Paris-Brest-Paris
Le dimanche 20 août 2023, les premiers concurrents du Paris-Brest-Paris vont prendre dans le parc du château de Rambouillet, le départ d’une randonnée cycliste de 1218km.
Les organisateurs attendent 6673 concurrents (dont « 493 femmes et 8 neutres »). C’est environ 40 fois tous les concurrents du Tour de France !
Le plus âgé aura 85 ans et le plus jeune 18.
21 groupes prendront successivement le départ dimanche, et 6 le lundi, soit une moyenne de 250 cyclistes par départ. Les plus rapides seront de retour après 44 heures de randonnée à plus de 27km/h de moyenne.
Tous justifient d’une aptitude à un tel effort, en ayant passé des brevets qualificatifs de 200 à 600km.
Si vous devez vous rendre à Brest, entre le dimanche 20 et le jeudi 24, je vous conseille donc vivement d’éviter leur itinéraire, même si toutes les routes empruntées dans les deux sens vont pourtant rester ouvertes à la circulation !
Vous l’avez deviné : je m’intéresse aujourd’hui à cette randonnée, parce qu’elle est en fait un Rambouillet-Brest-Rambouillet, pour la seconde fois de son histoire. Elle me donne donc l’occasion de vous proposer un petit rétro-pédalage dans l’histoire locale du vélo.
Le vélo à Rambouillet
A la fin du XIXème siècle, la bicyclette est utilisée par tous : moyen de transport économique, outil de travail pour certains, mais aussi engin de course pour les sportifs, ou de randonnée pour des privilégiés aventureux.
Au tribunal de police de Rambouillet, les contraventions relevées à l’encontre des cyclistes sont plus nombreuses que celles qui concernent la chasse ou la mendicité : absence de lumière pour circuler la nuit, vitesse excessive, et surtout absence de plaque.
La plaque ? C’est que, depuis la loi du 28 avril 1893, les possesseurs de vélocipèdes sont redevables d’une taxe annuelle de 10 francs et à partir de 1899 une plaque doit être apposée sur la bicyclette pour en justifier.
A partir du 1er mai 1900, la plaque doit être gravée au nom du cycliste, et elle doit être renouvelée chaque année. Elle est en laiton les années impaires et en métal blanc les années paires. Le modèle change chaque année, à partir de 1911, puis tous les deux ans à partir de 1930 (pour le grand plaisir des collectionneurs!).
Durant la guerre de 39-40 en raison de la rareté du laiton et du cuivre elle est remplacée par une carte, puis par un timbre fiscal, et ce n’est que le 31 décembre 1958 que l’Etat renonce à cette recette, avantageusement compensée par les taxes sur l’automobile.
Les vols de bicyclettes sont nombreux et c’est à vélo que les gendarmes traquent les délinquants.
Les journaux relatent souvent des accidents, dus principalement à la vitesse excessive, et aux défaillances de freinage.
En 1893 la Poste commence à doter ses facteurs de bicyclettes. Celle de Rambouillet en a 8 au début du siècle.
Créée en 1885 la Manufacture Française d’Armes et de Cycles de Saint-Etienne est la première société de vente par correspondance. Dans son catalogue les bicyclettes tiennent autant de place que les armes. Vendues sous la marque Hirondelle, créée initialement par la Société pour la fabrication en France des Vélocipèdes « l ’Hirondelle », elles sont utilisées par les agents de police de Paris ce qui leur vaut très vite leur surnom.
En 1898, la jeune reine Wilhelmine des Pays-Bas, alors âgée de 18 ans, a conquis les parisiens en visitant leur capitale à vélo. L’expression affectueuse de Petite Reine est alors employée par les journaux, d’abord pour désigner la jeune reine cycliste, puis pour désigner la bicyclette.
A cette époque, on peut acheter, louer et faire réparer un vélo chez Bajon, au 15 de la rue Chasles, ainsi que chez Constantin, Herbet et Jouve, Ridard ou Rolland.
Toutes les librairies de la ville vendent à aprtir de 1890 des « cartes pour cyclistes » des éditions Lanée, Taride, du TCF, de Plon ou de Flammarion.
Les randonneurs cyclistes
Ils ont leur lieu de rassemblement chez Désiré Hue, à l’hôtel du Pont Hardi, le rendez-vous des vélocipédistes.
Dans son édition de 1895, l’ouvrage « les Guides du cycliste en France » que Charles Mendel consacre aux randonnées Paris-Brest et Paris-Nantes, le qualifie de « modeste » comme l’hôtel du Chapeau de Paille, et leur préfère, pour l’étape de Rambouillet, l’hôtel du Lion d’Or, et celui de la Croix Blanche (chambres à 2 francs, déjeuner à 3 francs).
