La palme d'or du Festival de Cannes

27 mai 2023 : dans quelques heures se déroulera la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, et la remise tant attendue de la prestigieuse Palme d’Or.

C’est l’occasion de rappeler que ce trophée a été créé en 1954 par la joaillière rambolitaine Lucienne Lazon, et d’évoquer une famille d’artisans et d’artistes de notre ville.

La famille Soliveau

Clément Michaux est l’un des trois fils de Jules Michaux, boulanger de Neauphle-le-Château, mort à l’âge de 31 ans. Il entre en apprentissage de menuiserie, et s’installe à Rambouillet comme ébéniste, tapissier.
A son décès, en 1895, l’un de ses compagnons, Georges Soliveau, poursuit son activité, et le 24 aout 1897, il épouse sa fille Charlotte Michaux.

La « fabrique de meubles massifs » du 49 rue Nationale (rue de Gaulle) devient le magasin « Michaux-Soliveau » dont on peut relever deux activités accessoires inattendues : les voitures d’enfants, et la location de meubles !

Leurs deux fils, André et Pierre poursuivent l’activité de leurs parents, en la faisant évoluer chacun dans son domaine.

André entre en 1920 à l’école Boulle, créée en 1886 pour former aux métiers d’ameublement. Il s’y lie d’amitié avec le jeune Raymond Cailly. Il devient décorateur.

Pierre est ensemblier. Tous deux adoptent le pseudonyme de Sol qu’ils trouvent plus moderne que leur nom de Soliveau.

quelques créations de meubles Sol
la rue d’Angiviller

Entre les deux grandes vitrines du magasin de la rue Nationale, un porche ouvre sur une cour fleurie. L’appartement de Pierre et de sa femme Lucienne est dans cet immeuble. La cour communique à l’arrière avec la rue d’Angiviller. Le logement d’André est en étage, au-dessus des ateliers de tapisserie.

Dès leur installation les parents d’André et Pierre y ont mis en location plusieurs logements.

En 1918 le sculpteur animalier Gaston Le Bourgeois s’est installé à Rambouillet, dans les locaux de « la vieille poste » du boulevard Voirin (Mal Leclerc). Ses filles Eve et Suzanne partagent sa passion de l’art, et se spécialisent, la première dans la sculpture sur ivoire, la seconde dans la mosaïque de pierres. Ils exposent ensemble à partir de 1926 au Salon d’Automne. Le Bourgeois commence à être reconnu au plan international comme acteur du mouvement « art-déco ».

Les familles Soliveau et Le Bourgeois, dont les activités professionnelles se recoupent souvent, se sont très vite appréciées et liées. En 1929, lorsque le Bourgeois, souffrant, a besoin d’aide pour la préparation de sa participation à l’Exposition Coloniale de 1931, c’est André Soliveau qui lui présente son ami Cailly.

La collaboration de Raymond Cailly avec Gaston Le Bourgeois ne s’arrêtera plus, d’autant que Cailly épouse Eve Le Bourgeois en 1933, et l’amitié entre les famille Soliveau-Le Bourgeois-Cailly, s’ajoutant à leur partenariat professionnel, ne se démentira pas.

Lucienne Lazon

Le 6 mai 1935, Pierre Soliveau épouse Lucienne Marie Elmire LAZON, créatrice en joaillerie. Lucienne exerce déjà une activité indépendante, à son mariage. Elle décide donc de garder son nom de jeune fille, sous lequel ses clients la connaissent déjà.

Cependant c’est une exposition au Palais du Louvre, en mars 1947, suivie d’une seconde au musée des Arts décoratifs en avril 1947 qui l’imposent dans le monde fermé du haut luxe français.

On note, au programme de l’exposition que Le Bourgeois est accompagné de ses deux filles, ses deux gendres, Cailly et Grichting, Lucienne Lazon et Pierre et André Sol : toute l’équipe de Rambouillet est là !

(On note aussi le nom de Maurice Perrichon. Après lui, son fils Michel exploitera son magasin de meubles, rue Clemenceau, puis dans la zone du Bel-Air…)

Sur cette photo de famille, prise pour les 50 ans d’activité de Gaston Le Bourgeois, de gauche à droite :

Lucienne Lazon, Jean-Luc Cailly sur ses genoux, Gaston Le Bourgeois, Noël Cailly, André Soliveau, Pierre Soliveau, Cécile Cailly, Constantin Grichting, Geneviève Blanchon, et Françoise Cailly sur ses genoux.

(collection Cécile Selves-Cailly)

Le journal Le Monde vante les œuvres de Lucienne Lazon « qui commandent le respect et témoignent des ressources fécondes du libre travail individuel. »  
Elle a sa boutique-appartement au faubourg Saint-Honoré, en face de l’Elysée et c’est là qu’elle reçoit ses clients.

Lucienne est particulièrement renommée pour ses bijoux d’art religieux.

C’est également une féministe convaincue qui se plaint au cours d’une interview télévisée que les femmes soient trop souvent réduites à un rôle d’exécutant :

« le métier de joaillier est assez dur mais une femme doit pouvoir l’exercer, et surtout en tant que créateur. C’est très important la création, pour une femme. Le rêve serait que la même personne crée et réalise, mais actuellement, il y a beaucoup d’exécutants qui ne sont pas des créateurs. Le goût, en France, aurait vraiment besoin d’être réformé, mais est-ce possible de réformer ? » (cité sur TV5)

Ajoutons qu’en 1960 Pierre Soliveau et Lucienne Lazon quittent l’appartement de la rue de Gaulle pour s’installer dans une superbe maison qu’ils commandent à l’architecte Rémy Le Caisne, rue du Racinay.

