémoire du Perray-en-Yvelines HMPY),

L’astronomie – encyclopédie 1728

 

Christian Rouet
août 2024

Cette publication a un commentaire

  1. jean marie taffin

    OUAHHOUHH super intéressant ce baiser de Venus sur les lèvres du Soleil

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