Dans les hôtels, il est conseillé au randonneur de payer sa chambre la veille s’il veut partir de très bonne heure : « le garçon qui vous présente la note à quatre heures du matin n’a jamais de monnaie, et si on a quelque réclamation à faire, les patrons ne sont jamais visibles ».
Dans les très petites localités, il est préférable de « se méfier de la viande et de la charcuterie qui y sont généralement gâtées. Et on évitera l’eau qui est généralement mauvaise.»
On trouve aussi dans ce guide des renseignements intéressants sur l’état des routes.
« Le kilométrage est fait en France d’une façon défectueuse et manque totalement d’uniformité. En théorie le kilométrage des routes se fait par département traversé et en prenant pour point de départ le point où la route entre dans le département.(…) Les bornes kilométriques en pierre donnent généralement des mesures exactes. Quant aux plaques de fonte à lettres blanches sur fond bleu placées depuis quelques années aux carrefours des routes départementales, il est bon de ne pas trop se fier à leurs kilométrages que nous avons vus souvent démentis par la borne placée en face. Ils sont très approximatifs. »
On y trouve de judicieux conseils d’entretien, d’abord de la machine …
ensuite du cycliste lui-même qui peut être victime de constipation (un verre d’une eau purgative comme Montmirail, Royale Hongria ou Rubinat complétera l’effet d’une pilule de Podophylle), de contusion, de coupure et plaie contuse, de crampe, de diarrhée (15 gouttes d’élixir parégorique sur un sucre trois fois par jour), de fracture (une attelle pourra être fixée avec la ceinture ou les bretelles du cycliste), d’insolation, de mal de gorge ou de maux de tête, de morsure de chien ou de vipère, de piqure d’insecte, ou de corps étrangers dans l’oeil ou dans l’oreille.
Au poids de la bicyclette (environ 20 à 22 kg, et deux de plus en cas de roues pleines) il est déconseillé d’ajouter plus de 8kg de bagages. Et pour cela, connaître le poids moyen de chaque pièce est intéressant.
On peut s’étonner que les randonneurs d’aujourd’hui préfèrent se charger d’un téléphone portable d’environ 200g plutôt que de 3 faux cols en celluloïd de 70g, ou d’une chemise de nuit de 280g. Il faut toutefois considérer que s’ils veulent rapporter quelques photos en souvenir, ceci les dispense d’une chambre noire, d’un châssis double, et de glaces gélatino-bromures de près de 4kg.
Ceux qui se contentent de quelques promenades autour de Rambouillet viennent en train avec leur vélo, ou en louent un pour la journée. Cependant, beaucoup font l’aller-retour par la route.
Pour accueillir le plus grand nombre de touristes à la grande chasse à courre de la duchesse d’Uzès, le lundi de Pâques, la ville rappelle dans son programme de 1906 que « La chasse peut partiellement être suivie à bicyclette. Les cyclistes trouveront des garages pour leur machine. »
Les courses
A côté des randonneurs, les coureurs cyclistes sont nombreux, et les compétitions organisées par le Vélo-Rambolitain sont le point d’orgue de toutes les fêtes locales.
Par exemple, le 30 juin 1889, dans le parc du château, 7 courses de 1000 à 3000m pour bicycles et/ou tricycles attirent 100 concurrents.
De très nombreuses épreuves sportives ont lieu depuis Paris, qui passent par Rambouillet, où s’y terminent. Comme le Paris-Chartes, le Suresnes-Rambouillet etc…
Chaque année le public espère des courses plus spectaculaires, plus longues, plus difficiles… Elles sont organisées par des journaux pour leur promotion et le bonheur de leurs lecteurs. En 1891 le Petit Journal organise le premier Paris-Brest-Paris. En 1894 le journal Paris-Pédale crée le Bol d’Or, course d’endurance sur piste de 24 heures. En 1896 le Vélo organise le premier Paris-Roubaix. En 1903 l’Auto invente le Tour de France…
Bien qu’une course ait réuni pour la première fois 4 concurrentes dans un parc de Bordeaux, le 1er novembre 1868, toutes ces grandes courses sont presque toujours réservées aux hommes.
La course du Paris-Brest-Paris
Pour sa première édition, du 6 septembre 1891, la course réunit 206 cyclistes, amateurs ou professionnels, y compris dix tricycles, deux tandems et un grand-bi. Ils sont autorisés à être assistés par un entraîneur.
16 points de contrôle sont répartis sur un parcours que le vainqueur, Charles Terront, parcourt sans dormir, en 71h37 avec une moyenne de 17,59km/h à l’aller et de 16,78km/h sur le chemin du retour.
Il avait été engagé par Michelin pour promouvoir sa toute nouvelle invention de pneumatique démontable pour vélo et sa victoire permet le succès commercial de ce pneu.
98 concurrents terminent la course dans le délai maximal autorisé de 10 jours.