Quant au magasin Soliveau, il conservera son activité jusque dans les années 1970, fier de proposer « les meubles les plus anciens de la région ».
La société Rambouillet Mobilier filiale de Chartres Mobilier, reprendra alors les locaux, en poursuivant le négoce de meubles (mais sans activité artisanale), et fermera en 1978.
Le magasin accueillera alors le Coffre à Jouets, puis plusieurs franchisés en habillement.

Cependant, si le nom de Lucienne Lazon nous reste connu, c’est pour sa création de la Palme d’Or du Festival de Cannes.

La Palme d’or

Depuis sa première édition en 1946, jusqu’en 1951, la récompense ultime du Festival de Cannes consistait seulement en un titre honorifique appelé « Grand prix du Festival international du film ».

En 1951, ce prix prend la forme d’un diplôme, accompagné d’une œuvre d’art signée par un artiste contemporain de renom.

le blason de Cannes

Délégué général du festival en 1954, Robert Favre Le Bret évoque l’idée de créer un objet de récompense propre au Festival de Cannes. Le choix d’une palme aurait été proposé par Jean Cocteau, qui présidait alors le festival. Elle rassemble deux symboles : celui de la victoire, qui remonte à l’Antiquité, et celui de la ville de Cannes, présent sur les armoiries des familles ancestrales de la cité, dont les palmiers de son boulevard de La Croisette perpétuent l’actualité.

Un appel d’offres est lancé auprès des meilleurs joailliers et c’est Lucienne Lazon qui remporte le concours.

Elle réalise une élégante palme, fixée sur un socle de terre cuite réalisé par le sculpteur Sébastien (Gabriel Sébastien Simonet, dit le  » magicien de la terre de Vallauris « ). Près de la tige, coupée en forme de cœur, une petite main semble dire « bonjour ».

la Palme d’or de Lucienne Lazon

Lucienne Lazon sera ainsi la première à entrer dans l’histoire de la Palme d’or du Festival de Cannes, trônant sur les étagères de huit des plus grands réalisateurs internationaux dont Marcel Camus, Luis Buñuel et Luschino Visconti.

Mais cette Palme d’Or ne fait pourtant pas l’unanimité, et son coût est jugé trop élevé. Elle est donc arrêtée après le festival de 1963, et pendant les 10 années qui suivent, les films ne sont à nouveau récompensés que par le titre de « Grand Prix du Festival International du Film » imaginé en 1946. C’est ainsi que Claude Lelouche, Grand Prix pour Un homme et une femme en 1966, ne la recevra pas.

En 1975 le festival décide de l’offrir à nouveau, présentée dans un bel écrin en cuir rouge capitonné de daim blanc, et c’est ainsi qu’elle sera offerte jusqu’au début des années 80, où l’on décide d’en repenser la forme.

En 1984, c’est tout d’abord le socle qui est modifié. Il prend une forme pyramidale massive et devient l’élément principal du trophée, sur lequel on appose la Palme.

En 1997, la création de Lucienne Lazon est définitivement abandonnée. Caroline Scheufele, coprésidente du joaillier suisse Chopard, la redessine. Le trophée est plus élancé, avec ses dix-neuf folioles pointées vers le ciel. Il mesure 13.5 centimètres sur 9, et pèse 118 grammes d’or certifié « équitable ». La tige conserve à la base le petit cœur devenu l’emblème de la maison Chopard.

Chacune de ces Palmes, fabriquée à la main dans les ateliers Chopard de Meyrin près de Genève, demande la participation de sept artisans sur 40 heures de travail : une vraie prouesse joaillière !

En 1999 son socle est remplacé par un socle en cristal, que l’on doit à Thierry de Bourqueney : c’est un bloc d’un kilo, taillé en diamant, ce qui fait de chaque Palme un objet unique, puisque les cristaux ne sont jamais parfaitement identiques.

la Palme d’Or actuelle

Le trophée est maintenant présenté dans un écrin de maroquin bleu.

Il est offert gracieusement au Festival par la Maison Chopard. Chaque année il est produit en trois exemplaires, afin de pallier sa perte, sa dégradation, une égalité entre divers films ou la remise d’un prix d’honneur.

la Palme et les Palmettes

La Palme est accompagnée de ses deux petites sœurs, les palmettes, remises pour les prix d’interprétation masculine et féminine.

Lucienne Lazon

Et voilà : la roue tourne !

Cependant, quel que soit l’heureux lauréat, en cette cérémonie de clôture 2023, les Rambolitains pourront avoir une pensée pour une joaillière de talent, dont l’historien Yves Sjöberg a écrit :

« Les bijoux de Lucienne Lazon possèdent une légèreté, une pureté quasi-musicale.
Lucienne Lazon, c’est la joaillerie faite femme. »

Christian Rouet
mai 2023

PS : une partie de cet article était intégrée dans celui que M.Coste a consacré en juin 2020 à sa maison de la rue du Racinay, ancienne propriété de Pierre et Lucienne Soliveau. Je l’ai divisé, mais vous pouvez le compléter par sa lecture ici.

Cette publication a un commentaire

  1. Françoise VILLE - CAILLY

    Merci pour ce très bel article d’actualité qui nous rappelle de très bons souvenirs.
    Personnellement j’ignorais que la palme avait été modifiée !

    Françoise VILLE – CAILLY

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