Maisons de villégiature
Le verbe italien villeggiare, dérivé de villa, .signifie : « séjourner dans sa maison de campagne pour s’y reposer ou s’y divertir ». Le mot villégiature n’est introduit en France qu’en 1755, et il faut attendre l’édition de son dictionnaire de 1876 pour que l’Académie française le reconnaisse. Elle en donne alors la définition : «séjour que les personnes aisées font à la campagne pendant la belle saison ». Point nécessaire d’évoquer le repos ou le divertissement, puisqu’il s’agit de « personnes aisées » qui n’ont pas d’autres activités.
Il s’agit donc d’un changement temporaire de cadre de vie : au propre comme au figuré d’un changement d’air. Pour rendre ce séjour le plus agréable possible, il importe de disposer d’une maison de villégiature : château somptueux pour certains, modeste maison de campagne pour d’autres.
Il en résulte, dès la fin du XIXème siècle un habitat spécifique dont notre région garde de nombreux exemples. Je vous propose de les redécouvrir ici.
Yveline, terre de villégiature
Pourquoi l’Yveline ?
D’abord en raison de sa proximité de Paris.
L’Ile-de-France a commencé à être terre de villégiature, dès la Renaissance, quand la cour d’Henri II commence à se sédentariser à Paris. Les Grands de la cour conservent alors leur château ancestral en province, mais ne l’habitent plus : ils se font construire un hôtel particulier dans le Marais, et une maison de plaisance non loin du pouvoir.
Le train d’abord, les progrès de l’automobile ensuite, rapprochent encore Rambouillet de Paris. Après la noblesse c’est la bourgeoisie qui peut ainsi accéder facilement au pays d’Yveline.
En 1900 17 trains desservent chaque jour Rambouillet. Le temps du trajet se trouve divisé par cinq. Les quartiers situés près des gares se lotissent : les villes desservies par une gare deviennent une destination touristique privilégiée pour de nombreux Parisiens. En 1928, à Gif, dont la gare a été inaugurée en 1868, 42% des propriétés appartiennent à des Parisiens.
Ensuite pour ses paysages.
C’est d’abord la chasse qui a attiré tous les rois de France dans la forêt d’Yveline. Les chasses de la Présidence, celles du comte Potocki ou celles de la duchesse d’Uzés sont des événements qui animent les chroniques mondaines. Et en 1933, c’est toujours pour la chasse que Jean Savard achète 80 hectares à l’orée de Rambouillet et y fait construire sa maison de Clairbois.
Le charme de l’Yveline s’impose à tous. On y vient pour échapper à l’air vicié de la capitale, que l’on rend responsable de la propagation des miasmes du choléra, lors de l’épidémie de 1849. On y trouve un dépaysement et des conditions de vie calme, tranquille, qui reposent de la vie trépidante de la capitale. A partir de Félix Faure le château de Rambouillet devient « le lieu de villégiature des présidents de la République française ».
Et l’eau, présente sous forme de nombreuses rivières et étangs, apporte un charme supplémentaire au pays d’Yveline, en même temps qu’elle façonne son relief : c’est ainsi par exemple que la baronne de Rothschild s’éprend des ruines d’une ancienne abbaye, baignée par le ru de Cernay. Ou que le comte de Feels déplace son château de Voisins pour jouir d’une meilleure vue sur la Guéville.
Car la vue est l’un des éléments déterminants dans le choix d’une maison de villégiature.
La villégiature se démocratise
La maison de villégiature des plus riches est un véritable château, au milieu d’un domaine immense.
Il est bâti en hauteur pour bénéficier de la plus belle vue. Des bow-windows, et parfois un belvédère (en italien : belle vue) intégré ou non dans la construction, permettent de mieux en jouir.
Le parc arboré, confié aux plus grands paysagers et jardiniers de l’époque intègre des massifs, un jardin, un potager, une basse-cour, des serres, une écurie, de nombreuses dépendances. Il est souvent complété par une ferme. On retrouve ici le concept de villa romaine, racine du mot villégiature, qui s’exprime dans son éloignement de la ville, et son autarcie.
La façade du château de villégiature est organisée en travées régulières dont le nombre peut être très élevé, jusqu’à dix-sept au château de Pinceloup. Les pièces de réception, vastes et nombreuses (grand salon jusqu’à 200m², bibliothèque…), se déploient au rez-de-chaussée, les chambres sont à l’étage et les combles sont réservés aux domestiques. La cuisine est en sous-sol.