L’un des favoris a été contraint à l’abandon : « il a commis l’imprudence de partir jambes nues, et maintenant il a la jambe gauche enflée, paralysée par un formidable coup de soleil » (le Petit Journal).
La course est tellement éprouvante pour les coureurs, et pose de tels problèmes d’organisation qu’il est décidé de ne l’organiser que tous les 10 ans.
L’édition de 1901 s’ouvre aux coureurs étrangers. Deux catégories sont créées : Maurice Garin gagne la course de vitesse, en 52h11, et Rosière gagne celle des touristes-routiers (les ancêtres des randonneurs), en 62h26. Le doyen Pierre Rousset, âgé de 65 ans termine en 202h.
Cette photo, prise à Paris au départ de l’édition d’août 1911, donne une idée de l’engouement du public.
Pour cette troisième édition, les entraineurs et toute assistance en dehors des points de contrôle sont interdits, mais les coureurs sont autorisés à changer de vélo durant la course. 13 coureurs et 120 touristes-routiers participent à cette édition dont le meilleur temps descend à 50h13.
Il y a ensuite une course en 1921, une autre en 1931, et celle de 1941 ne pouvant avoir lieu en raison de la guerre, elle est remplacée par une course en 48, avant de reprendre le cycle normal en 1951. Cependant le nombre de coureurs diminue : 52 en 48, dont seulement 11 se qualifient, et 41 en 51. Elle est alors supprimée, en tant que course de vitesse.
Il en reste un gâteau, et une randonnée.
Le Paris-Brest
Pour la réalisation de ce dessert on utilise une pâte à choux cuite avec des amandes effilées parsemées en surface, dans laquelle on introduit, après cuisson de la pâte, une torsade de crème pralinée.
Son invention est attribuée à plusieurs pâtissiers, dont Bauget de Maisons-Lafitte en 1891, Durand de la même ville, en 1909 (son fils a tenté vainement de déposer un brevet en 1930 sur l’invention de son père), et même Gerbet de Chartres. Un pâtissier aurait créé ce gâteau sous forme d’un éclair, et un autre aurait eu l’idée d’en faire une roue pour évoquer cette course cycliste…
Bref, la seule chose certaine, c’est qu’il s’agit d’un très bon gâteau, qui a bien résisté au temps !
Le Paris-Brest-Paris randonneur
En 1930 l’Union des Audax* Cyclistes Parisiens (UACP) propose d’éclater la catégorie des touristes-routiers du Paris-Brest-Paris en deux formules, ouvertes, l’une à des randonneurs en allure libre, et l’autre en vitesse contrôlée (sanctionnés par un brevet Audax).
*Audax parce que les Italiens avaient salué « l’audaci » d’un premier groupe de cyclistes qui avaient relié Rome à Naples en une seule journée, en 1897.
Lors de la course de 1931, aux côtés des 28 coureurs, nous trouvons donc 64 randonneurs en allure libre tenus seulement de terminer en moins de 96 heures ( ils seront 44 à y parvenir.) et 91 Audax.
Ces deux formules cohabiteront en 1948, 1951 (dernière participation des coureurs de vitesse), 1956, 1961, 1966 et 1971.
A partir de 1975 ce grand rassemblement de randonneurs a lieu tous les 4 ans. En 2019 il était parti de Rambouillet. C’est à nouveau le cas en 2023. Paris et Saint-Quentin, premiers choix des organisateurs, ont refusé en raison de leur implication dans la préparation des Jeux Olympiques.
Cette course redevient donc pour la seconde fois un Rambouillet-Brest-Rambouillet. Le trajet conduit en première étape à Mortagne-en-Perche, en passant par Saint-Léger et Condé-sur-Vesgre. Le retour se fait de Dreux à Rambouillet en passant par Faverolles et Poigny-la-Forêt.
En parallèle la Fédération Française de Cyclotourisme a organisé un Paris-Brest-Paris réservé à des jeunes de 14 à 17 ans. Hébergés à la Bergerie Nationale, 6 filles et 28 garçons ont pris le départ le 12 août, pour un retour à Rambouillet le 24, après 12 étapes et une journée de repos à Brest.
Cette épreuve s’est déroulée dans une grande discrétion ! Il me semble qu’elle aurait mérité mieux.
La ville a su mobiliser les associations locales, et organise de nombreuses manifestations en marge de cet événement. Animations culturelles, musicales, et ludiques vont enchanter les Rambolitains, les touristes de la région, et les accompagnateurs qui resteront sur place en l’attente des retours.
En outre, l’implication de notre municipalité dans cette grande fête du vélo pourra peut-être suggérer que nos élus militent pour le développement de la bicyclette dans notre ville.
Ceci ne manquera pas de surprendre les cyclistes rambolitains qui ne s’en étaient sans doute pas encore aperçu.
Christian Rouet
août 2023
Magnifique rétrospective de cette manifestation rambolitaine.