Un fronton remarquable
Nous avons tous remarqué un jour, en allant à Monoprix, ce bâtiment original qui n’a pas changé depuis … depuis… eh bien, sans doute, depuis sa construction !
Seul son portail a été repeint un jour, ce qui ne l’améliore guère ! Sa porte aussi ?
Habitués à lui, nous avons cessé de le remarquer. Au reste, est-il beau, ce bâtiment gris qui semble tristement abandonné depuis toujours ?
Ni beau, ni laid, il fait partie de notre paysage : nous l’avons toujours connu, et si nous avons renoncé à en savoir plus, c’est parce qu’il n’y a pas grand chose à savoir !
Cependant, les documents que m’a transmis le collectionneur Christian Painvin, et les souvenirs de son épouse Mireille qui a travaillé dans cette entreprise, nous permettent de satisfaire un peu notre curiosité.
A l’origine
On trouve dans les documents du XIXème siècle un négociant grossiste en vins du nom de Paszkowski, installé rue Nationale à Rambouillet.
Son fonds de commerce est repris avant 1890 par deux associés Flesselle et Chauvière, et l’almanach des commerces de Rambouillet, dans son édition de 1912 n’indique plus que le seul nom d’Oscar Flesselle.
Les dates et les modalités de ces transferts ne nous sont pas connues davantage.
En 1912 cette activité de vente de vins en gros est exercée, en même temps que par M. Flesselle, par cinq autres commerces : M. Bertrand et M. Durand, tous deux rue de la Garenne, Gustave Parisot, rue du Moulin, Le Cointe, rue Nationale (près de la Mairie) et Renou-Sugauste, rue de Paris.
Quand on se souvient que dans la seule commune de Rambouillet il y a alors 36 débits de boissons et 15 restaurants, on peut imaginer qu’il y a effectivement place pour 6 grossistes !
Si le 75 de la rue de Gaulle ne nous évoque rien, nous connaissons tous son emplacement : c’est aujourd’hui le 109, et c’est là qu’est le Passage Fleuri, qui accueille plusieurs commerces et relie la rue de Gaulle à la rue d’Angiviller.
Nous lui consacrerons du reste un prochain article.
Oscar Flesselle décède en 1922. Il a cédé son fonds de commerce quelques années auparavant à Eugène Hébert.
Le 28 juin 1934 M. Hébert dépose un permis de construire aux fins d’élever un bâtiment au n°12 de la Place Félix-Faure, sur un terrain qui lui appartient déjà, et pour se brancher sur l’égout de la ville « par un égout fermé. »
L’autorisation lui est donnée, et les travaux sont exécutés en moins d’un an.
Les nouveaux bâtiments, à usage de bureaux et entrepôts prennent ainsi la place d’un jardin dont nous possédons une vue, sur une carte postale des années 1920, fermé par un mur, avec trois ouvertures et un portail qui évoquent une entrée d’hôtel.
Je me trompe peut-être, mais je croirais assez qu’il s’agissait d’une entrée secondaire de l’hôtel du Grand-Veneur (à l’angle de la rue G. Lenotre et du boulevard du Gal Leclerc). En effet, le terrain acheté par Hébert (lot référencé 66 sur le plan cadastral ci-contre), devait communiquer avec les jardins de ce grand hôtel, devenu aujourd’hui la résidence du Grand-Veneur.
A partir de l’almanach de 1935 le commerce d’E. Hébert est domicilié place Félix-Faure. Cette même année, madame Veuve Flesselle est toujours domiciliée au 75 rue Nationale. Elle est qualifiée de rentière. Sans doute était-elle restée propriétaire des murs. Le magasin à gauche de l’entrée est alors occupé par une librairie Bobière et Gardrat.
L’immeuble
La forme de ce fronton a-t-elle été proposée par un architecte – dont nous ignorons tout ? Ou bien M. Hébert était-il originaire du nord et a-t-il voulu retrouver une architecture rappelant son pays natal ? Ce fronton n’est en rien indispensable à la construction du bâtiment, et il correspond donc à la seule recherche d’un certain style.