Le plaisir de partager avec ses invités les fruits, légumes et autres produits de son domaine font partie du charme de la villégiature. Tout est fait pour agrémenter le séjour des propriétaires et de leurs hôtes : outre les pièces de réception incontournables : salons, billard, fumoir… une salle de musique, et souvent un théâtre permettent de varier les activités.
Le plus abouti de ces châteaux de villégiature est probablement celui que le cardinal de Lorraine s’est fait construire à Dampierre (il bénéficie actuellement d’une merveilleuse rénovation). On pourrait en citer bien d’autres, comme le château de Rochefort-en-Yvelines du diamantaire Porges… Il s’agit souvent de constructions nouvelles, comme celle du nouveau château de Voisins, mais aussi de transformations d’un château existant, par exemple celui de Breteuil…
Des propriétaires un peu moins fortunés font construire des demeures qui ne dépassent pas cinq travées en façade : on parle encore de châteaux, mais aussi de manoirs, gentilhommières, demeures de notables… Plus proche de la ville leur parc ne se compte plus qu’en hectares : moins de 5ha pour le château du Vieux-Moulin du baron de Salcette en limite sud de Rambouillet.
Si elles ont moins de cinq travées ces demeures sont des villas. Dans un plan classique, avec trois travées, on trouve au rez-de-chaussée la salle à manger, le salon et un bureau ou bibliothèque ainsi que la cuisine, rarement en sous-sol. L’étage carré comporte deux ou trois chambres.
Un parc parfois, mais plus souvent un simple jardin, en conservant, chaque fois que possible, un potager et une basse-cour pour profiter des produits de la villa.
S’il est important de voir, il n’est pas désagréable d’être vu. Même entourée de mur, la maison de villégiature ne dissimule pas sa façade aux yeux des passants. Château ou villa, chacun peut l’admirer à travers un portail ajouré ou des grilles. Les toits, visibles de loin, sont souvent surmontés d’épis de faîtage de plomb ou de céramique pour mieux se faire remarquer.
Moins leur terrain est important, plus les villas se regroupent. Elles forment de nouveaux quartiers, comme sur le plateau de Rambouillet ou à Beausoleil.
Elles ne bénéficient plus d’un paysage privilégié, d’une vue particulière, mais elles restent demeures de villégiature, dans la mesure où elles ne sont occupées que temporairement par des Parisiens qui viennent s’y reposer, et profiter d’un air plus sain que celui de Paris.
Rêve-t-on de posséder un château ? Oui, probablement, mais c’est un rêve tellement inaccessible que la villa correspond certainement plus aux souhaits du Parisien, version modernisée de la petite maison de campagne à laquelle aspirait déjà Rousseau dans son Emile:
« Si j’étais riche, je n’irais pas me bâtir une ville à la campagne et mettre, au fond d’une province, les Tuileries devant mon appartement. Sur le penchant de quelque agréable colline, bien ombragée, j’aurais une petite maison rustique, une maison blanche avec des contrevents verts…»
La convivialité
En villégiature on vit simplement. Les femmes ne changent « que trois fois par jour de toilette » (Chroniques du Figaro 1858). Le mobilier de la maison est simple, il doit résister à l’humidité d’une maison fermée durant plusieurs mois.
On n’achète pas une maison de villégiature uniquement pour y recevoir des amis, mais leur réception constitue une activité privilégiée. C’est naturellement le cas dans les châteaux dont les journaux locaux se plaisent chaque semaine à donner la liste des invités illustres, et notamment celle des hôtes du Président de la République. Mais c’est tout autant le cas dans les villas les plus modestes. Furetière appelait déjà au XVIIIème siècle « maison de bouteille » la maison de campagne où l’on peut « recevoir ses amis et faire bonne chère ».
J’aime bien l’expression ! Aujourd’hui il évoquerait sans doute « la maison de barbecue » !
Il faut donc disposer de quelques chambres avec balcon, des terrasses, voire un pavillon de repos ou des fabriques pour se reposer dehors. A l’intérieur, une salle de billard où les hommes se retrouvent et fument le cigare. Après le repas on joue aux cartes. On parle. On se promène. Plus tard on y jouera au tennis. On chasse…
La présence de cet habitat de villégiature attirait des commerces de bouche de qualité, parce qu’on dépense beaucoup, en vacances pour régaler ses amis, et leur faire découvrir des produits authentiques qu’on ne trouve plus dans Paris. Inversement, le comportement d’achat change quand une résidence secondaire devient résidence principale : les dépenses sont plus rationnelles. Or, si en 1968 13% des logements de Chevreuse étaient des résidences secondaires, ils ne sont plus que 3% aujourd’hui.
