Le domaine de la Louvière -Le Petit-Parc -

On l’appelle tantôt domaine de la Louvière, tantôt domaine du Petit-Parc. Il est situé au sud de la D906, entre la Louvière et la Villeneuve.

depuis la Clairière, en direction de Rambouillet, recopie d’écran Google Maps

Vous vous demandiez, en l’apercevant au bord de la route, ce que pouvait être cette propriété longtemps à l’abandon, qui fait depuis quelques années l’objet d’une longue et complète rénovation ? Voici son histoire, telle que l’a reconstituée Bernard Couesnon, lorsqu’il était en charge de l’urbanisme de Rambouillet.

A l’origine

Sur le plan Napoléon, où j’ai indiqué l’emplacement du château (croix rouge sur fond blanc), le Petit Parc, entre la Louvière et la Villeneuve, est limité au nord par la route de Rambouillet à Chevreuse, et au sud par la route de chasse du Petit Parc.

plan Napoléon

Il est intéressant de noter que la partie boisée, que j’ai marquée en vert, est beaucoup plus limitée qu’aujourd’hui.

1947

Longtemps après sa construction, le domaine restera isolé, dans cette zone de bois et de terres agricoles, comme en témoigne encore cette vue aérienne de 1947.

Sa construction

Louis-Alphonse Adrian, pharmacien originaire de Picardie, ouvre une pharmacie à Paris en 1865. Entreprenant et ambitieux, il fonde en 1872 un laboratoire à Courbevoie, afin de fabriquer des médicaments et produits de parapharmacie sous sa marque « société française de Produits Chimiques et Pharmaceutiques ». Il les distribue depuis un magasin de la rue de la Perle, qui se complète vite d’un entrepôt d’où il les expédie dans toute l’Europe, car son activité se développe rapidement. Sa société Adrian & Cie emploie bientôt plus de 300 personnes et ses produits remportent de nombreux succès dans les expositions internationales.

Entre 1895 et 1909 il achète plus de 13ha de parcelles agricoles et boisées, aux portes de la forêt de Rambouillet, lieu-dit : le bois du Petit-Parc, et il y fait construire une propriété d’agrément, comme le font alors tant de banquiers ou d’industriels en signe de leur réussite financière.

La maison de maître –que l’on désigne sous le terme de « château », bien que celui de gentilhommière ou de manoir conviendrait mieux– est dans ce style régionaliste néo-normand à la mode à cette époque : à rapprocher par exemple du Vieux-Moulin, construit à la même époque.

Elle comprend deux étages sur sous-sol, dans sa partie principale, ainsi que des chambres en soupente.

Un pavillon en annexe abrite les logements du personnel, et dans le parc, au bord du portail d’entrée, un pavillon sert de logement au jardinier. Au coeur du parc, des communs comprennent une écurie pour trois chevaux, une remise, la chambre du cocher, un pigeonnier, un grenier, et le poulailler. Le parc est aménagé, avec un verger, un potager, un jardin anglais, et il est agrémenté d’une pièce d’eau.

Les travaux achevés, Adrian effectue encore des achats de terres, autour de son domaine, qu’il loue à des agriculteurs, mais qui lui permettent d’interdire tout voisinage non désiré. A son décès en 1911 la propriété compte plus de 42ha. Le domaine restera isolé jusqu’à un passé récent.

Les ventes ultérieures

En 1909, quand sa maison du Petit-Parc est terminée, Adrian a 76 ans. Il semble qu’il ne vient plus à Rambouillet, et le 26 septembre 1909 il met sa propriété en vente en un seul lot de 32 ha. La propriété ne trouve pas acquéreur, et c’est après son décès, en 1911, que son épouse et sa fille la remettent en vente.

Entre temps il l’a encore agrandie de quelques terrains limitrophes, puisque cette fois la vente porte sur 42ha en trois lots : la maison avec un parc de 11ha 57, 17 lots de terres agricoles pour 27ha 88, et 2 lots de 2ha 67 de bois.

La maison est alors achetée par Enrique Seminario pour le prix de 180 000francs or.

L’acquéreur est un diplomate d’origine équatorienne, consul général d’Equateur à Paris, dont le père a créé en 1892 la banque d’affaires Seminario frères et Cie, à Paris.

La maison du Petit-Parc reste la propriété de M.et Mme Seminario durant 22 ans. Les journaux locaux évoquent souvent « monsieur Seminario, le distingué châtelain du Petit-Parc » qui figure régulièrement dans les listes de donateurs, lors des fêtes locales. En 1917 il est remercié pour avoir offert le chien « Mirette » au Service des chiens de guerre.