(Il y a rue d’Angiviller, un peu après le terrain où la Covid semble avoir enterré nos rêves de cinéma, un fronton encore plus inattendu, mais dans un style plus local, en façade d’un bâtiment perpendiculaire à la rue.)
Quoiqu’il en soit, construit en 1935, ce fronton reprend les thèmes et le style de l’art « déco » qui lui est un peu antérieur.
Il est surmonté d’une coupe de fruits en pâte de verre dorée, emplie de grappes de raisins rouges. Le motif de la grappe est décliné en demi-grappes sur deux niveaux, encadrant l’enseigne «vins et spiritueux » ainsi que les fenêtres.
Il est également repris sur la porte d’entrée, peinte aujourd’hui en vert, et dont on peut se demander si elle était elle-aussi dorée et rouge à l’origine.
Il faut s’approcher pour remarquer la délicatesse des fines baguettes de pâte de verre jaune qui masquent les joints des panneaux gris qui couvrent la façade.
Le résultat est agréable à l’oeil … mais bien triste, avec ses fenêtres abandonnées, et sa porte condamnée par un panneau de bois.
Quant au portail de droite, ni sa proportion, ni sa couleur ne valorisent le bâtiment.
Coincé aujourd’hui entre une très belle maison individuelle (qui abrita une agence immobilière avant le déplacement de celle-ci rue de Gaulle) et la publicité agressive d’un barbier, cet immeuble est caché durant plusieurs mois par an, par un arbre qui en dissimule la partie la plus intéressante.
L’entreprise
Hébert exploite son négoce à cet emplacement de 1935 jusqu’à sa retraite. (?)
Il cède l’entreprise à Jacques Richard qui en poursuit l’exploitation sous le nom des « Entrepôts de Dampierre ».
L’emplacement devient trop petit, et d’un usage difficile.
Plutôt que de se déplacer en zone artisanale, comme le suggère la mairie, M. Richard achète en 1974 le domaine de la Grande Hogue, sur la route de Cernay-la-Ville. Il y transfère toute son activité, y compris sa résidence principale, ainsi que plusieurs logements pour son personnel.
Accessoirement le domaine bénéficie d’une source, et l’entreprise dépose en 1984 la marque « La Hogue, eau de source» pour la commercialiser. Mais les autorisations sont trop compliquées à obtenir, et la marque n’est pas renouvelée en 1994. De nombreux Rambolitains sont venus durant plusieurs années s’approvisionner gratuitement à la source, située juste en bordure de la route.
Est-elle encore accessible depuis que le domaine a été repris par une filiale du Groupe Vinci pour une activité tout à fait différente ?
En 1979 les Entrepôts de Dampierre fusionnent avec la société Sodabel de Dourdan, créée en 1900 par la famille Escroignard, et la nouvelle société « Dampierre et Sodabel » poursuit son activité jusqu’en 1993.
Par la suite, je sais seulement que la marque Dampierre-Sodabel fait partie de celles qui sont exploitées par une société « Olivier Bertrand Distribution Orly » de 2007 à 2014, et aujourd’hui par la société « OBD Grand Paris » qui a repris ses activités.
Quant aux installations de la Place Félix-Faure, elles sont louées à Monoprix, pour son stockage.
Les pièces qui donnent sur la rue semblent, pour leur part, inutilisées.
Christian Rouet
1er janvier 2022
Ping : Deuxième anniversaire - le Pays d'Yveline
Merci pour vos bons voeux et pour vos articles, que je lis chaque semaine avec beaucoup d’intérêt !
Toujours passionnant (même si on n’est pas rambolitain)
Bonne année au chercheur/rédacteur de talent et à l’humour appréciable.
Vivement saùmedi prochain, et les suivants…