L’architecture de villégiature
En 1812 la duchesse du Berry a lancé la mode des bains de mer à Dieppe. Trouville, Cabourg, Deauville deviennent bientôt des stations balnéaires internationales, et les maisons de style néo-normand qui fleurissent sur la côte, servent de modèles pour les propriétés construites autour de Paris.
Avec le régionalisme normand, le colombage devient la règle. Il est purement décoratif car les constructions, généralement en meulières et briques, n’en ont aucune utilité. Il s’agit parfois de pièces de bois, plaquées sur la façade, mais souvent de bandes de ciment peintes en trompe l’oeil, comme celles du Vieux Moulin, où le vrai bois n’existe que dans les balustrades des balcons.
Ce style s’applique d’abord à des châteaux ou aux maisons les plus importantes (comme la Grange Colombe… ), mais progressivement ses caractéristiques se retrouvent dans des constructions plus modestes.
Et bientôt il est adopté aussi par des résidences principales, comme la maison Behague, le chalet Nivière à Rambouillet…
Le service du Patrimoine a établi une carte des villas de villégiature de Rambouillet (en ligne ici) à l’occasion d’une exposition en 2022. Il s’agit de villas dont l’architecture est d’inspiration balnéaire, qu’elles aient été ou non construites à des fins de villégiature. Il en reste près de 40 en ville.
La villa Clairbois
Dans l’entre-deux-guerres, l’architecte Quételard, qui s’est illustré dans la construction d’une centaine de riches demeures pour la clientèle aisée du Touquet-Paris-Plage, renouvelle le style de la maison balnéaire.
C’est Jean Savard, fondateur de la société Bijoux Fix qui lui commande la construction de sa maison Clairbois en 1933, dans le domaine de 80 ha qu’il vient d’acquérir pour y exercer sa passion de la chasse.
Située en face des tennis de la Clairière elle a été visible durant plusieurs années à la suite de la tempête de 1999 qui a détruit le rideau d’arbres qui la cachait. Aujourd’hui on n’en voit déjà plus que les toits.
La mode n’est plus aux colombages. L’Art Déco a imposé ses formes et ses matériaux. Le style de Quételard se caractérise par de vastes toitures, des doubles pignons, des retombées d’arcs sans piédroits, et des oculi.
La meulière est passée de mode, et ce sont des murs blancs qui mettent en valeur les éléments de couleur : menuiseries vertes, tuiles brunes et la brique des cheminées, pour créer un ensemble polychromique.
Trois rangées de briques la ceinturent et forment un socle posé sur le gazon.
« La grande baie de la salle à manger et les trois poteaux du patio couvert d’un auvent rendent lisible l’étirement du plan, dont l’horizontalité est soulignée par les menuiseries, les lignes du balcon, les marches de la terrasse et le linteau des fenêtres du fumoir » (notice de la base du Patrimoine architectural).
L’intérieur est conçu avec le même soin que l’extérieur, non seulement pour la conception des espaces, mais aussi bien dans sa décoration et son ameublement.(photos tirées d’un magazine de décoration de 1949)
Comment ne pas rapprocher la maison Clairbois de cette autre maison Art Déco, construite en 1936 à Poigny-la-Forêt, par l’architecte Pierre Petit ?
Cette construction superbe, conserve les attributs de la villégiature : petit théâtre, salle de billard, tennis, bar en rez-de-jardin, trois terrasses…
Un oculus permet d’admirer le paysage : un parc de 34ha avec tennis, roseraie, miroir d’eau…
Et ici aussi l’intérieur a été meublé et entièrement décoré avec un soin tout particulier.
Cette superbe propriété étant actuellement mise en vente, il est possible d’en effectuer une visite virtuelle en cliquant ici (le lien cessera d’être opérationnel une fois la maison vendue).
Je vous devine impressionné !
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la ville de Rambouillet cherchera à conserver son image de ville de villégiature. C’est ainsi que les acquéreurs des lots du quartier Beausoleil lancé en 1926 se verront imposer un style… que seuls les premiers arrivants respecteront. Ces prescriptions seront abandonnées après guerre pour favoriser le développement du quartier, car il reste alors 90% des lots non vendus et le quartier accueillera alors tous les styles.
Cependant, aujourd’hui, les promoteurs continuent à faire du faux colombage un élément important de l’esthétique de leurs constructions.
Sans en nier le charme, je me demande quand même si on n’en abuse pas un peu !
Christian Rouet
mars 2024