Notons à ce propos le terme de « châtelain » : la «propriété d’agrément» décrite lors des ventes est devenue « château » !

Le 6 octobre 1934 la propriété est revendue 350 000 francs à Georges-Maurice Aussudre, entrepreneur de travaux publics. Celui-ci l’achète dans le cadre de la SCI de la Louvière, créée à cette occasion.

En 1941, la SCI est dissoute, et la propriété transférée à monsieur et madame Aussudre. En 1944, au décès de celui-ci, sa veuve reste unique propriétaire du domaine.

Le 17 juillet 1944, madame Aussudre crée à nouveau une SCI (SCI la Louvière, au capital de     950 000francs) et lui transfère la propriété, pour un prix estimé de 900 000francs. 50 000francs constituent l’apport en numéraire d’une seconde associée, madame Eugénie Kienz, qui en prend la gérance.

Cette SCI est constituée avec l’objectif de permettre une cession progressive, et en 2002, après le décès de leurs parents, toutes les parts se trouvent réunies entre les mains de Nadine Kienz, épouse Gruson, et de sa soeur Claude, épouse Ebstein.

Et depuis

En 2002 les associées de la SCI négocient une modification du PLU de Rambouillet, afin de pouvoir réaliser un lotissement de 40 maisons sur les friches des anciens potagers et vergers.

La société de promotion LOTICIS dans son dossier technique indique que « le verger est à l’abandon. Les arbres fruitiers (pommiers, poiriers, cerisiers, pruniers, noisetiers) sont en mauvais état. Les plus résistants forment un boisement continu, mais de mauvaise qualité. (…) Le quart N-O du verger (friche à bouleau) ne présente pas de richesse botanique ou formelle à préserver. »

vue aérienne Géoportail

C’est ainsi qu’ont été construits ces pavillons desservis par les rues du Bois-de-la-Droue, de la Mare Simare, de la Mare-Bonnet-Blanc et du Parc aux Chênes.

Mais que faire du manoir et de son parc boisé non constructible ?

En 1953, quand ses propriétaires le proposaient à la location, ils pouvaient évoquer « un véritable paradis ». La propriété comprenait alors « un verger d’un millier d’arbres fruitiers, un potager avec huit bassins d’eau et jets d’eau, un étang très poissonneux où les pêches sont abondantes, son pont romantique et sa cabine de bain -pergola –terrasse avec balustrade –différents pavillons en bois disséminés dans le bois et enfin un parc à la française, avec pelouses, statues, bancs de pierre… »

Quant au château, il était équipé « en plus de ses importantes cheminées permettant d‘y faire des feux de bois, d’un chauffage central, eau froide et eau chaude, électricité… »

Mais depuis qu’il est laissé à l’abandon, aux outrages du temps se sont ajoutés ceux du vandalisme : les enfants du quartier en ont fait leur terrain de jeu : outre les tags peints sur tous les murs, ils ont brisé tous les épis de faîtage, les dessus en marbre des cheminées, toutes les portes et fenêtres. Les professionnels de la fauche sont venus le délester de tout le plomb, le cuivre, les matériaux faciles à voler. Les poutres, comme les planchers sont gorgées d’eau et peuvent se déchirer à la main, et les murs ne tiennent plus debout que par miracle.

l’état d’abandon en 2005. photos collection particulière Gaël Barbotin
l’intérieur (cliché Barbotin)

Comment, dans ces conditions, trouver un repreneur prêt à en effectuer la rénovation ? En 2006 c’est pourtant le défi que relève Gaël Barbotin, défenseur passionné de notre patrimoine.

Voici comment il m’a résumé son projet :

Merci, Christian, de me passer la plume…

Gaël Barbotin

En effet, qui n’a pas rêvé un jour de rebâtir une ruine… de lui redonner une vie. Celle pour laquelle elle avait été conçue.

J’ai nourri ce rêve…

De nombreuses années d’abandon, de squats, de dégradations ou de pillage avaient eu raison de son intégrité architecturale… L’état de péril imminent planait sur le Domaine de la Louvière !

Oui, j’ai nourri ce rêve : faire renaître Le Domaine de la Louvière – Le Petit Parc…

Lui redonner un nouveau souffle de vie !

Moyennant une course contre la montre pour trouver les financements d’un tel projet… puis quelques années plus tard avec la vente de mon habitation (et donc, de celle de ma famille – merci à elle d’avoir cru et de continuer à croire en mon projet !!)… Suite à beaucoup de temps passé (Plus de 12000h. sur les 10 premières années), de jour comme de nuit, à mettre les mains dans le cambouis sur un chantier toujours d’actualité au bout de 18 années de stress et de questionnements… Mais toujours avec la même passion chevillée au corps pour répondre malgré tout, aux normes, aux contraintes administratives tellement mouvantes, tellement bloquantes …

Oui, 18 ans plus tard, le défi est en passe d’être réussi : Enfin hors d’eau – hors d’air !

D’ici la fin de l’année, je serai heureux de pouvoir y accueillir du public, pour des moments de convivialité ou pour des réunions de travail.

Ce devrait être près de 200m² de salles de réunions prêtes pour accueillir un public adepte de lieux « authentiques » qui ont une histoire à raconter… et puis plus tard, quelques hébergements devraient permettre de compléter une offre de services permettant à ceux qui le souhaiteraient de prolonger leur séjour sur place dans un environnement préservé…

Un site magique qui pourrait s’ouvrir aussi à des tournages de films…

Mais un tel projet, ce sont bien sûr des artisans passionnés par leur métier, couvreurs, charpentiers, menuisiers, chaudronniers, ferronniers, potiers, maçons, forestiers, paysagistes… qui auront contribué avec talent à ressusciter ce patrimoine rambolitain. J’espère un jour prochain les réunir afin de faire mieux connaitre leurs savoir-faire !

Une nouvelle page est en train de s’écrire au Domaine de la Louvière – Le Petit Parc 125 ans après la pose de sa première pierre…

Juillet 2024 : les couleurs étant passées d’un vert pâle à un gris lumineux, avec sa véranda aux huisseries de chêne
et sa terrasse refaites à l’identique, la façade retrouve son lustre d’antan !

Je ne pensais pas ajouter de commentaire aux propos de Gaël Barbotin mais il m’a permis de visiter récemment le domaine de la Louvière. Et lire qu’il a déjà travaillé 12000 heures dans sa propriété, et qu’il y fait intervenir des artisans passionnés, est une chose, mais voir sur place tout ce qui a déjà été entrepris, et l’esprit dans lequel s’effectue ce sauvetage en est une autre !

Je voudrais simplement, à titre d’exemple raconter l’histoire des épis de faîtages.
Il y en avait au sommet des toits du château, comme c’était l’usage à la fin du XIXème siècle. Ils étaient en terre cuite émaillée, et leur rôle fonctionnel (assurer l’étanchéité du poinçon de la charpente) s’était peu à peu doublé d’un rôle esthétique.

Ceux du château de la Louvière avaient tous été cassés, et il aurait été simple de les remplacer par des épis modernes, dans le style de l’époque.

Mais comme pour tous les éléments de sa restauration Gaël Barbotin voulait aller plus loin. Un morceau, trouvé dans une gouttière lui permet de reconnaître le poinçon du fabriquant : la Tuilerie Normande.

Gaël Barbotin à la Poterie de Bavent (cliché Ouest-France)

Or, en 1987, « la Poterie du Mesnil de Bavent », a repris l’activité de cette entreprise… et l’ensemble de ses archives. Elle accepte de faire des recherches, et retrouve, d’abord la facture de ces épis, avec leurs références, et surtout les moules qui avaient servi à la fabrication de ces modèles uniques. Elle peut alors en exécuter de nouveaux exemplaires, selon les méthodes d’autrefois.

Ce sont donc de véritables fac-similés des épis d’origine qui ornent aujourd’hui les toits de la Louvière.

deux des épis reposés photo 2024

Je m’arrête ici, mais il y a ainsi des sujets pour lesquels je regrette d’être limité par la taille de mes articles, car le sauvetage de ce château mériterait à lui seul un livre complet !

 

 

Christian Rouet
Août 2024

 

 

 

Cet article a 3 commentaires

  1. Hochet Myriam

    Je me suis souvent posée la question quel était cet édifice en mauvais état? Merci Christian d’avoir répondu à cette question,et merci à celui qui a redonné vie à ce bel édifice

  2. Anonyme

    Nous sommes impatients de visiter ce château refait à l’identique de celui d’origine.

  3. Michèle LEPRETRE

    tTrès émouvant de rencontrer des personnes qui sauvent ainsi le patrimoine d’une région.

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